Pont de Mirepoix-sur-Tarn : la responsabilité des communes en jeu
Le 18 novembre dernier, l’effondrement du pont de la Commune de Mirepoix-sur-Tarn en Haute-Garonne a provoqué la mort de deux personnes, le conducteur d’un camion et d’une jeune fille qui se trouvait avec sa mère dans un autre véhicule. Cet accident rappelle celui du pont de Gênes le 14 août 2018 tuant 48 personnes. Le dimanche 24 novembre, probablement à cause d’une énorme coulée de boue, un viaduc autoroutier s’est écroulé dans la région de Turin. Les ponts qui, pour beaucoup, sont anciens, risquent donc de continuer de défrayer la chronique.
Décryptage par Norbert Foulquier, Professeur de droit public à l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, Codirecteur du SERDEAUT Directeur adjoint du GRIDAUH.
« Si le Conseil d’État a érigé un régime très protecteur en faveur des victimes, usagers d’un ouvrage public, la responsabilité des personnes publiques n’est pas sans limites »
Qui a la responsabilité de la maintenance des ponts ?
Les communes, les départements et l’État sont responsables chacun de leurs ponts. Mais si, comme elle l’a fait pour le viaduc de Millau, l’administration a confié la construction et l’exploitation d’un pont à un concessionnaire, celui-ci doit en assurer la maintenance.
Parfois, l’identification du propriétaire du pont n’est pas évidente, notamment pour les anciens. Il arrive aussi que les collectivités publiques ne se battent pas pour s’en voir reconnaître la propriété, justement pour tenter d’échapper à la charge de leur entretien. Cela a conduit le Conseil d’État à préciser que les ponts « sont au nombre des éléments constitutifs des voies dont ils relient les parties séparées de façon à assurer la continuité du passage » : sauf document contraire, un pont appartient donc à la personne publique possédant la voie qu’il prolonge. Et c’est à elle qu’il revient de l’entretenir. Peu importe, par exemple, qu’un pont ait été construit par l’État lors du percement d’un canal, pour rétablir la circulation d’une route départementale : ce pont appartiendra au département. Ce qui vaut pour les routes vaut pour les voies ferrées : si un pont a été construit au-dessus d’une route pour le passage des trains, c’est la SNCF qui doit en assurer l’entretien.
Le propriétaire du pont n’échappe pas à sa responsabilité même s’il a conclu une convention de répartition de la charge financière de l’entretien avec le propriétaire de la voie surplombée. Afin de clarifier les responsabilités entre les personnes publiques, le législateur a même encouragé ces conventions (L. n° 2014-774 du 7 juillet 2014 visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies). Il n’est pas acquis que les signatures de ces conventions aient été nombreuses.
La commune de Mirepoix-sur-Tarn pourrait-elle voir sa responsabilité engagée ?
Les principes réglant cette question sont posés depuis très longtemps. Les victimes, usagers d’un ouvrage public, ont droit à réparation sur le fondement d’une faute présumée de défaut d’entretien normal de l’ouvrage. Et les victimes tierces à l’ouvrage, par exemple, le baigneur sous le pont, bénéficient d’un régime de responsabilité sans faute.
Ceci dit, même si depuis le XIXe siècle, le Conseil d’État a érigé un régime très protecteur en faveur de ces victimes, la responsabilité des personnes publiques n’est pas sans limites. Tout d’abord, l’administration peut démontrer qu’elle n’a pas commis de faute dans la conception de l’ouvrage ni manqué à ses obligations d’entretien. Ensuite, elle est exonérée de toute responsabilité si la victime est entièrement à l’origine de son dommage. En l’espèce, les premiers éléments indiquent que l’effondrement du pont trouverait son origine dans le poids du camion, très largement au-dessus des capacités du pont, capacités clairement indiquées à ses extrémités. C’est pourquoi le camionneur serait non seulement responsable de son dommage, mais aurait commis une contravention de voirie en causant la destruction du pont. Pour la jeune fille, il en va de même. Certes, le fait du tiers (le camionneur lui étant un tiers) n’exonère pas en principe l’administration de sa responsabilité mais celle-ci y échappe toutefois dans le cas où le dommage trouve sa cause exclusive dans le fait du tiers.
On voit ici que l’expertise quant à la cause directe du dommage sera déterminante pour la mise en cause ou non de la responsabilité de la commune de Mirepoix-sur-Tarn.
Qu’est-ce que le Plan Marshall que le Sénat réclamait ?
Après l’effondrement du pont de Gênes, une commission du Sénat a publié le 26 juin 2019 un rapport dénonçant le mauvais état de pas moins 25 000 ponts routiers en France. Elle appelait à les restaurer dans un délai de 10 ans, afin de prévenir des accidents. Pour cela, comme un investissement de plusieurs milliards des collectivités territoriales et de l’Etat était nécessaire, elle a utilisé, sans grande originalité, l’image du plan américain Marshall qui avait permis la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre Mondiale.
Si l’effondrement du pont de Mirepoix-sur-Tarn s’avérait effectivement dû au poids excessif du camion, il faudrait le dissocier de l’alarme lancée par ce rapport. Toutefois, sa lecture fait peur puisqu’il révèle que personne ne connaît le nombre exact de ponts routiers en France. Or il est difficile d’entretenir des biens que l’on ignore.
Quant au rapport sur les ponts appartenant à l’État que le Gouvernement avait commandité en juin 2018, le bilan n’est pas plus rassurant puisque plus d’une vingtaine de grands ponts nationaux nécessitent des travaux rapides. Quant aux autres, ils sont dans un mauvais état. Le gouvernement a annoncé qu’il allait augmenter l’enveloppe budgétaire pour leur entretien. Mais pour celui des ponts des collectivités territoriales, il est resté beaucoup moins précis. Or, alors même que l’entretien de leurs ponts constitue des dépenses obligatoires que le préfet devrait leur imposer d’engager, les collectivités territoriales n’ont pas les moyens financiers et techniques de les entretenir. Sans l’aide de l’État ou à moins de restaurer les péages sur tous ces ouvrages comme sous l’Ancien régime, on ne voit pas comment les communes notamment pourront faire face à leurs obligations d’entretien.
Ces rapports auront au moins une vertu juridique : si les ponts qu’ils mentionnent viennent à s’écrouler, il sera difficile pour les collectivités publiques de plaider l’absence de défaut d’entretien normal. Pas sûr que cette facilité processuelle consolera les victimes.
Pour aller plus loin :
Par Norbert Foulquier.