« Œil pour œil, dent pour dent » ou quand la Chine adopte une législation en réponse aux sanctions occidentales
Par Alan Hervé, Professeur à Sciences Po Rennes, titulaire d’une Chaire Jean Monnet en droit de l’Union européenne.
Par Alan Hervé, Professeur à Sciences Po Rennes, titulaire d’une Chaire Jean Monnet en droit de l’Union européenne
Le 10 juin 2021, la Chine a adopté une loi visant à contrer les sanctions étrangères. Cette loi, qui constitue un instrument offensif en réplique à la multiplication des sanctions qui visent actuellement le régime chinois et ses dignitaires s’inscrit pourtant selon Pékin dans le respect du droit et de la légalité internationale.
Pour quelles raisons la Chine s’est-elle dotée d’un nouvel instrument visant à contrer les sanctions étrangères ?
Sur le plan juridique, l’utilité d’un tel mécanisme est probablement limitée dès lors que les autorités chinoises n’avaient pas eu besoin d’une telle base pour sanctionner des ressortissants étrangers en raison de leurs prises de position jugées hostiles aux intérêts et à la souveraineté chinoise. Il en a été ainsi en mars dernier des mesures qui ont visé plusieurs universitaires et responsables politiques européens, dont l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, après que l’Union européenne, suivie du Royaume Uni, a adopté des sanctions à l’encontre de quatre hauts fonctionnaires chinois en poste au Xinjiang et d’une entité (le bureau de la sécurité publique) en raison des actes commis dans cette région autonome à l’encontre des minorités Ouigours. Ces mesures s’ajoutaient à celles visant des personnalités étatsuniennes et canadiennes ce qui montre la détermination chinoise à réagir avec fermeté à toutes condamnations étrangères de faits commis sur son territoire.
Cependant, la Chine ne disposait pas jusqu’à présent d’une législation de base consacrée à ce type de contre-mesures. C’est désormais chose faite avec cette loi que vient d’approuver le Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire, ce qui permet son application immédiate. Le texte, qui comprend une quinzaine d’article, est formellement assez concis. Sa fonction est éminemment politique. Tant sur le plan interne qu’à l’égard de la scène internationale, en particulier des pays occidentaux, il s’agit d’adresser un message sans équivoque : les sanctions adoptées contre la Chine ne resteront pas sans réaction. Le régime Chinois est en effet soucieux de répondre avec fermeté à une multiplication des sanctions sans précédent depuis la répression qui avait suivi les manifestations de la place Tiananmen.
En quoi consiste le dispositif chinois ? Quels sont les intérêts susceptibles d’être visés ?
Cette loi se fonde d’abord sur un discours, une vision générale de l’ordre international tel que la Chine le perçoit, à l’aune de l’histoire contemporaine et probablement aussi du traumatisme de son occupation par des puissances étrangères et des effets de lois et de mesures extraterritoriales longtemps imposées par les occidentaux sur son territoire. La loi entend ainsi combattre toute immixtion dans les affaires intérieures de l’Etat chinois, au nom du respect de sa souveraineté. Ce faisant, la Chine se présente comme victime d’une agression, une nouvelle fois commise par des puissances étrangères qui souhaitent nuire à son développement, et se réclame du droit de prendre des « contre-mesures » d’une teneur comparable.
Le texte contient des références nombreuses au droit international et aux principes du multilatéralisme, l’article 2 de la loi évoquant plusieurs principes tirés de la Charte des Nations Unies, tels que le principe d’intégrité territoriale, la non-agression ou encore la non-ingérence dans les affaires intérieures de l’État. La loi évoque même la nécessaire coopération internationale et promeut une « communauté de destin pour l’humanité » (推动构建人类命运共同体). C’est sans doute la seule réponse, très indirecte, aux accusations formulées à l’encontre de sa politique menée à l’égard de certaines de ses minorités.
À la lecture du texte, il apparaît pourtant que cette loi repose principalement sur un impératif de sécurité nationale (article 1er). En pratique, cela justifie la possibilité de sanctionner des individus ou des groupements de toute nature (Think Tank, associations, entreprises), quels que soient leurs lieux de résidence ou d’établissement. La procédure en témoigne également. C’est au Conseil d’État, soit au Gouvernement central chinois, de décider d’inscrire sur la liste des contre-mesures les personnes et les organisations qui participent « directement ou indirectement à l’élaboration, à la décision et à la mise en œuvre des mesures » visant la Chine (article 4). Le spectre des personnes visées est ici extrêmement large et les motivations délibérément imprécises. De surcroit, les conjoints et membres de la famille immédiate des personnes visées ou encore les cadres et dirigeants des entreprises dans lesquelles elles travaillent peuvent également être sanctionnés, tout comme les organisations qui sont contrôlées par les individus ou groupements visés (article 5). Quant aux mesures susceptibles d’être appliquées, la loi chinoises reprend en pratique, par un effet miroir, celles autorisées au titre des sanctions occidentales, en particulier la récente législation européenne destinée à sanctionner les plus graves violations des droits humains commises dans des pays tiers. Les personnes visées peuvent ainsi se voir opposer un refus d’entrée sur le territoire chinois ou en être expulsées, leurs biens et avoirs localisés en Chine confisqués et saisis. Il en va de même des entreprises, ce qui constitue une menace adressée à celles qui sont établies ou disposent de filiales présentent en Chine. La loi chinoise réserve en outre le droit d’adopter « d’autres mesures nécessaires », sans préciser lesquelles…
L’article 7 de la loi souligne que les décisions prises par le Conseil d’État sont définitives, ce qui laisse entendre qu’elles ne sauraient être contestées sur le plan administratif, et moins encore juridictionnel. « En fonction de l’évolution des circonstances », le Conseil d’État pourra toutefois décider de modifier ou d’annuler la mesure.
Le dispositif veille enfin à assurer une mise en œuvre effective des contre-mesures et s’appuie pour ce faire non seulement sur les organes de l’État, y compris à l’échelon local, mais également sur l’ensemble des citoyens et entreprises chinoises, que ceux-ci résident ou soient établis en Chine ou à l’étranger. Ces personnes physiques et morales se voient interdire toute collaboration ou participation à la mise en œuvre de sanctions à l’encontre des intérêts chinois (article 12) et sont dans l’obligation de participer à la mise en œuvre des contre-mesures (article 14).
Quelle est la légalité de ce dispositif du point de vue du droit international ?
On doit au préalable rappeler que rien n’empêche un État souverain de décider d’adopter des sanctions à l’encontre de personnalités ou d’entités étrangères, y compris pour des faits qui ne sont pas commis en dehors de son territoire dès lors que, dans son exécution, la mesure respecte le principe de territorialité. La Cour permanente internationale de justice a ainsi, dans sa fameuse jurisprudence du Lotus (1928), distingué l’exercice de la compétence normative, admise par le droit international, de celle de la compétence d’exécution, prohibée dès lors qu’elle est extraterritoriale et contredit le principe de non-ingérence. Ainsi, du point de vue de la légalité internationale, rien n’empêche l’Union ou un de ses États membres de sanctionner, sur son territoire, une personnalité ou une entreprise en raison de faits, en l’occurrence des violations graves des droits humains, commis en Chine. Il ne peut en aller autrement que si ces sanctions violent des engagements conventionnels spécifiques – par exemple des règles issues de l’OMC – ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce.
On peut formuler le même constat s’agissant de la législation chinoise. La Chine peut décider de sanctionner qui bon lui semble dès lors que cette personne entre en contact avec sa juridiction. Il en va ainsi du refus d’accorder un visa ou de geler des avoirs appartenant à des étrangers et localisés en Chine. Le fait de viser, au-delà des personnes incriminées, les membres de leur famille, peut certes paraître éloigné des standards de responsabilité individuelle tels qu’ils sont appliqués dans notre système juridique. Mais il s’agit là encore d’une question qui relève du choix souverain de la Chine et l’on rappellera que plusieurs législations américaines, notamment la loi Helms-Burton de 1996 destinée à sanctionner le régime castriste, ont de longue date permis des mesures comparables.
Reste à savoir cependant quels moyens seront effectivement déployés par la Chine pour l’exécution des contre-mesures, d’autant que le dispositif est délibérément flou concernant le type de mesures susceptibles d’être adoptées ou encore les obligations qui pèsent sur les citoyens et entreprises situés en dehors du territoire chinois. La ligne rouge en termes de légalité concerne la possibilité de recourir à des mesures d’exécution extraterritoriale. Une atteinte à l’intégrité des personnes en dehors du territoire chinois relèverait à l’évidence de cette catégorie. Mais il est probable que, dans un tel cas, à l’instar des autres États, la Chine s’abstiendrait de reconnaître expressément une base légale à ce type de pratique.
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