Médiation en période de crise sanitaire : maintenir le lien social, résoudre les conflits, envers et contre tout !
Natalie Fricero, professeur à l’Université Côte d’Azur, Directeur académique du Pôle Droit et déontologie à l’IFOMENE, Membre du Conseil supérieur de la magistrature.
Natalie Fricero, professeur à l’Université Côte d’Azur
Directeur académique du Pôle Droit et déontologie à l’IFOMENE
Membre du Conseil supérieur de la magistrature
La médiation, comme les autres modes amiables de résolution des différends, pourrait bien connaître un développement souhaité depuis longtemps. La période de crise sanitaire a affecté toutes les juridictions, déjà grandement perturbées par un important mouvement de grève des avocats défendant leur système de retraite. La reprise de l’activité juridictionnelle post-covid-19 sera probablement lente, difficile et semée d’embûches… Les juridictions devront réaudiencer les affaires qui avaient été renvoyées, différencier le traitement des affaires nouvelles en fonction de l’urgence plus ou moins caractérisée et de la matière concernée (affaires familiales, référé), gérer les nouvelles demandes qui ne manqueront pas d’exploser avec des contentieux propres à la mise en œuvre des dispositions dérogatoires…
Les magistrats comme les professionnels du droit songent dans ces conditions à s’orienter vers les modes amiables. Parmi eux, la médiation nous retiendra parce qu’elle a été impactée par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 et que la crise sanitaire va contraindre les médiateurs à une révolution numérique !
Dispositions dérogatoires relatives à la médiation judiciaire
L’évolution de la crise sanitaire rend aléatoire l’analyse des dispositions dérogatoires et les praticiens doivent rester vigilants aux modifications successives des ordonnances !
L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période a prévu dans son article 3 « Les mesures administratives ou juridictionnelles suivantes et dont le terme vient à échéance au cours de la période définie au I de l’article 1er sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de cette période : 1° Mesures conservatoires, d’enquête, d’instruction, de conciliation ou de médiation ; ». La période d’urgence prévue à l’article 1er est ainsi définie : « I. ‒ Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée ».
Il convenait donc d’articuler ces deux dispositions : la date de la fin du délai «d’urgence sanitaire» fixée au 24 mai 2020 par la loi du 23 mars 2020 ; à cette date du 24 mai (date actuelle de la fin de l’état d’urgence) s’ajoute 1 mois portant un premier délai à compter du 24 juin 2020 selon l’article 1-I de l’ordonnance du 25 mars 2020 ; à compter du 24 juin 2020 les mesures concernées par l’article 3 de l’ordonnance du 25 mars 2020 sont donc prorogées de plein droit dans un second délai butoir de 2 mois soit au plus au 24 août 2020.
En annonçant lundi 13 avril la fin progressive du confinement à compter du 11 mai 2020, le président de la République a nécessairement fait évoluer la « période juridiquement protégée », qui n’avait été fixée qu’à titre provisoire par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 au 24 juin 2020.
L’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 (publiée au Journal officiel du 16 avril 2020), vient modifier l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19. Le rapport au Président de la République souligne que la situation n’est que provisoire : la date d’achèvement du régime dérogatoire devra être réexaminée dans le cadre des mesures législatives de préparation et d’accompagnement de la fin du confinement « pour accompagner, le cas échéant plus rapidement qu’il était initialement prévu, la reprise de l’activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais ». Il faudra donc être attentif aux évolutions dues à l’aménagement de la fin du confinement…
Pouvoirs du juge sur la mesure de médiation pendant la période protégée
S’agissant de la médiation judiciaire, l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 est modifié par l’ordonnance n° n° 2020-427 du 15 avril 2020.
Le dernier alinéa de l’article 3 de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoyait : « Toutefois, le juge ou l’autorité compétente peut modifier ces mesures, ou y mettre fin, lorsqu’elles ont été prononcées avant le 12 mars 2020 ».
Il est remplacé par un alinéa ainsi rédigé : « Les dispositions du présent article ne font pas obstacle à l’exercice, par le juge ou l’autorité compétente, de ses compétences pour modifier ces mesures ou y mettre fin, ou, lorsque les intérêts dont il a la charge le justifient, pour prescrire leur application ou en ordonner de nouvelles en fixant un délai qu’il détermine. Dans tous les cas, le juge ou l’autorité compétente tient compte, dans la détermination des prescriptions ou des délais à respecter, des contraintes liées à l’état d’urgence sanitaire. »
Le rapport au Président de la République précise que cette modification est destinée à interpréter le pouvoir du juge en ce qui concerne la prorogation des mesures juridictionnelles en cours, « afin que cette prorogation de plein droit ne puisse pas être interprétée comme un dessaisissement des autorités compétentes ». Le nouvel alinéa précise donc que la prorogation ne fait pas obstacle à ce que le juge modifie la mesure de médiation, y mette fin ou encore, si les intérêts dont ils ont la charge le justifient, prescrive leur application ou en ordonne de nouvelles pour la durée qu’il détermine. Il résulte de la nouvelle rédaction de l’article 3 prévoit une prorogation supplétive qui joue en l’absence de décision prise par l’autorité compétente dans la période juridiquement protégée. S’agissant des mesures que l’autorité pourrait ordonner pendant cette période, il lui incombe de prendre en considération les difficultés résultant de la crise sanitaire, et, notamment, de l’impossibilité de réunir en présentiel les parties, le médiateur.
Plusieurs dispositions du code de procédure civile permettent en effet au juge qui a prescrit une médiation judiciaire de la modifier, d’y mettre fin ou de proroger sa durée. Ces prérogatives pourront s’exercer même durant la période protégée (à condition que les juridictions retrouvent une activité durant cette période…). Ainsi, le juge peut prendre à tout moment les mesures qui lui paraissent nécessaire (art. 131-2 du code de procédure civile), il peut renouveler la durée de 3 mois de la médiation (art. 131-3du code de procédure civile) ; peut mettre fin, à tout moment, à la médiation sur demande d’une partie ou à l’initiative du médiateur. Le juge peut également y mettre fin d’office lorsque le bon déroulement de la médiation apparaît compromis (art. 131-10 du code de procédure civile).
Prorogation de plein droit de la durée de la médiation judiciaire
S’agissant de la mesure de médiation judiciaire, elle est toujours prorogée de plein droit pour une durée de deux mois à compter de l’expiration de la période définie au I de l’article 1er, dès lors que son échéance est intervenue dans cette période, sauf si elle est levée ou son terme modifié par l’autorité compétente entre temps.
On sait qu’une médiation est prévue pour une durée initiale fixée par le juge pour une durée initiale qui ne peut excéder 3 mois (art. 131-3 du code de procédure civile). Si l’échéance de ces 3 mois se situe avant l’expiration de la période prévue à l’article 1er-I de l’ordonnance 2020-306, il y a prorogation de plein droit pour un délai de 2 mois. La difficulté en la matière, pour préciser l’échéance, est de déterminer le point de départ de la durée de la médiation judiciaire, compte tenu des pratiques différentes des juridictions.
Il faut donc se référer à la décision du juge qui désigne le médiateur et fixe le point de départ de la médiation : cette date peut être fixée au jour de la décision désignant le médiateur, ou au jour de la consignation au greffe de provision (art. 131-6 CPC ; observons que le texte doit permettre une consignation de la provision directement entre les mains du médiateur sans passer par le greffe ; en effet, contrairement aux dispositions prévues à l’article 269 du CPC qui, en matière d’expertise judiciaire, indiquent que le juge désigne la ou les parties qui devront « consigner la provision au greffe de la juridiction », l’article 131-6 CPC ne renvoie pas expressément à une consignation au greffe de la juridiction…); au jour où le greffe notifie la copie par lettre simple au médiateur de la décision de médiation (art. 131-7 CPC) ; au jour où le médiateur fait connaître au juge son acceptation (art. 131-7, al. 2 CPC) ; ou enfin au jour de la première réunion de médiation.
Cette dernière modalité est de loin celle qui ménage au mieux les intérêts des acteurs concernés et des parties : en effet, le médiateur convoque les parties, et, en fonction de leur disponibilité, il est possible que la première réunion se tienne plusieurs semaines après la désignation du médiateur, ce qui réduit d’autant le temps utile pour mener à bien le processus de médiation. Le délai de 3 mois doit donc par préférence courir à compter de la première réunion de médiation. Si l’échéance de cette durée tombe durant la période protégée, la médiation sera prorogée de plein droit de 2 mois (sous réserve que le juge n’y mette pas fin avant).
La prorogation de plein droit joue également si la médiation avait été renouvelée par le juge pour une nouvelle durée de 3 mois à la demande du médiateur (art. 131-3 CPC), et que le terme de cette nouvelle durée se situe dans la période juridiquement protégée.
La révolution numérique de la médiation judiciaire et conventionnelle
L’impossibilité d’assurer un processus de médiation « en présentiel », conséquence directe de la crise sanitaire, a déjà impacté la médiation, qu’elle soit judiciaire ou conventionnelle. Elle donnera sans doute l’occasion de réinventer la résolution des contentieux, au moins pendant la phase de restauration de la justice étatique.
Les expériences actuelles de digitalisation de la médiation révèlent que l’outil informatique permet de faciliter le recours au médiateur par la formation d’une demande en ligne, la gestion dématérialisée du processus dans le cadre d’un espace privé de discussion en ligne, qui peut être accompagné de visioconférence. Les échanges sont sécurisés et les données personnelles protégées. Mais il ne s’agit pas d’un traitement automatisé : le médiateur qui diligente le processus est une personne physique qui peut justifier d’une formation à la médiation.
C’est ainsi que les acteurs professionnels ont mis en place des plateformes de médiation, afin de permettre la résolution de litiges en dépit de l’arrêt de l’activité juridictionnelle (d’autres médiations sont diligentées selon des processus dématérialisés : la médiation du crédit, la médiation des entreprises, la médiation du défenseur des droits etc). On peut citer, sans être exhaustif :
- l’initiative du Barreau de Paris, qui a créé une médiation conventionnelle par visio conférence sur la plateforme du barreau de Paris, avec des avocats médiateurs s’engageant à effectuer des médiations en urgence pour les litiges entre les parents relatifs aux modalités d’exercice de l’autorité parentale dans le cadre du confinement (résidences alternées, passage des enfants d’une résidence à l’autre…). Le groupe de médiation familiale d’urgence est composé d’avocats médiateurs volontaires. Eu égard à l’urgence des situations et à l’impossibilité d’obtenir une solution juridictionnelle, le médiateur propose un entretien individuel dans les 24/48 heures suivant sa désignation. Pour garantir les droits de la défense, la présence des avocats durant la médiation est assurée, et le justiciable qui n’est pas assisté par un avocat est encouragé à consulter la plateforme des avocats mise en place par le Conseil national des Barreaux pour en trouver un. Il s’agit d’une médiation conventionnelle soumise au droit commun des médiations (article 1532 et s. du Code de procédure civile). Les honoraires sont fixés au forfait ou fixes. En cas d’accord, le juge aux affaires familiales pourra homologuer durant la période de confinement, si l’activité juridictionnelle est possible.
- les Huissiers de justice ont lancé un service de résolution des litiges (urgence-mediation.fr) par leur plateforme de médiation medicis.fr. Le processus permet aux particuliers et professionnels (TPE et PME) d’avoir recours à un processus de médiation pour trouver une solution à leurs conflits (par exemple, loyer impayé, facture à régler, report d’une mensualité de prêt, différend de voisinage…). Le service est gratuit et sera assuré pendant toute la durée du confinement pour un litige né pendant la période de confinement. La plateforme permet le dépôt du dossier qui précise la nature du litige et le montant de la créance, avec les pièces justificatives nécessaires. Un huissier de justice médiateur prend en charge la demande et assure gratuitement le traitement du dossier, la prise de contact avec les parties et la tentative de médiation. Il établit un procès-verbal de médiation.
Si le montant de la créance réclamé, en principal et intérêts n’excède pas 5 000 euros, l’huissier de justice, en cas d’accord des parties, peut délivrer un titre exécutoire (art. R. 125-6 code des procédures civiles d’exécution ; les huissiers de justice sont habilités à délivrer des titres exécutoires à l’issue d’une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, art. R. 125-1 et s. Code des procédures civiles d’exécution)
Nouvelles problématiques
D’abord, la mise en place de ces processus dématérialisés soulève la question de la généralisation de la médiation numérique. N’est-il pas opportun, pour permettre une reprise plus sereine de l’activité juridictionnelle, que le ministère de la Justice crée une plateforme publique de médiation ? (F. Vert et N. Fricero, La médiation face aux enjeux du numérique et du service public de la justice : quelles perspectives ? Dalloz Actu 14 févr. 2018), suivant en cela le modèle du « Forum des droits sur l’internet », une expérience innovante menée par la cour d’appel de Paris pour faire face, notamment, à l’augmentation des litiges liés à l’utilisation d’internet ? Le rapport de P. Delmas Goyon (Le juge du 21e siècle, un citoyen acteur, une équipe de justice, déc. 2013) rappelle cette expérience en regrettant son arrêt, et formule une préconisation n°17 ainsi libellée : « Créer une plate-forme de règlement en ligne des litiges répondant à l’objectif de favoriser, par le recours aux nouvelles technologies numériques, la résolution amiable des conflits »… Une proposition visionnaire ?
Ensuite, il faudra régler dans l’urgence la question de la formation des médiateurs à l’usage des outils numériques. A défaut, on risque d’assister à une « fracture numérique » au sein même des médiateurs…
Enfin, les médiateurs devront réfléchir à leurs nouvelles pratiques : le processus de médiation en présentiel fait appel à des compétences qui nécessiteront des adaptations au numérique.
L’avenir nous dira si des leçons ont été tirées de la crise sanitaire !
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