Par Eudoxie Gallardo, Maître de conférences HDR, Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles, UR 4690, Aix-Marseille Université

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, le nombre de mineurs non accompagnés (MNA) présents sur le territoire français serait estimé à environ 16 000 en 2020. La plupart des MNA sont des garçons âgés de 15 à 18 ans. Que ce soit pour la mise en place de la protection civile au titre de l’enfance en danger (article L. 112-3 du CASF) ou pour que soient appliquées les dispositions spécifiques du droit pénal des mineurs (Ordonnance du 2 février 1945 et à compter du 30 septembre 2021, le CJPM), l’identification des personnes étrangères se déclarant privées temporairement ou définitivement de la protection de leurs représentants légaux est cruciale.

Comment déterminer l’âge et l’identité des mineurs non accompagnés ?

Lorsqu’une personne invoquant être MNA est identifiée par la Police aux frontières (PAF) ou par les services du département, un accueil provisoire d’urgence de cinq jours est mis en place par le président du conseil départemental. Au cours de cet accueil, des investigations vont être menées afin d’évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement (art. R. 221-11 du CASF). Des entretiens seront ainsi menés par une équipe pluridisciplinaire (art. R. 221-11 du CASF) relevant des services du département. Ces entretiens qui ne peuvent en aucun cas se limiter à l’apparence physique de la personne, « doivent permettre de déterminer si la personne est bien mineure et isolée en prenant appui sur la vraisemblance de son récit de vie et sa cohérence par rapport à l’âge allégué » (Guide des bonnes pratiques en matière d’évaluation de la minorité et de l’isolement, p. 19, déc. 2019). S’agissant des documents d’identité, ceux-ci font foi s’ils sont rédigés dans les formes usitées du pays d’origine, sauf « si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité » (art. 47 du Code civil). Des vérifications peuvent être faites auprès de la PAF ou de la préfecture. Ce n’est donc qu’en cas de doute sur la validité de l’acte produit et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable que l’on pourra recourir à des examens radiologiques osseux.

Quand et comment recourir à des examens osseux ?

La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance a encadré la pratique des examens osseux en complétant l’article 388 du Code civil, d’un alinéa 2 : « Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé. ». Les conclusions de ces examens (radiographie de la main ou d’un scanner de la clavicule) doivent préciser la marge d’erreur, ce que contrôle la Cour de cassation (Cass. crim., 11 déc. 2019, n° 18-84.938). En cas de doute, celui-ci profitera à l’intéressé.

En outre, tout recours à un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires est exclu.

Le législateur a donc fait le choix de maintenir les tests osseux en dépit des critiques selon lesquelles cette méthode se fonde « sur des tables de référence anciennes et non adaptées et ne prenant pas en compte l’histoire ethnique et culturelle du mineur », et qui, de ce fait, « comporte une marge d’erreur importante », (Me Meier-Bouleau, « La détermination de la minorité », in Dossier, « Mineurs isolés étrangers », AJ Famille, 2014, p. 97). Le Conseil constitutionnel a pourtant considéré ces tests conformes à la Constitution, dans sa décision 2018-768 QPC du 21 mars 2019, en dégageant par la même occasion l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, tiré des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946. Les garanties prévues par le législateur, à savoir l’intervention de l’autorité judiciaire, son caractère subsidiaire, le recueil du consentement de l’intéressé dans une langue qu’il comprend, l’indication de la marge d’erreur et l’impossibilité de déduire l’âge d’une personne sur cet unique fondement, sont apparues suffisantes (cons. 8 à 11). Le Conseil précise également que « la majorité d’une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux » (cons. 10).

Dans une seconde décision, en date du 26 juillet 2019, le Conseil constitutionnel a admis le fichage biométrique des MNA, créé par le décret du 30 janvier 2019, sur le fondement de l’article L. 611-6-1 du CESEDA (Cons. Constit, n° 2019-797 QPC du 26 juillet 2019). Appelé « fichier d’appui à l’évaluation de la minorité » (AEM), ce fichier conserve les empreintes digitales ainsi qu’une photographie des personnes se déclarants MNA pour une durée « strictement nécessaire à leur prise en charge et à leur orientation, en tenant compte de leur situation personnelle ». Le Conseil d’État a également validé ce fichier (CE, 5 février 2020, n° 428478, 428826, Décret mineurs étrangers non accompagnés). Il ne peut être utilisé à des fins pénales.

Comment cette détermination de l’âge se fait-elle au pénal ?

La note du 5 septembre 2018 relative à la situation des MNA faisant l’objet de poursuites pénales entend régler la situation des MNA faisant l’objet de poursuites pénales, en précisant que « rien n’indique que [le président du conseil départemental] doive y procéder dans un cadre pénal ».

Cette évaluation ne ressort pas de la compétence de la protection judiciaire de la jeunesse. C’est essentiellement au cours de la garde à vue que les enquêteurs ont la charge de cette détermination. Cette évaluation repose sur la combinaison d’un faisceau d’indices, dont les auditions de la personne, les vérifications de l’authenticité des documents d’identité et la comparaison des empreintes digitales avec celles contenues dans le FAED. Si le doute persiste, il sera procédé, en présence d’un interprète, à un examen médico-légal comprenant un examen clinique, un examen dentaire, et un test osseux dans les conditions du Code civil (annexe 1, note du 5 septembre 2018).

Un récent rapport sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de MNA, met en exergue les difficultés d’identification des MNA délinquants. En particulier, s’agissant des relevés d’empreintes, les mineurs les refuseraient systématiquement (J.-F. Eliaou et A. Savignat, rapport d’information sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, Assemblée nationale, 10 mars 2021, p. 24 et s.). A ce constat s’ajoute la prévision de faibles peines en cas de refus ainsi que leur rare prononcé. De ce fait, de nombreux « mineurs-majeurs » bénéficient à la fois des dispositions protectrices de l’enfance en danger (avec un encombrement des services du département, une occupation de places d’hébergement au détriment des « vrais » mineurs) et des dispositions favorables du droit pénal des mineurs (durée de la garde à vue, de la détention provisoire, diminution des peines, etc…). Ce rapport fait écho à plusieurs propositions de lois enregistrées, à l’automne, à la présidence de l’Assemblée Nationale qui tendent à rendre obligatoires les tests osseux et à instituer une présomption de majorité en cas de refus de procéder à ces examens. L’une d’elle, (Proposition n°3443, visant à mieux lutter contre la fraude à l’identité dans le cadre des mineurs non accompagnés), examinée le 25 mars 2021, en séance publique, n’a pas été adoptée.

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