Les captives sont-elles une solution à la crise assurantielle ?
Par Luc Mayaux, Professeur à l’Université Jean Moulin (Lyon III), Directeur de l’Institut des assurances de Lyon.
Par Luc Mayaux, Professeur à l’Université Jean Moulin (Lyon III), Directeur de l’Institut des assurances de Lyon
Dans le contexte de l’actuelle pandémie, la presse spécialisée se fait l’écho de réflexions gouvernementales visant à favoriser la création en France de sociétés d’assurances captives (S. Poullennec, « Covid : les entreprises incitées à créer leur propre assureur », Les Echos, 7 janv. 2021). Elles font suite aux vœux du ministre de l’Économie que les entreprises, plutôt que d’être bénéficiaires d’une « garantie pandémie », obligatoire mais coûteuse, puissent « mettre de l’argent de côté » pour l’utiliser ultérieurement dans des conditions fiscales favorables. Elles participent du débat actuel sur l’assurabilité du risque pandémique, dont on a encore montré, récemment, qu’elle était difficilement envisageable (D. Kessler, « Le risque pandémique n’est pas assurable »). Encore faut-il savoir ce qu’est une captive, à quoi elle pourrait servir, et si elle ne connaît pas certaines limites.
Qu’est-ce qu’une captive ?
La notion de « captive » demande à être précisée, spécialement au regard des annonces gouvernementales qui conservent une part de flou. Le ministre paraît viser toute forme d’« auto-assurance », y compris la plus simple qui consiste à provisionner des sommes en vue de sinistres futurs (le fameux : « mettre de l’argent de côté »). Il ne s’agit pas alors de s’assurer auprès d’un tiers mais de se protéger soi-même. Ainsi compris, le terme « auto-assurance » apparaît comme un oxymore (car s’assurer, c’est normalement transférer la charge du risque sur autrui). Est en cause un procédé simple, mais coûteux fiscalement pour l’entreprise. Par hypothèse, parce que l’assurance suppose un aléa, les sinistres futurs sont incertains et pas probables. A priori, un provisionnement en franchise d’impôt est donc exclu, sauf à ce que les pouvoirs publics travaillent à une dérogation (ce à quoi ils paraissent s’employer).
Dans un sens étroit, celui retenu par les risk managers, la captive est, au contraire, une société d’assurance à part entière, dont la création est suscitée par l’entreprise qui cherche à couvrir ses risques. Son particularisme est qu’elle ne comporte qu’un assuré (ou un petit nombre d’assurés : la société mère et ses filiales), et qu’elle fait partie du même groupe que lui. La captive est ainsi doublement prisonnière : de son actionnariat et des risques à couvrir. Un profane pourrait en déduire que l’objectif visé (couvrir des risques) est impossible à atteindre, faute de mutualisation. Mais, c’est oublier que celle-ci peut être réalisée à un niveau supérieur, celui de la réassurance. Grâce à cette dernière, qui est mondiale, « toutes les captives du monde peuvent se donner la main ». La mutualité est restaurée et son équilibre peut être assuré. L’obstacle n’est donc pas technique mais – là encore – fiscal. Les primes sont déductibles, mais les résultats (si la captive est bénéficiaire) sont imposables. Cela ne fera pas l’affaire de l’actionnaire principal, mais nous paraît logique sauf à introduire une inégalité de traitement entre la formule de la captive et celle d’un assureur « externe » dont les résultats sont imposés, ce qui a une incidence sur le montant des primes qu’il réclame. Quoiqu’il en soit, la conséquence est que la captive sera très généralement domiciliée dans un paradis fiscal. Pour l’éviter et favoriser l’installation des captives en France, il faut des avantages fiscaux, comme en témoignent aussi les travaux en cours.
Pourquoi avoir recours à une captive ?
Pour que la captive soit captivante, il ne faut pas seulement un statut fiscal favorable. Il faut également qu’elle réponde à un réel besoin, en permettant de couvrir ce que l’assurance classique ne couvre pas ou ne couvre plus, ou en offrant une garantie à un moindre coût. De fait, les captives actuelles interviennent souvent « en première ligne », c’est-à-dire pour les sinistres petits mais fréquents, pour lesquels la vraie assurance est trop chère, notamment en raison de coûts de gestion par sinistre importants et d’un risque élevé d’aléa moral (l’assuré cherchant à « se rembourser » de la prime en déclarant des sinistres « à tout va »). La captive, dans laquelle l’assuré a des intérêts est mieux à même de maîtriser cela (comme d’ailleurs, dans le secteur des risques du particulier, l’assurance collaborative). Elle permet de réduire le montant de la franchise et sera complétée par l’assurance classique au-delà d’un certain plafond (suivant le mécanisme dit des « assurances en lignes », où les assureurs externes interviennent pour les lignes supérieures). Le plus souvent, la captive intervient donc moins en remplacement de l’assurance classique qu’en complément, pour la première tranche du sinistre. Elle constitue aussi un moyen de pression sur les assureurs externes qui est utilisé toutes les fois où, comme aujourd’hui, le cycle des primes repart à la hausse. La menace (qui n’est pas forcément destinée à être exécutée) est de « quitter le marché » par recours à des solutions alternatives. L’initiative peut être isolée (par le recours à une captive) ou collective (passant alors par la constitution de mutuelles regroupant plusieurs entreprises). Elle n’est pas nécessairement utopique. Dans le passé, c’est bien ainsi que se sont créées les mutuelles, en réaction contre les assurances capitalistes, « à prime fixe », jugées trop gourmandes et inadaptées aux besoins en couverture de telle population d’assurés. Avec les tensions nées de la crise du Covid, on retrouve aujourd’hui cette idéologie anticapitaliste qui dérive en anti-assureur.
Quelles limites pour les captives ?
La première est liée à leur coût de constitution. À la différence de l’auto-assurance pure et simple, la captive est lourde et chère à mettre en place. S’agissant de créer une véritable société d’assurance, il faut demander l’agrément de l’autorité de contrôle et mobiliser des fonds propres importants (car les exigences de solvabilité sont les mêmes que pour un assureur externe). Tout cela est inaccessible pour des entreprises petites ou moyennes, sauf à ce qu’elles se fédèrent pour constituer une captive commune. L’autre limite, plus difficile à surmonter, tient au risque à couvrir. S’il s’agit d’aller au-delà des « petits risques » en indemnisant les sinistres de forte intensité et de faible fréquence, voire catastrophiques, le recours à des assureurs externes (pour les lignes supérieurs) et à la réassurance est, comme on l’a vu, impératif. Or, en raison de l’opposition des réassureurs à la couverture du risque pandémique (qui a conduit récemment à l’instauration, dans les polices d’assurance, de « clauses Covid » tendant à l’exclure), les captives ne peuvent être la solution ou seulement une solution très partielle (la prestation ne pouvant être que forfaitaire et de faible montant). Par ailleurs, le caractère facultatif du dispositif (chaque entreprise ayant le choix de créer ou non sa captive, d’adhérer ou non à une captive commune) rend celui-ci inopérant. On ne peut couvrir un risque catastrophique sans élargir l’assiette des cotisations (les entreprises dont l’activité est faiblement menacée par un tel risque, comme les « grandes surfaces », payant pour les autres). À cet égard, l’auto-assurance ne peut-être une alternative à l’assurance obligatoire. Elle est seulement un alibi pour justifier son abandon. Celui-ci n’est d’ailleurs pas nécessairement une mauvaise chose. Pour un risque d’une telle ampleur et d’une périodicité aussi longue, une prise en charge directe par la puissance publique (et donc par le contribuable) est peut-être la meilleure solution.