Le maire ne peut pas interdire l’usage du glyphosate sur le territoire de sa commune
Par Michel Degoffe, Professeur de droit public à l’Université de Paris.
Par Michel Degoffe, Professeur de droit public à l’Université de Paris
Dans une décision du 31 décembre 2020 (n°439253), le Conseil d’État a confirmé l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Melun qui avait suspendu l’exécution d’un arrêté du maire d’Arcueil interdisant certains usages d’un produit phytopharmaceutique, le glyphosate, sur le territoire de sa commune. Le juge des référés avait été saisi par le préfet sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative. Cet article permet au préfet d’obtenir, plus aisément que dans les conditions du droit commun (art. L. 551-1 du même code), la suspension de l’acte d’une collectivité territoriale. Par cette décision, le Conseil d’État confirme un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris qui avait rejeté l’appel interjeté par la commune contre l’ordonnance du juge des référés.
Par cette décision, le Conseil d’État confirme sa volonté d’exclure, sauf exception, toute intervention de l’autorité de police municipale dans la réglementation des produits phytopharmaceutiques dès lors qu’il existe une police spéciale confiée au ministre.
La décision rendue par le Conseil d’État est-elle inédite ?
La décision du Conseil d’État sera mentionnée dans les tables du recueil Lebon. Elle doit donc retenir l’attention. Mais son intérêt principal réside dans le fait que c’est la première fois que le Conseil d’État affirme sa position à propos d’arrêtés municipaux interdisant l’usage du glyphosate sur le territoire de leur commune. En cela, le Conseil d’État ne fait que confirmer la solution retenue par toutes les ordonnances de juge des référés et arrêts des cours administratives d’appel à l’exception d’une seule, celle du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Saisi d’arrêtés municipaux interdisant l’usage du glyphosate, ce dernier avait refusé de les suspendre en s’appuyant sur deux arguments : d’une part, le ministre détient bien la police administrative spéciale en la matière mais puisqu’il ne l’a pas exercée, le maire est habilité à pallier cette carence. D’autre part, les produits phytopharmaceutiques et, en particulier, le glyphosate, sont dangereux ce qui justifie l’action des maires (TA Cergy-Pontoise ordonnance, du 8 novembre 2019, n° 1912600). Les autres juges de référés, les cours administratives d’appel, en ont tous jugé autrement. Ainsi, la cour administrative d’appel de Paris, à propos d’un arrêté du maire de Fresnes, a jugé que le maire ne saurait s’immiscer « dans l’exercice de la police spéciale des produits phytopharmaceutiques, en édictant des mesures réglementaires à caractère général (CAA Paris 14 février 2020, n° 19PA03826).
Le pouvoir de police administrative du maire lui permet-il d’interdire l’usage du glyphosate ?
Autorité de police administrative générale, le maire doit prendre toutes mesures permettant de préserver l’ordre public et, en particulier, la santé publique. Il semble donc, a priori, légitime que les maires souhaitent réglementer ou interdire l’usage du glyphosate, la pose d’antennes de téléphonie mobile, les OGM (quand la culture du maïs Monsanto était encore autorisée), les compteurs Linky. On enseignait que, même lorsqu’il existe une police administrative spéciale détenue par une autorité de l’État (le ministre ou le préfet), le maire pouvait aggraver les mesures prises par celles-ci si elles lui semblaient insuffisantes localement (CE 18 déc. 1959 Société « Les films Lutétia »). À dire vrai, cette jurisprudence classique ne reflète pas l’état du droit. Dans un arrêt commune de Rachecourt-sur-Marne (CE 2 décembre 2009, n° 309684), saisi d’un arrêté interdisant à un agriculteur de cultiver des terres à proximité d’un point de captage d’eau destinée à la consommation humaine au motif que cette culture entraînait une pollution de l’eau au nitrate, le Conseil d’État avait jugé que le maire pouvait intervenir alors que le préfet détient une police spéciale lui permettant de délimiter des périmètres de protection des points de captage dès lors qu’il existait un péril imminent. Saisi en revanche d’arrêtés anti-OGM (CE 24 septembre 2012 Commune de Valence, n° 342990) ou d’arrêtés interdisant la pose d’antennes de téléphonie mobile (CE Ass. 26 octobre 2011, commune de Saint-Denis, n° 326492), le Conseil d’État avait jugé que la police spéciale confiée au ministre était exhaustive ne laissant aucune place à l’intervention d’arrêtés municipaux même en cas de péril imminent. Dans son arrêt du 31 décembre 2020, le Conseil d’État adopte la même solution : après avoir rappelé avec abondance que le code rural avait organisé une police administrative spéciale des produits phytopharmaceutiques confiée à l’État ( ANSES, préfet), le Conseil d’État en déduit que le pouvoir de police administrative générale du maire ne lui donne pas « compétence pour édicter une réglementation portant sur les conditions générales d’utilisation des produits phytopharmaceutiques qu’il appartient aux seules autorités de l’État de prendre ». Pas d’intervention même en cas de péril imminent.
Pourquoi le Conseil d’État n’autorise pas les communes à réglementer l’usage d’herbicides ?
Dans ces affaires d’OGM, de téléphonie mobile, de glyphosate ou de compteurs Linky, les maires utilisent collectivement leur pouvoir de police administrative pour faire infléchir l’État. Le Conseil d’État se doit, lui, de réaffirmer la prééminence de l’État car, le plus souvent, les polices administratives spéciales sont la transposition de règles européennes. Si des actes locaux rendaient, de fait, impossible des activités que l’Union européenne autorise, la responsabilité de l’État serait engagée. Par ailleurs, les maires doivent avoir conscience que si le juge admettait facilement leur intervention, leur responsabilité pourrait être engagée en cas d’inaction, responsabilité pénale et personnelle même en cas d’atteinte aux personnes faute de mesures de police. La faiblesse de leur compétence en ce domaine constitue donc une garantie pour eux. Cette vague d’arrêtés municipaux n’est d’ailleurs pas sans effet. Elle concourt à semer le doute sur certains activités convaincant l’opinion et les autorités : les OGM ne sont plus cultivés en France et le législateur a acté la fin du glyphosate.
Il ne semble pas possible d’en déduire pour autant que le maire ne peut plus intervenir pour n’importe quel problème de santé publique. Il y a quelques mois, le Conseil d’État a suspendu un arrêté du maire de Sceaux qui avait subordonné les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal (un masque) (CE 17 avril 2020, n°440057). Tout en suspendant l’arrêté, le Conseil d’État a jugé que dans le cadre de la crise sanitaire, le législateur avait créé une police spéciale confiée aux autorités de l’État et que le maire ne pouvait intervenir que si des « raisons impérieuses propres à la commune » l’exigeaient et à condition que les mesures prises ne soient pas « susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’État dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale ». Les « raisons impérieuses » seront, sans doute, rarement présentes mais elles maintiennent quand même une obligation pour le maire d’agir quand des circonstances graves l’exigent.