Le fonctionnement du pôle famille des juridictions pendant cette période dite juridiquement protégée… et après ?
Par Mélanie Courmont Jamet, Avocat Associée Cabinet Bwg.
Par Mélanie Courmont Jamet, Avocat Associée Cabinet Bwg
Le fonctionnement du « pôle famille » des juridictions françaises, déjà désorganisé depuis le mois de décembre 2019 suite aux différentes grèves qui ont paralysé le pays, l’est nécessairement davantage aujourd’hui, en raison de la crise sanitaire exceptionnelle que nous traversons et de la mesure tout aussi exceptionnelle de confinement que le Gouvernement a dû prendre.
Pour autant, le Gouvernement a également pris des dispositions visant à maintenir, malgré tout, la continuité de l’activité de nos juridictions.
L’Ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 – portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale – a ordonné diverses règles d’organisation ou de procédure dérogeant ou écartant l’application des dispositions de principe, afin d’adapter le fonctionnement des juridictions et notamment de leur pôle famille à l’exigence de prévention de la propagation du virus covid-19.
Ces mesures, explicitées par la Circulaire dite de présentation du 26 mars 2020, sont applicables pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, soit, à ce jour, le 24 juin 2020.
Mais qu’en est-il de l’application et de l’efficacité de ces règles en pratique ?
Comment fonctionne le « Pôle famille » de nos juridictions pendant cette période juridiquement protégée ?
Les mesures ordonnées et susceptibles de s’appliquer aux procédures relevant du Pôle famille sont principalement les suivantes :
Adaptation des délais : L’article 2 de l’Ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 – relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période – s’applique aux procédures relavant de la compétence du « pôle famille ».
Cette prorogation des délais échus s’applique ainsi, par exemple :
- Aux délais de recours : lorsque le délai d’appel expire pendant la période juridiquement protégée, l’appelant peut valablement former appel jusqu’à l’expiration du délai de recours initial (quinze jours ou un mois selon la nature de la décision attaquée), décompté à partir de l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Ainsi l’appel contre une Ordonnance de non conciliation signifiée le 10 mars pourrait être interjeté jusqu’au 29 juin 2020 (date de la cessation d’urgence sanitaire > 24 mai 2020 + 1 mois = 24 juin 2020 + 15 jours = 8 juillet 2020).
- Aux délais légalement imposés aux parties pour accomplir un acte au cours d’une procédure ; la Circulaire de présentation vise explicitement l’exemple de la procédure d’appel. Ainsi, par exemple, lorsque le délai de trois mois pour conclure imparti, à peine de caducité, à l’appelant par l’article 908 du Code de procédure civile expire pendant la période juridiquement protégée, l’appelant peut valablement conclure jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant l’expiration de cette période (soit jusqu’au 24 août 2020).
Quid du délai de trente mois imparti à peine de caducité aux époux, par l’article 1113 du Code de procédure civile, pour assigner en divorce lorsqu’il expire pendant la période juridiquement protégée ? Il s’agit bien d’un délai imparti aux parties pour accomplir un acte mais ce n’est pas un acte s’inscrivant dans une procédure en cours. La question reste ouverte mais, a priori, il a vocation à être également prorogé s’agissant d’un délai prescrit par la loi.
- Aux délais prescrits au juge pour statuer ; ainsi, si le délai de six mois – donné au Tribunal pour vérifier si les conditions légales de l’adoption sont remplies – expire pendant la période juridiquement protégée (article art. 1171 du Code de procédure civile), la juridiction peut statuer jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant l’expiration de cette période soit jusqu’au 24 août 2020).
L’article 3 de l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 proroge de plein droit certaines mesures judiciaires (mesures d’instruction, conciliation ou médiation notamment). À titre d’exemple, les mesures d’expertise, fondées sur les articles 255 9 et 10 du Code civil, devraient être prorogées pour un délai de deux mois à compter du 24 juin 2020.
Audiences et auditions : L’Ordonnance prévoit deux mesures : d’un côté, le renvoi des audiences et auditions et de l’autre, l’aménagement de la tenue des audiences :
- Les audiences et auditions fixées pendant la période juridiquement protégée peuvent faire l’objet d’un renvoi, dont les parties sont avisées par tout moyen (RPVA ou courriel à l’adresse mail professionnelle des avocats lorsque la partie est représentée, mais aussi par lettre simple, sous réserve du fonctionnement des services postaux ou tout autre moyen permettant d’assurer une communication effective de l’information, ce, que les parties soient ou non assistées ou représentées par un avocat). La nouvelle date leur sera communiquée dès que possible.
Cette mesure n’affecte pas les audiences ou auditions civiles urgentes expressément autorisées par un magistrat de permanence (en l’occurrence, ordonnance en cas de violences familiales de protection et décision consécutive à un enlèvement d’enfant).
- Les audiences peuvent être aménagées et se tenir grâce à un moyen de communication audiovisuelle, c’est-à-dire par visio-conférence et, en cas d’impossibilité technique ou matérielle d’y recourir, par tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique.
Elles peuvent également, sur décision du juge ou du président de la formation de jugement, dans les procédures où la représentation par avocat est obligatoire ou dans les affaires dans lesquelles toutes les parties sont assistées ou représentées par un avocat, ne peut avoir lieu, sans qu’il lui soit nécessaire de recueillir préalablement l’accord des parties.
Le juge aux affaires familiales peut donc décider d’une procédure sans audience malgré l’importance particulière de l’audience dans cette matière.
Le choix dépend des moyens de chacune des juridictions.
En pratique, les audiences et auditions devant le Juge aux affaires familiales ainsi que les audiences de mise en état et plaidoiries devant le pôle famille (chambre de conseil et état des personnes) sont très majoritairement supprimées et renvoyées.
D’une juridiction à l’autre, les audiences de permanences sont assurées plus ou moins fréquemment (à titre d’exemple à Paris, la permanence d’urgence des affaires familiales a lieu deux fois par semaine, les mardi et jeudi matin) et il est parfois impératif de « sérier » ces urgences pour ne traiter que les urgences absolues.
Qu’en est-il des délibérés ? Dans la majorité des juridictions, les délibérés prévus pendant cette période juridiquement protégée sont prorogés à une date qui sera, là encore, communiquée ultérieurement.
De la même manière, il existe une relative inégalité de traitement puisque certaines juridictions, certes peu nombreuses, continuent de rendre leur délibéré, dont la communication est notamment faite aux avocats sur leur courriel personnel, d’autres se sont abstenues de le faire, alors même que ce délibéré devait intervenir avant la date officielle de début de confinement.
Quant à la tenue des audiences, les audiences virtuelles sont peu, voire nullement pratiquées devant les pôles famille.
Décisions rendues en juge unique : L’Ordonnance n°2020-304 étend la possibilité de statuer à juge unique.
Ainsi, lorsque l’audience de plaidoirie ou la clôture de l’instruction dans le cadre de la mise en état en procédure écrite ordinaire interviennent durant la période juridiquement protégée, le président de la juridiction peut décider que l’affaire sera jugée à juge unique. Cette disposition s’applique en première instance comme en appel, quelle que soit la matière considérée et donc notamment en matière familiale.
Souplesse dans l’échange des écritures et des pièces : L’ordonnance assouplit les modalités d’échange des écritures et des pièces entre les parties, en particulier lorsqu’elles ne sont pas représentées ou assistées par un avocat.
Ainsi, cet échange peut se faire par tout moyen (RPVA, lettre recommandée avec demande d’avis de réception, lettre simple ou courriel), dès lors que le juge est mis en situation de s’assurer du respect du principe du contradictoire.
Cependant, cette disposition ne déroge pas aux articles 850 et 930-1 du Code de procédure civile, qui imposent de transmettre par voie électronique les actes de procédure au tribunal judiciaire en matière de procédure écrite ordinaire et de procédure à jour fixe et à la Cour d’appel.
Notifications informelles : Afin de faciliter le travail du greffe, l’Ordonnance prévoit que les décisions pourront être portées à la connaissance des parties par le greffe par tout moyen : RPVA, courriel sur la boite mail professionnelle des avocats, remise par dépôt dans leur case dans la juridiction, appel téléphonique ou courriel directement aux parties.
Ces dispositions sont incontestablement opportunes pour assurer la sécurité et la santé de toutes les personnes composant ces « pôles famille » et plus généralement œuvrant au fonctionnement des juridictions : magistrat, greffier, agent de sécurité etc. ainsi que celles des justiciables et des avocats et ainsi éviter la propagation du virus.
Cependant, un premier constat est qu’en pratique, la plupart de ces mesures destinées à faciliter le fonctionnement de nos juridictions et à assurer la continuité de l’activité judiciaire, en toute sécurité, n’est pas appliquée et les instances en cours au sein des « pôles familles » sont purement et simplement en « stand by ».
Un début d’explication résulte d’un autre constat tout aussi regrettable : l’absence de moyens matériels, d’équipement numérique et de processus de numérisations des dossiers, certes complexes et coûteux, sans lesquels le Juge ne peut prendre connaissance et suivre les dossiers dont il est en charge, assurer des visio-audiences et statuer et, sans quoi, de son côté, le greffier ne peut – de fait – taper de décisions puis les notifier aux parties et encore moins traiter les messages RPVA reçus.
Comment reprendre et surtout optimiser le fonctionnement des « pôles famille » à l’issue de cette période juridiquement protégée ?
Le constat est que ces semaines, ces mois sans activité et actualité judiciaires dans nos instances en cours vont conduire immanquablement à un véritable engorgement.
Engorgement quant au nombre de messages électroniques adressés, pendant cette période, au greffier via le RPVA, dont on ignore même si ce réseau a la capacité de tous les conserver ; quant au nombre d’audiences qu’il va falloir fixer à l’issue de cette période ou encore quant au nombre de délibérés en attente et à rendre rapidement, notamment lorsque, à l’approche des vacances d’été, ils concernent l’organisation de la vie d’enfant.
Mais aussi, engorgement quant au nombre de nouvelles saisines de ces « pôles famille » à l’issue du confinement.
En effet, il est évident que, pendant ce confinement, les couples qui ne vont pas bien iront encore plus mal et que les juridictions auront à statuer sur les conséquences de nombreuses séparations.
À défaut d’avoir pu être appliquées pendant cette période juridiquement protégée, c’est à ce moment-là que les mesures ordonnées par l’Ordonnance n°2020-304 devront impérativement l’être.
Recourir au Juge rapporteur ou au Juge unique pour limiter le nombre de juges mobilisés sur une audience ou sur un dossier, déposer de manière systématique les dossiers de plaidoirie dans les procédures écrites pour alléger le nombre d’audiences et s’éviter un temps d’attente dans les juridictions pour faire à peine quelques observations rapides… sont autant de moyens pour permettre aux « pôles famille » de gagner du temps et de traiter davantage de dossiers.
Mais aussi et surtout, privilégier les modes amiables, la médiation, le conseil, pour éviter le contentieux.
Si cette crise sanitaire a une vertu, c’est celle de nous rappeler l’essentiel, de réintroduire l’humain et peut-être ainsi d’œuvrer avec d’autant plus d’envie à la recherche de solution amiable, toujours préférable à un contentieux, surtout lorsqu’il risque d’être long.
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