Le consentement à la vaccination contre la Covid-19
Par Xavier Bioy, Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou, Codirecteur des Masters « Droit des libertés » et « Ethique, soins et recherche ».
Xavier Bioy, Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou, Codirecteur des Masters « Droit des libertés » et « Ethique, soins et recherche »
Alors que presque un français sur deux se dit réservé quant à sa propre vaccination, le gouvernement, qui y voit la porte de sortie de la pandémie, insiste sur la qualité de l’information et de la sécurité pour convaincre. La vaccination s’analyse comme un acte de soin préventif, un traitement. Elle appelle un consentement libre et éclairé de la personne même si la perspective d’une exigence de vaccination pour l’accès à certains services pourrait peser sur la liberté de choix.
Quels fondements à l’exigence du consentement ?
Sous la forme d’une injection, a fortiori dans le cas d’une formule innovante, le vaccin rencontre l’exigence de respect de l’intégrité physique, de l’autonomie de la personne et de son droit à la santé (articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, Liberté personnelle, au sens de notre Constitution et alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946) (CE, 6 mai 2019, M. G. T. et autres, n°415694).
Le gouvernement souhaite ainsi inscrire l’acte vaccinal et le respect du refus de soin dans la relation médicale et l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique (CSP) : « Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité. » Selon les directives du ministère de la Santé, une consultation pré-vaccinale est consignée dans le dossier médical de la personne et dans le système d’information de suivi de la vaccination contre le SARS-COV-2. Pour les résidents en EHPAD, la consultation pré-vaccinale sera réalisée au sein de l’établissement ou par téléconsultation par le médecin traitant ou coordonnateur pour éviter le déplacement en dehors de l’établissement.
Le consentement portera aussi sur les données personnelles nécessaires, conservées pendant 10 ans, (identification de la personne, organisme d’affiliation, données relatives à la réalisation de la vaccination, critères (médicaux ou non) d’éligibilité à la vaccination, traitements suivis par la personne concernée, contre-indications, signalement d’effets indésirables, etc.). Les personnes dont l’éligibilité a été déterminée en amont par les organismes obligatoires de l’Assurance Maladie ont la possibilité de s’opposer au traitement.
Quelles sont les conditions du consentement ?
La consultation est obligatoire en vue de délivrer une information loyale, claire et appropriée. Dans son avis du 21/12/2020, le CCNE a demandé que « le temps imparti à la délivrance de l’information et à son appropriation par la personne dans l’élaboration de son choix d’accepter ou non la vaccination doit être respecté quel que soit le contexte d’urgence, et l’effectivité de ce processus doit pouvoir être tracée ». Un temps de réflexion doit être prévu et laissé si nécessaire. La forme écrite n’est pas plus requise que d’habitude.
En dépit de l’objectif de santé publique de la campagne de vaccination, sa gratuité, le fait de le proposer personnellement aux personnes de santé fragile, l’absence d’obligation administrative (ce qui ne préjuge pas de la position des employeurs) implique aussi qu’aucune conséquence défavorable ou discriminatoire ne peut, en l’état de droit, résulter du refus de se faire vacciner. Cela serait sinon un moyen de pression sur le consentement. Le droit au secret médical s’oppose d’ailleurs à ce que la personne soit contrainte de révéler son statut vaccinal.
Néanmoins, tout comme les obligations de vaccination (Conseil constitutionnel, Déc. n° 2015-458 QPC, 20 mars 2015, Époux L. ; cons. 11), des incitations pourraient favoriser l’exigence constitutionnelle de protection de la santé. Des avantages pour les personnes vaccinées ne seraient donc pas forcément des inégalités de traitement illégales, particulièrement en période d’état d’urgence sanitaire, soit au titre de la différence de situation, soit pour motif d’intérêt général.
Quels sont les aménagements du consentement en contexte de dépendance ?
Les difficultés de compréhension et d’autonomie de décision des personnes âgées en situation de dépendance affectent les conditions du consentement. Le critère de « liberté » s’en trouve relativisé dans sa qualification même. Les dispositifs légaux de protection judiciaire des majeurs offrent un cadre incertain dans le contexte médical. Le droit de la santé, sans intégrer la notion de « fragilité », donne en principe priorité à la volonté exprimée par la personne, quel que soit son régime de protection.
Les directives du ministère précisent qu’un tiers peut assister la personne, mais qu’il ne peut en aucun cas se substituer au consentement ou au refus lorsque celle-ci est en capacité d’exprimer un choix éclairé.
Dans le cas d’une altération des facultés, il appartient à la personne chargée de la mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne de donner son autorisation en tenant compte de l’avis exprimé par la personne protégée (Art. L1111-4 CSP, Ord. n°2020-232 du 11 mars 2020). Si c’est conjoncturel, outre le report de la vaccination, la personne de confiance ou les « proches », toujours indéterminés, pourront jouer ce rôle.
Dans le cas où une altération pérenne de la capacité à consentir a été établie par le juge, il s’agit de « protéger sans diminuer » (loi du 5 mars 2007 réformant la protection des majeurs et Charte des droits et libertés de la personne majeure protégée, Décr. 31 déc. 2008). L’article 415 du Code civil (al. 2 et 3) affirme ainsi que « la protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles (…). Elle a pour finalité l’intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, son autonomie ». Dans tous les cas, le protecteur doit informer le majeur protégé et le protecteur lui-même doit être informé par les tiers.
La faible probabilité d’effets secondaires graves permet d’envisager un rapport bénéfice/risque d’autant plus favorable que les fragilités face au risque de contamination sont élevées. Cette convergence justifie qu’un tiers puisse peser sur la décision et être informé du choix du résident comme dans une dizaine d’autres cas prévus par le code de la santé dans lesquels la prise de risques est davantage caractérisée.
Les directives ministérielles mettent à part les cas de tutelle ou d’habilitation familiale avec représentation à la personne qui supposent une altération plus profonde des facultés et feraient peser la décision sur le représentant légal. Il reste l’hypothèse d’un refus du tiers, contraire à l’intérêt de la personne protégée dont la justice pourrait être saisie. Un juge espagnol a d’ailleurs récemment imposé la vaccination d’une résidente diminuée, « dans son intérêt », en dépit du refus de sa fille, entrainant la suspicion de la presse.
L’article 458 C. civ. pose pourtant le principe de l’exclusive autonomie du majeur protégé quant aux actes de nature personnelle (« l’accomplissement des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée »). Il reste donc l’hypothèse d’un refus ultérieur qui, quoique pouvant apparaître irrationnel, devra être respecté dans la mesure où la vaccination ne constitue pas un cas de soins vitaux urgents.
Enfin, consentir ne signifie pas assumer un risque incertain. La réparation intégrale des accidents médicaux imputables à des activités de soins réalisés à l’occasion de la campagne vaccinale anti-Covid 19 sera assurée par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale.