Par Frédéric Peltier, avocat, cabinet Peltier Juvigny Marpeau & Associés, Expert du Club des juristes

Alors que la population est confinée pour tenter d’aplanir le pic de l’épidémie, très fort est celui qui pourrait estimer les conséquences économiques de l’arrêt brutal de l’activité dans de nombreux secteurs. Devin est celui qui est capable d’évaluer l’ampleur et les conséquences des mesures budgétaires et financières exceptionnelles qu’il faudra mettre en œuvre pour sortir de l’ornière.

Une chose est cependant probable, c’est que nous allons entrer dans une période d’économie administrée. La loi du marché qui s’est imposée depuis près d’un demi-siècle n’est pas formatée pour traiter la force majeure qui vient entraver les relations économiques comme nous sommes en train de le vivre.

En pleine tempête, les régulateurs économiques de l’économie de marché semblent pourtant vouloir s’accrocher à leurs prérogatives, un peu comme à une bouée. Mais cette contrainte de la régulation économique sonne creux, alors que l’État n’est pas en mesure d’assurer la délivrance de masques de protection, de gel hydro alcoolique et de pratiquer des tests de dépistage du Covid-19.

L’AMF qui avait publié le 28 février dernier un communiqué rappelant la rigueur des règles d’information dans le contexte de l’épidémie de coronavirus en avertissant qu’elle porterait « une attention particulière à la transparence des acteurs sur leur exposition aux incidences de cette épidémie » a été contrainte d’ajuster sa position le 23 mars dernier. Dans ce nouveau communiqué, le gendarme de la bourse reconnait que la mise en œuvre du règlement abus de marché « qui demeure applicable, peut s’avérer délicate dans un contexte d’augmentation des incertitudes et de montée en puissance des enjeux et questions sanitaires. » Elle appelle donc moins à la transparence qu’à la prudence qui impose de s’interroger sur la nécessité de communiquer.

Pour les sociétés cotées en bourse, la période est doublement critique, elles font face à l’inimaginable, on ne peut pas tout prévoir même dans les plans de crise les plus sombres. Mais elles font face aussi à leurs échéances. Les mois de mars et d’avril sont ceux de la publication des comptes annuels. Ainsi, alors que l’incertitude sur la durée du confinement est totale, les sociétés cotées doivent rendre publique leur situation financière et leurs perspectives. Comment dire que ces perspectives sont nécessairement mauvaises, mais surtout tellement incertaines, y compris pour les secteurs épargnés comme la grande distribution ou les opérateurs internet. On ne peut donc parler que d’un risque…

Mais dire que la crise du Covid est un facteur de risque pour une entreprise cotée comme y invite l’AMF est une lapalissade. Les séances de baisse des cours qui ont ramené le CAC 40 de 6000 à moins de 4000 points en quelques jours n’en sont que le triste témoignage.

Les régulateurs semblent ne pas vouloir se résoudre à n’être que spectateur sidéré et impuissant de cette situation sans précédent. Il en va ainsi en matière de concurrence où le régulateur est européen. La décision de la Commission rendue le 21 mars 2020 sur l’aide d’État relative au plan de sécurisation de du financement des entreprises décidé par la France, laisse perplexe. La Commission a décidé de ne pas soulever d’objection au regard de l’aide d’État notifiée par la France au motif qu’elle est compatible avec le marché intérieur. C’est heureux, mais avait-elle le choix ?

Certes, les directives européennes en matière bancaire et en matière de concurrence sont des textes importants, mais que pèsent-ils dans une situation où des pans entiers du tissus économique d’un pays risquent de tomber en faillite et des millions d’emplois sont en jeu ?

Dans une situation de guerre sanitaire il n’est plus question de régulation, mais d’état d’urgence. La régulation économique n’a plus vraiment de place lorsqu’il s’agit ni plus ni moins que de sauver l’économie. Vouloir appliquer des règles élaborées pour réguler une économie de marché pour en assurer l’expansion harmonieuse n’est plus le sujet d’aujourd’hui. Ça ne sera pas non le sujet de demain, voire d’après-demain. Espérons donc que les régulateurs sauront se souvenir qu’il y a des périodes où la régulation n’a plus le sens commun…

 

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