La liberté de manifester dans la nasse ?
Par Xavier Latour, Professeur de droit public, Université Côte d’Azur, CERDACFF, Doyen de la Faculté de droit et science politique, Secrétaire général de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense.
Par Xavier Latour, Professeur de droit public, Université Côte d’Azur, CERDACFF, Doyen de la Faculté de droit et science politique, Secrétaire général de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense
Saisi par la Cour de cassation le 21 décembre 2020, le Conseil constitutionnel a répondu, le 12 mars 2020 (DC n° 2020-889, QPC), à une question prioritaire de constitutionnalité relativement médiatisée. Les requérants contestaient l’article L 111-1 du code de la sécurité intérieure (CSI). À travers cette disposition, ils soulevaient, en réalité, un autre sujet : la légalité d’une pratique de maintien de l’ordre, dite de l’encerclement des manifestants. Le Conseil ne leur a pas donné raison.
Dans quel contexte la QPC a-t-elle été posée ?
La cible des requérants et des intervenants n’était pas l’article L 111-1 CSI. Il a seulement servi de prétexte pour contester le bien-fondé de la technique de l’encerclement (ou de la nasse) utilisée par les forces de l’ordre pour isoler certains manifestants pour mieux les contrôler, voire les interpeller. Le lien entre le véritable objectif et l’article est d’ailleurs assez ténu.
La QPC trouve son origine dans le déroulement d’une manifestation à Lyon, en octobre 2010, contre la réforme des retraites. À l’époque, environ 700 participants avaient été mis à l’écart pendant plusieurs heures. Un collectif de 35 citoyens et associations avait saisi le juge pénal pour atteinte à la liberté individuelle par dépositaire de l’autorité publique, et entrave aux libertés de manifestation et d’expression. À la suite d’un non-lieu, le collectif s’était pourvu en cassation et a profité de l’occasion pour soulever une QPC.
En raison des nombreuses critiques formulées à l’égard de cette pratique, la réponse du Conseil constitutionnel était attendue.
Dès 2017, dans un rapport remarqué sur « Le maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie », le Défenseur des droits analysait sévèrement la technique de l’encerclement. Outre son absence dans la formation des personnels, Monsieur Jacques Toubon s’interrogeait sur un cadre légal « très incertain, voire inexistant » (p. 39). Quelques années plus tard, il profitait, en juillet 2020, de la nomination de Monsieur Darmanin au ministère de l’Intérieur pour réitérer sa demande de ne plus recourir aux « nasses ».
Il n’a pas été entendu, puisque le Schéma national du maintien de l’ordre, publié le 16 septembre 2020, prévoit que « sans préjudice du non-enfermement des manifestants, condition de la dispersion, il peut être utile, sur le temps juste nécessaire, d’encercler un groupe de manifestants aux fins de contrôle, d’interpellation ou de prévention d’une poursuite des troubles. Dans ces situations, il est systématiquement laissé un point de sortie contrôlé aux personnes » (p. 24).
La sécurité est-elle réellement un droit fondamental ?
À la recherche d’un texte à contester, les requérants ont retenu l’article L 111-1 CSI tel qu’il est issu des lois du 21 janvier 1995 (n° 95-73) d’orientation et de programmation relative à la sécurité et du 18 mars 2003 (n° 2003-239) pour la sécurité intérieure.
Il dispose (alinéas 1er et 2), en effet, que « La sécurité est un droit fondamental et l’une des conditions de l’exercice des libertés individuelles et collectives », et que « L’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant (…) au maintien de la paix et de l’ordre publics. »
Selon eux, le législateur aurait méconnu sa compétence en ne prévoyant aucune garantie dans l’application de la technique d’encerclement. Pourtant, elle affecterait plusieurs libertés : celle d’aller et de venir, de communiquer et de s’exprimer, y compris collectivement.
Le Conseil constitutionnel a donc limité la question à la constitutionnalité des mots « et de l’ordre publics » de l’alinéa 2 (pt. 3), tandis que les requérants eux-mêmes ne contestaient pas la valeur constitutionnelle de la sécurité.
Ils auraient pu tout aussi bien s’appuyer sur d’autres dispositions du CSI davantage en relation avec le droit de manifester, parmi les articles L 211-1 et suivants du Chapitre intitulé « Prévention des atteintes à l’ordre public lors de manifestations et de rassemblements ».
Au moins, l’article L 111-1 avait le mérite d’une plus grande portée pour un contentieux médiatisé.
Il ne suffit pas au législateur d’affirmer que la sécurité est un droit fondamental pour la faire entrer dans le champ constitutionnel. La démarche se veut juridique, alors qu’elle est avant tout politique. De la sorte, il entendait répondre aux préoccupations d’une population inquiète face à la montée des menaces.
La loi ordinaire ne peut évidemment pas modifier la Constitution. Or, malgré un flottement dans l’usage des termes, le droit à la sûreté (article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) ne se confond pas avec la sécurité. De même, il est hasardeux de tirer de l’article 12 de la Déclaration sur la force publique une conclusion sur la nature de la sécurité.
Rien n’a donc changé depuis la décision du Conseil constitutionnel qui lie la sécurité à l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public (DC 82-141 du 27 juillet 1982).
Quel a été le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel ?
Le Conseil constitutionnel n’a pas suivi les requérants sur le terrain de l’incompétence négative du législateur, même si celle-ci justifie parfois des déclarations d’inconstitutionnalité. En ne légiférant pas, la représentation nationale doit affecter un droit ou une liberté garanti par la Constitution.
En l’espèce, l’article L 111-1 CSI a uniquement pour objet de « reconnaître à l’État la mission générale de maintien de l’ordre public » (pt. 6). Selon les Sages, il n’impose pas de définir les conditions d’exercice et les moyens.
Si le recours à l’encerclement doit être encadré, ce n’est pas à la loi de le faire. D’autant plus, que la Cour européenne des droits de l’homme n’en condamne pas le principe, seulement les utilisations disproportionnées. Dans un arrêt du 15 mars 2012 (Austin c/ Royaume-Uni), elle a considéré que des circonstances particulières le justifient. Elle reconnaît ainsi à l’État la capacité de déterminer ses techniques de maintien de l’ordre. L’isolement pendant 7 heures par la police s’expliquait par les risques de violence dans le cadre d’une manifestation altermondialiste. Pour autant, la méthode ne doit pas conduire à « étouffer » ou « décourager des mouvements de protestation ». Si comme le soutient aussi le Défenseur des droits, un cadre d’emploi s’impose pour définir les conditions de la nasse, le droit conventionnel ne fait pas de l’intervention du législateur une obligation.
Toutefois, la question de l’encerclement n’est sans doute pas totalement réglée. Dans le prolongement du Schéma national du maintien de l’ordre, il serait intéressant de connaître les instructions générales données aux policiers et aux gendarmes. L’usage des armes à létalité réduite a démontré la pertinence des consignes pour en apprécier la légalité. De plus, des actions contentieuses en indemnisation pourraient contribuer à appréhender l’encerclement sous un autre angle.
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