Est-il possible d’interdire la location saisonnière à Paris ?
L’adjoint à la maire de Paris, chargé du logement, Ian Brossat, a récemment émis, dans de nombreux médias, la proposition de voir disparaître les offres locatives saisonnières des quatre premiers arrondissements de la capitale. Il y met notamment en cause la plateforme américaine AirBnb et suggère également d’interdire l’acquisition de résidences secondaires dans des zones de fortes demandes immobilières comme Paris.
Ses propositions sont-elles réalisables en droit français ?
Décryptage par Norbert Foulquier, professeur de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
« Interdire purement et simplement aux propriétaires de louer leurs biens immobiliers serait une restriction de la disposition de leur patrimoine »
Est-il possible pour le législateur de contraindre un propriétaire ou un locataire à ne pas louer son bien ?
Le droit de propriété, la liberté constitutionnelle d’entreprendre et le principe européen de la liberté d’établissement limitent la faculté pour le législateur d’interdire aux personnes privées d’exploiter leurs biens. Naturellement, des considérations d’intérêt général fortes peuvent légitimer des restrictions à ces droits fondamentaux. En matière de location, ce sont surtout les exigences de la salubrité publique, énoncée dans le code de la construction et de l’habitation qui interdisent la location des logements insalubres. De son côté, la loi de 1989 sur les baux d’habitation interdit en principe au locataire de sous-louer le bien qu’il occupe, par dérogation au Code civil ; c’est là une compensation à la protection du locataire face au bailleur. Enfin, dans un grand nombre de communes d’Ile-de-France, la soumission des changements d’usage des biens d’habitations en bureaux ou en commerces à un régime d’autorisation pèse sur la possibilité pour les propriétaires de louer leurs biens en meublés touristiques.
Mais interdire purement et simplement aux propriétaires de louer leurs biens immobiliers serait une restriction de la disposition de leur patrimoine qui nécessiterait une justification impérieuse. Évidemment, dans sa décision sur la loi ALUR, le Conseil constitutionnel n’a pas fait montre d’une grande exigence quant à la condition de l’intérêt général reposant sur l’offre suffisante de logements, quand il s’est prononcé sur l’instauration d’un régime d’autorisation pour la location des meublés touristiques. Mais s’il était saisi d’une loi instaurant une interdiction pure et simple pour un propriétaire de louer son logement comme meublé touristique, le Conseil se montrerait probablement plus sévère. Surtout, il ne fait peu de doute que les autorités de Bruxelles seraient particulièrement attentives à une telle mesure au regard de la liberté d’établissement, mais aussi de la directive Services de 2006. Bien sûr, l’idée, avancée par Ian Brossat, de limiter cette interdiction à quelques arrondissements parisiens est fine car elle va dans le sens du principe de proportionnalité. Mais il n’est pas acquis que cette limitation suffise à convaincre de sa légitimité.
Est-il possible de limiter la location de biens via AirBnb et les autres plateformes ?
Avec la loi ALUR, complétée en 2016, le législateur a déjà soumis à conditions la location de meublés touristiques via des plates-formes Internet.
En vertu de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme, si un propriétaire loue sa résidence principale moins de 120 jours par an, il peut le faire sans la moindre formalité. Le législateur estime à juste titre que ce type de location n’affecte pas le marché du logement. En revanche, si un propriétaire loue un logement plus de 120 jours par an, il ne s’agit plus de sa résidence principale. Le bien loué n’est alors plus considéré comme une habitation au sens du code de la construction et de l’habitation. C’est pourquoi les locations de meublés touristiques pendant plus de 120 jours par an sont susceptibles d’être soumises à un système spécifique d’enregistrement dans les communes où le changement d’usage est soumis à autorisation. Il s’agit ainsi de favoriser le contrôle du dispositif mis en place aux articles L. 631-7 et s. du code de la construction et de l’habitation qui permet aux communes d’Ile-de-France les plus peuplées de soumettre ces locations à un régime de changement d’usage si leur conseil a adopté une délibération en ce sens, comme celui de Paris en juillet 2017. Dès lors qu’un bien est loué plus de 120 jours par an, sa transformation en un bien qui n’est plus d’habitation est subordonnée à une compensation consistant en la conversion en logements de locaux ayant un autre usage, ce qui peut coûter très cher surtout dans les arrondissements du centre de Paris.
Il est difficile d’aller plus loin et de bouter AirBnB et ses concurrents de Paris. Certes, le seuil des 120 jours pourrait être baissé ou encore, comme c’est prévu dans la loi ELAN bientôt publiée, des pénalités plus efficaces pourraient être infligées aux propriétaires et aux plates-formes qui ne respectent pas les mécanismes de régulation en place. Mais il parait juridiquement compliqué de retirer aux propriétaires les autorisations qu’ils ont déjà obtenues ainsi que l’autorisation de changement d’usage. Cela nécessiterait une indemnisation. Et quant à interdire à ces plates-formes de publier des offres de logements dans certains quartiers de Paris – pour compliquer les activités des bailleurs – c’est de nouveau poser la question des limites de la liberté d’entreprendre.
Existe-t-il des moyens juridiques pour lutter contre l’achat de résidences secondaires comme le suggère Ian Brossat ?
A ma connaissance, aucune disposition législative ne permet d’interdire l’achat de résidences secondaires par des particuliers. Un tel dispositif serait une atteinte grave au droit de propriété, des acquéreurs comme des vendeurs.
Il arrive que des maires utilisent leur droit de préemption urbain pour bloquer des transactions immobilières quand l’identité de l’acquéreur leur déplait. Parfois, la simple menace de mettre en œuvre cette prérogative suffit à décourager les acheteurs. Souvent, c’est la lutte contre la spéculation immobilière qui est invoquée. Dans tous ces cas, l’utilisation du droit de préemption à ces fins est illégale et engage la responsabilité des communes. Et c’est heureux car parfois, la xénophobie n’est pas étrangère au recours de cette procédure.
La crise du logement est réelle aujourd’hui, notamment dans les grandes villes et les outils se font parfois attendre pour lutter contre l’implantation touristique. Toutefois, il est intéressant d’observer que l’on constate un regain d’intérêt pour la location en meublé de longue durée (Le Monde, Economie, 23 juin 2018). Une étude sérieuse et impartiale reste à réaliser, mais si cette tendance se confirmait, ceci tendrait à prouver une certaine efficacité des mécanismes mis en place depuis la loi ALUR. Pousser plus loin les limitations de la location touristique, c’est non seulement prendre des risques juridiques, mais aussi s’engager dans des solutions politiquement dangereuses.
Par Norbert Foulquier