Dissolution de l’UNEF, une vraie mauvaise idée
Par Michel Verpeaux, Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
Par Michel Verpeaux, Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
L’idéal républicain ou l’universalisme porteur d’émancipation subissent des atteintes et des menaces venues de différents horizons. A la suite d’un entretien sur Europe 1, le 17 mars dernier, au cours duquel la présidente de l’UNEF, Madame Mélanie Luce, a admis et voulu justifier la tenue de certaines réunions, les réactions ont été diverses et nombreuses. La ministre de l’Enseignement supérieur a ainsi jugé, le 24 mars, « inacceptable » la tenue de ces réunions et elle a demandé au syndicat de « clarifier ses positions et ses valeurs ». Le ministre de l’Éducation nationale a estimé, de son côté, que ces réunions pouvaient mener « vers des choses qui ressemblent au fascisme ». Certains membres de l’opposition de droite et d’extrême sont allés plus loin en demandant la dissolution de l’UNEF, considérant que ces réunions devaient être qualifiées en réalité de « racistes ».
En réaction, une tribune de trois cents signataires venus de la gauche politique a été publiée pour dénoncer les appels à dissoudre le syndicat étudiant.
Quelles sont les réunions mises en causes ?
L’organisation de séances dites non mixtes ou dit plus pudiquement « en non mixité » et racisées a été l’élément déclencheur de la polémique. Les faits avaient pourtant été révélés par la presse dès 2017. En clair, ces réunions étaient interdites aux étudiants blancs pour permettre aux « personnes touchées par le racisme de pouvoir exprimer ce qu’elles subissent ». Ces réunions ont été ainsi réservées à des personnes définies par leur race ou leur couleur. La mixité dont il est question est celle entre les femmes et les hommes et l’on suppose que certaines réunions étaient fermées aux personnes de sexe masculin. L’inverse aurait pu être envisageable.
Cette demande de dissolution s’est inscrite dans un contexte qui a vu les pouvoirs publics prononcer la dissolution de divers groupements et associations. Ont été ainsi dissouts, BarakaCity par un décret du 28 octobre 2020, (confirmé par le juge du référé Conseil d’Etat dans une décision du 25 novembre 2020) et le Collectif contre l’islamophobie en France qui se présente comme une organisation de lutte contre les discriminations faites aux musulmans et dont la dissolution a été prononcée par décret du 2 décembre 2020. Cette dernière association avait elle-même prononcé, le 29 octobre, sa dissolution volontaire en tant qu’association loi 1901 à compter du 17 novembre afin d’anticiper et de rendre « sans objet » sa future dissolution en Conseil des ministres, dont ils avaient reçu la notification quelques jours auparavant. La dissolution du Bloc identitaire est la dernière en date, décidée par un décret du 3 mars 2021. Il a souhaité déposer un recours devant le Conseil d’Etat à l’occasion duquel des QPC devaient être déposées.
Devant la multiplication de ces dissolutions, celle du syndicat étudiant conduit à s’interroger sur le parallèle ainsi fait. Qu’y a-t-il de commun entre le Bloc et l’UNEF ? A en croire certaines appréciations, la menace pesant sur le principe de non-discrimination serait identique. Celui-ci est inscrit à l’article 1er de la Constitution qui proclame « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Cet article 1er n’a pas donné lieu à beaucoup d’illustrations contentieuses s’agissant du principe de non-discrimination. Pourtant, celle-ci peut avoir plusieurs causes, l’origine, la race ou la religion, sans qu’il soit interdit qu’elle repose sur les trois hypothèses envisagées. La non-discrimination entre les sexes, quant à elle, n’est pas prévue en tant que telle. La mention de ce qu’il est convenu d’appeler la parité à l’alinéa 2 de ce même article 1er ne peut être assimilée à une condamnation de la discrimination, ne serait-ce que par l’emploi du mot « favorise » : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».
Quels éléments seraient nécessaires pour procéder à cette dissolution ?
La dissolution des associations et des groupements trouve son fondement dans l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure qui prévoit que « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait ». S’ensuit l’énumération de sept cas dans lesquelles la dissolution est possible, dont seul le n° 6 serait susceptible d’être applicable à l’UNEF. Il envisage en effet des associations « qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ».
C’est sur ce fondement que le Bloc identitaire a été dissous, comme le montre la très longue et très détaillée motivation du décret du 3 mars 2021 précité, dans un objectif de transparence mais aussi de prévention des éventuels contentieux. Selon ce texte, derrière l’objet affiché de défense et de promotion des identités, l’association « Génération identitaire » promeut en réalité une idéologie incitant à haine, à la violence ou à la discrimination des individus à raison de leur origine, de leur race ou de leur religion. La motivation considère aussi que « Génération identitaire » peut être regardée comme présentant par sa forme et son organisation militaires, le caractère d’une milice privée, au sens du 2° du même article L. 212-1 CSI.
Nul doute qu’il serait alors nécessaire de posséder autant d’éléments pour justifier la dissolution de l’UNEF et que la comparaison ne tourne pas en faveur d’une possible dissolution. La non mixité si elle peut être contraire aux principes républicains n’encourage ni à la haine ni à la violence raciale. Les motifs limitativement énumérés par le code de la sécurité intérieure s’appliquent difficilement aux faits qui sont pour l’instant reprochés et ne constituent donc pas une base suffisamment solide pour justifier la légalité d’un décret de dissolution. Les faits justifiant une décision aussi lourde que la dissolution d’une association, dont la liberté constitue un principe constitutionnel depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, doivent être d’une incontestable gravité. Or, dans le cas de l’UNEF, les réunions ont eu lieu dans le cadre du syndicat-association, et elles ont été limitées aux adhérents, en étant qualifiées par la présidente de l’UNEF de « groupes de paroles internes à l’organisation ». Le caractère public du délit de provocation à la discrimination ou à la haine n’existe pas en l’espèce.
Quelles conséquences sur la représentativité des élus étudiants et sur la législation ?
Il est aussi évident que les effets des décisions de dissolution, l’une réelle, l’autre plus que virtuelle en l’état, ne seraient pas identiques, tant est grande la place de l’UNEF dans l’histoire du syndicalisme et dans l’Histoire tout court. L’UNEF, née en 1907, fut longtemps la maison commune de la gauche, réussissant à faire cohabiter toutes ses chapelles, des trotskistes aux réformistes. Par ailleurs, il pourrait appartenir aux étudiants d’exprimer leur éventuel désaccord avec ces comportements lors de futurs scrutins universitaires. Néanmoins, la grande désaffection à l’égard de ces élections et par, voie de conséquence, la question de la représentativité, rendent cette solution assez peu probable. L’UNEF s’est d’ailleurs affaiblie et elle est devenue la deuxième organisation étudiante derrière la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE).
Les propos de la candidate socialiste aux élections régionales en Ile-de-France, Madame Audrey Pulvar soutenant le principe de telles réunions, car les personnes discriminées « sentent la nécessité de se réunir entre elles pour en discuter », montrent que la polémique n’est pas close et qu’elle pourra être réactivée lors de prochains scrutins nationaux.
L’encre était à peine sèche que le Sénat adoptait le 1er avril un amendement au projet de loi confortant le respect des principes de la République, plus connu sous l’appellation de projet contre le séparatisme. Ce texte, s’il était adopté, permettrait de dissoudre les associations faisant des réunions non mixtes racisées, en ajoutant un nouveau cas de dissolution pour les associations ou groupements de fait « qui interdisent à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion ». Adopté à l’unanimité dans le contexte ambiant et sans que le Gouvernement ne puisse s’y opposer, ce texte, qui permet de porter atteinte à la liberté d’association pour des motifs autres que ceux liés strictement à la préservation de l’ordre public, pourrait être rejeté pour inconstitutionnalité si le Conseil constitutionnel était saisi.