Dernière réforme de l’assurance chômage : la fin de la cacophonie ?
Par Dominique Asquinazi-Bailleux, Professeure à Université de Lyon 3, Jean Moulin.
Par Dominique Asquinazi-Bailleux, Professeure à Université de Lyon 3, Jean Moulin
Depuis le 31 décembre 1958, les partenaires sociaux négocient périodiquement les mesures d’application des dispositions sur l’assurance chômage. Fin 2020, la Cour des comptes relevait une dette cumulée de 54 milliards d’euros (rapport public annuel 2021, 18 mars 2021), ce qui explique que l’État encadre et veille désormais au respect d’une trajectoire financière. Le 13 décembre 2017, le gouvernement a remis aux partenaires sociaux un document de cadrage portant orientation pour la réforme de l’assurance chômage (C. trav., art. L. 5422-25). Très critiques sur les exigences gouvernementales, les partenaires sociaux n’ont pu se mettre d’accord. Le gouvernement a alors repris la main par un décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019 auquel était annexé un règlement d’assurance chômage. Mais c’était sans compter sur les recours contentieux, la crise sanitaire et leurs conséquences.
Quelle est la genèse de cette dernière réforme ?
Pour affronter la crise sanitaire, « l’assurance chômage a constitué un des remparts les plus sollicités pour faire face à la perte de revenus directs ou de remplacement de nombre d’actifs » (R. Lafore, Le système de protection sociale à l’épreuve du Covid 19 : des constats et quelques enseignements : RDSS 2020, p 981). La réglementation a alors fait l’objet de multiples adaptations. Sans revenir sur les principes fondamentaux, le gouvernement a différé, de mois en mois, l’application de certains dispositifs (réduction de la durée d’affiliation, de la durée d’indemnisation, suspension de la dégressivité de l’allocation). Dans le même temps, le Conseil d’État a annulé le nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR) et certaines modalités de mise en œuvre du bonus-malus sectoriel (CE., 25 nov. 2020, n° 434920 : D Actu 1 déc. 2020, L. Malfettes).
Une nouvelle concertation avec les partenaires sociaux a alors été engagée en octobre 2020 pour s’achever début mars 2021. La philosophie de la réforme est conservée tout en prenant en compte la décision d’invalidation du Conseil d’État. La situation sanitaire et économique demeurant dégradée, l’entrée en vigueur de la réforme est différée à des dates variables selon le dispositif en cause (article 1 du décret).
Quels sont les grands axes du nouveau décret ?
Le décret n°2021- 346 du 30 mars 2021 réintroduit et adapte un certain nombre de dispositions du règlement d’assurance chômage.
Au titre des dispositions annulées, le salaire journalier de référence (SJR) qui sert à calculer le montant de l’allocation est revisité. Il est calculé sur la base des rémunérations perçues pendant une période de référence de 24 mois (ou 36 mois pour les salariés de plus de 53 ans). Ce numérateur est divisé par le nombre de jours travaillés additionnés des périodes d’inactivité sur la période de référence d’affiliation. Autrement dit, le salaire de référence et, par suite l’allocation chômage, n’est plus calculé sur les seuls jours travaillés. Les périodes d’inactivité prises en compte font baisser mécaniquement le SJR de tous ceux qui enchaînent les CDD assortis de périodes de carence. Afin d’éviter une minoration excessive du SJR, le nombre de jours d’inactivité comptabilisé sur la période de référence ne pourra être supérieur à 75% du nombre de jours calendaires correspondant aux périodes d’emploi. En contrepartie, les périodes d’indemnisation sont allongées car sont prises en compte les périodes d’inactivité entre deux contrats.
Sont rétablies les dispositions qui avaient été mécaniquement abrogées. C’est le cas des règles relatives aux rémunérations intégrées dans le SJR (article 12§ 3 du Règlement annexé). Certaines périodes de baisse de rémunération sont automatiquement neutralisées (maladie, de maternité, de paternité, d’adoption, etc.). Pour d’autres périodes, la neutralisation ne se fera que sur demande de l’allocataire (congé de proche aidant, congé de mobilité, de reclassement, etc.). Sont également rétablies les dispositions relatives aux différés d’indemnisation (différé spécifique de 150 jours, différé congés payés, etc.).
Certains dispositifs sont affectés de la clause de retour à « meilleure fortune ». Ainsi, est prorogée la durée minimale d’affiliation de 4 mois. La durée de 6 mois, prévue initialement, est donc conditionnée à une amélioration significative de la situation de l’emploi au regard d’indicateurs portant sur la situation du marché du travail. Dans le même esprit, la dégressivité de 30 % de l’allocation pour les salaires supérieurs à 4 500 euros bruts qui devait être activée à compter du 7e mois est reportée au 244e jour de chômage. Elle ne concernera pas les salariés âgés de 57 ans et plus dont on connaît les difficultés de retour à l’emploi. Pour l’heure, la dégressivité commencera à courir à compter du 1 juillet 2021 pour ceux dont l’indemnisation est en cours à cette date (art. 4 du décret).
Enfin, le gouvernement préserve les entreprises en repoussant au 1er septembre 2022 l’application du bonus-malus sur les contributions patronales. Les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire seront exonérés au titre de la première période de mise en œuvre. Il s’agit de celles ayant bénéficié de soutiens, comme le recours à l’activité partielle, au fonds de solidarité ou encore à l’exonération de cotisations. L’objectif est de réguler les contrats courts et de pénaliser les employeurs qui en abusent. Prenant acte de la décision du Conseil d’État, le gouvernement rétablit le bonus-malus pour les entreprises d’au moins 11 salariés et fixe le taux de séparation médian par secteur d’activité. Une liste de 38 secteurs d’activité est dressée à l’article 50-3-1 (ex. : agriculture, industries extractives, industrie pharmaceutique, chimique, hébergement et restauration, enseignement, etc.). L’affectation d’un employeur dans l’un des secteurs d’activité est effectuée en fonction de l’activité économique principale ou, le cas échéant, de son objet social et de la convention collective à laquelle il est rattaché. La minoration ou la majoration est déterminée en fonction de la comparaison entre le taux de séparation de l’entreprise sur une période de référence de 3 années et le taux de séparation médian calculé dans le secteur d’activité de l’entreprise.
La modulation ne peut avoir pour effet de porter le taux de la contribution patronale à un niveau supérieur à 5,05% ou à un niveau inférieur à 3%, sachant que le taux de référence est de 4,05%. Le principe d’une cotisation dépendant du comportement de l’employeur a vocation à s’inscrire dans la durée.
Quelle appréciation peut-on porter sur cette réforme ?
Cette réforme de l’assurance chômage répond au souci de réduire le déficit annuel chronique qui s’élevait à 17,4 milliards d’euros fin 2020 (rapport Cour des comptes, 18 mars 2021). Plus d’un million de chômeurs vont être impactés par la réforme. On peut regretter que les nouvelles règles de calcul du SJR pénalisent ceux qui travaillent de manière discontinue en enchaînant les CDD, autrement dit les jeunes et les plus précaires. Le Conseil d’État y avait vu « une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi ». Certains syndicats menacent de le ressaisir. À court terme, la Cour des comptes, sensible à cette cacophonie, préconise de clarifier « les rôles respectifs de l’État et des partenaires sociaux en matière de prise en charge des dépenses, de fixation des recettes et d’amortissement de la dette ». Autrement dit, la gouvernance du régime d’assurance chômage doit être réétudiée.
Aux regards des nouvelles règles formulées, on ne peut que s’étonner de leur complexité. Chaque réforme ajoute une couche à la précédente alors même que le dispositif mériterait d’être remis à plat. Pour autant, le contentieux demeure confidentiel alors même que les règles de calcul de l’allocation d’aide au retour à l’emploi sont complexes. De quelle latitude dispose le chômeur pour contrôler son allocation lorsqu’on lui notifie son montant et la date de prise d’effet ? Pire encore est le calcul de la cotisation patronale confrontée au dispositif du bonus-malus. Pas moins de 14 articles exposent sa formule. Les avocats spécialistes de droit social devraient avoir de beaux jours devant eux et des entreprises-conseils sont susceptibles de naître pour recalculer les droits des allocataires.
Pour l’heure, la convention d’assurance chômage du 14 avril 2017 continue à s’appliquer jusqu’au 30 juin 2021.
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