Coronavirus – Gel des versements de dividendes : mode d’emploi
Par Alice de Massiac, avocat associée, et Clara Maignan avocat, Taj, société d'avocats, une entité du réseau Deloitte.
Par Alice de Massiac, avocat associée, et Clara Maignan, avocat, Taj, société d’avocats, une entité du réseau Deloitte
Face à l’épidémie de Coronavirus COVID-19, le Gouvernement a mis en place, dès le mois de mars dernier, des mesures immédiates de soutien aux entreprises afin de tenter d’atténuer les incidences de l’épidémie sur l’activité économique : reports ou remises d’échéances fiscales ou sociales, remboursement anticipé de crédits d’impôt, assouplissement du recours au chômage partiel, mise en place d’une garantie pour les prêts bancaires, etc.1
Toutefois, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a indiqué, le 27 mars, que les entreprises qui continuaient de verser des dividendes à leurs actionnaires se verraient exclues du bénéfice de certaines de ces mesures.
Ce principe de non-cumul du bénéfice des aides étatiques avec une distribution de dividendes a été confirmé et détaillé dans une FAQ publiée le 2 avril sur la page dédiée au COVID-19 sur le portail de l’Économie, des Finances, de l’Action et des Comptes publics. C’est sur cette même plateforme que les aides et leurs modalités pratiques d’obtention sont détaillées.
En synthèse, il y est précisé, sur la base d’un engagement de responsabilité, que les grandes entreprises qui entendent bénéficier d’un report d’échéances fiscales ou sociales ou d’un prêt garanti par l’État doivent prendre l’engagement de ne pas verser de dividendes à leurs actionnaires en France ou à l’étranger et de ne pas procéder à des rachats d’actions au cours de l’année civile 2020.
Dans un souci de sécurité juridique, une mesure de tolérance est cependant prévue pour les distributions et les rachats procédant d’une décision prise antérieurement au 27 mars 2020 (date d’annonce de la mesure par le ministre de l’Économie et des Finances).
À ce stade, le Gouvernement ne semble pas avoir prévu de donner de base légale à cette mesure. On notera cependant qu’une proposition de loi, n’émanant pas de la majorité gouvernementale, a été déposée devant l’Assemblée Nationale le 8 avril dernier et prévoit un champ d’application beaucoup plus large, s’agissant notamment des entreprises concernées. Il est toutefois peu probable qu’elle soit adoptée.
Ainsi que nous allons le détailler, en définitive, seules les plus grandes entreprises sont impactées ; de la même manière, seules certaines mesures de soutien sont finalement visées par le dispositif.
Quelles sont les entreprises concernées ?
Le dispositif vise les grandes entreprises. En pratique, il s’agit soit d’une entité indépendante soit d’un groupe d’entités, qui emploie au moins 5 000 salariés, ou (il s’agit bien là d’une condition alternative) a réalisé un chiffre d’affaires consolidé supérieur à 1,5 milliard d’euros en France. Ces chiffres doivent avoir été dépassés lors du dernier exercice clos.
Dans le cas d’un groupe d’entités, l’Administration précise expressément que la définition du groupe peut être retenue en faisant référence à la définition utilisée pour la CVAE (CGI, art. 1586 quater I bis) ou pour l’intégration fiscale (CGI, art. 223 A). Bien que les termes utilisés puissent laisser à penser que les groupes disposent d’un choix dans ce cadre, il nous semble que ce choix soit plutôt laissé à l’appréciation de l’administration fiscale.
Si, depuis la réforme de 2017 portant sur le calcul du chiffre d’affaires déterminant le taux de CVAE applicable au sein d’un groupe, les conditions de détention des filiales par la société mère sont désormais identiques au regard de l’intégration fiscale et de la CVAE (détention directe ou indirecte à 95 % au moins, y compris par l’intermédiaire d’entités établies dans l’UE ou dans l’EEE), la notion de groupe au regard de la CVAE est dans les faits plus large que ce soit en raison du régime d’imposition de la filiale, en l’absence d’option pour l’intégration fiscale etc.
Quelle que soit la définition retenue, c’est bien aux bornes de ce groupe qu’il faudra se placer pour apprécier le seuil de 1,5 milliard d’euros et 5 000 salariés, mais également nous semble-t-il, pour l’application de l’exception ménagée en faveur des distributions intragroupe (voir ci-après).
Cette notion de groupe est également d’importance, puisque c’est elle qui devrait fixer le périmètre des sociétés concernées par l’interdiction de verser des dividendes. En effet, pour un groupe d’entités, l’engagement de ne pas verser de dividendes couvre l’ensemble des entités françaises, même si certaines d’entre elles seulement sollicitent le bénéfice des mesures de soutien. Autrement dit, si une seule entité du groupe bénéficie d’une aide de l’État, c’est l’ensemble des sociétés du groupe qui devront s’abstenir de verser des dividendes ou de procéder à des rachats d’actions.
Enfin, même si la communication du Gouvernement n’est pas absolument limpide sur ce point, il nous semble que le seuil de 1,5 milliard d’euros doit être apprécié en tenant compte du seul chiffre d’affaires réalisé en France par les entités du groupe.
Quels engagements doivent être pris en pratique ?
Les grandes entreprises qui ont bénéficié ou souhaitent bénéficier des mesures de report de cotisations sociales ou d’échéances fiscales, ou des prêts garantis par l’État devront prendre l’engagement de ne pas verser de dividendes et de ne pas procéder à des rachats d’actions au cours de l’année civile 2020.
S’agissant d’abord du non-versement de dividendes, il est expressément précisé que sont visés non seulement les dividendes au sens strict, mais également toutes les autres formes de distributions en numéraire ou en actions (notamment, acomptes sur dividendes et distributions exceptionnelles de réserves, versements de dividendes en actions). Il importe peu, à cet égard, que la distribution soit effectuée au profit d’un actionnaire français ou étranger.
En revanche, les attributions de titres liées à une réorganisation du groupe ne sont pas assimilables à un versement de dividendes en actions.
Une exception est toutefois ménagée en faveur des entreprises soumises à une obligation légale de distribution (on peut penser à certaines sociétés immobilières), sous réserve que le montant distribué soit strictement limité à ce qui est requis par cette obligation légale. On notera qu’a contrario, cette exception ne devrait pas bénéficier aux distributions découlant d’une obligation contractuelle ou statutaire.
En outre, il est précisé que les distributions intragroupes demeurent possibles, lorsqu’elles « ont pour effet au final de soutenir financièrement une société française (notamment lui permettre de respecter ses engagements contractuels vis-à-vis de ses créanciers) ». En l’absence de précisions complémentaires sur la notion de distributions « intragroupes », il nous semble qu’il faudrait, en cohérence, retenir la même définition de groupe que celle utilisée pour apprécier le seuil de 1,5 milliard d’euros (au sens de la CVAE ou de l’intégration fiscale). En tout état de cause, c’est sans doute à l’entreprise distributrice qu’il incombera de prouver que le versement avait pour finalité de soutenir financièrement l’entité bénéficiaire des distributions. Par ailleurs, il est confirmé que les distributions réalisées par les entités étrangères du groupe au profit des entités françaises de celui-ci ne remettent pas en cause les aides demandées par ces dernières.
Enfin, ne sont pas concernées par la mesure les distributions procédant d’une décision antérieure au 27 mars 2020. À cet égard, le critère déterminant est la date de décision de l’organe compétent de procéder à la distribution. À l’inverse, sont sans incidence la circonstance que le montant du dividende ait préalablement été annoncé ou que l’assemblée ait commencé à être convoquée sur un ordre du jour incluant le versement d’un dividende ou encore la date de détachement et la date de mise en paiement du dividende.
S’agissant des rachats d’actions, sont expressément exclus ceux effectués en vue d’une réduction de capital non motivée par des pertes à des fins de gestion financière (cette interdiction s’appliquant également aux réductions de capital non motivées par des pertes, par réduction du montant nominal des actions à des fins de gestion financière). Sont en revanche autorisés ceux destinés à l’attribution d’actions aux salariés et, plus généralement, ceux destinés à l’exécution d’un engagement juridique antérieur au 27 mars 2020. Sont notamment cités, à titre d’exemple, les rachats d’actions dans le cadre de contrats de liquidité conclus avant le 27 mars 2020 et non modifiés par la suite, ou encore ceux effectués dans le cadre d’une opération de croissance externe (pour autant qu’ils soient nécessaires) ayant fait l’objet d’un engagement juridique de la société antérieur à cette même date.
En cas de contrôle, c’est à l’entreprise qu’il incombera d’établir la raison pour laquelle les rachats d’actions ont été réalisés et la réalité de l’affectation des actions rachetées aux fins qu’elle invoque, sans qu’il ne soit toutefois nécessaire que les actions rachetées aient été effectivement utilisées à cette fin à la date du contrôle.
Quels sont les dispositifs nécessitant cet engagement ?
Le gel des versements de dividendes n’a, à ce stade, d’incidences que sur les grandes entreprises qui entendent bénéficier du report des échéances fiscales, du report de cotisations sociales ou de prêts garantis par l’État.
En ce qui concerne les reports d’échéances fiscales, il s’agit limitativement de la possibilité de bénéficier d’un report jusqu’à trois mois de la date de paiement, sans pénalités de retard, des impôts directs, à ce jour, échus au cours des mois de mars et avril 2020 (acompte d’impôt sur les sociétés, taxe sur les salaires, cotisations foncières pour les entreprises sous contrat de mensualisation). Cela ne vise pas le bénéfice du remboursement anticipé de crédits d’impôt restituables en 2020 ou le report de paiement de la contribution à l’audiovisuel public.
De façon similaire, pour les cotisations salariales et patronales, le dispositif vise le report jusqu’à trois mois sans pénalités des échéances des mois de mars et avril.
Enfin, l’État peut apporter sa garantie sans contrepartie dans le cadre de prêts bancaires obtenus entre le 16 mars et le 31 décembre 2020.
Les dispositifs concernés par l’engagement sont limitativement énoncés. Contrairement à ce qui avait pu être annoncé, l’engagement de ne pas verser de dividendes ou procéder à des rachats d’actions ne concerne pas les grandes entreprises qui ont recours au chômage partiel. On notera toutefois que le ministre de l’Économie a demandé aux entreprises concernées de faire preuve de modération en la matière.
Formalisation de l’engagement
S’agissant des mesures de report de cotisations sociales ou d’échéances fiscales, l’engagement de l’entreprise se matérialisera, respectivement, par un simple message à l’Urssaf qui gère son compte ou par le fait de cocher une case sur le formulaire dédié. En ce qui concerne l’octroi d’un prêt garanti par l’État, une clause résolutoire sera introduite dans le contrat de prêt au moment de l’instruction de la demande de prêt par les services du ministère de l’économie et des finances.
Sanction du non-respect par l’entreprise de ses engagements
En l’absence d’engagement de la part de l’entreprise, ou en cas de non-respect de cet engagement, l’entreprise qui aura bénéficié d’un report de cotisations sociales ou d’échéances fiscales se verra appliquer les majorations de retard applicables en cas de non-paiement des impôts et cotisations (5 % de majoration initiale + 0,2 % par mois de retard). Il lui faudra immédiatement s’acquitter des sommes impayées.
De la même manière, une entreprise qui aurait décidé après le 27 mars 2020 d’un versement de dividende ne pourra pas bénéficier de la garantie de l’État sur un prêt contracté auprès de sa banque ou auprès de laquelle elle aurait initié des démarches à cette fin. Le cas échéant, la banque pourra exiger de l’entreprise le remboursement de l’intégralité du principal.
Il conviendra de suivre si d’autres pays de l’Union européenne prennent le pas de la démarche française sur le sujet (au-delà du Portugal et du Danemark qui ont déjà adopté une interdiction de distribution de dividende un peu similaire). De son côté, le 27 mars 2020, la Banque centrale européenne (BCE) a recommandé aux banques de la zone Euro de ne pas verser de dividendes et de s’abstenir de procéder à des rachats d’actions durant la pandémie de COVID-19. La recommandation concerne les dividendes au titre de 2019 et de 2020 et préconise une absence de versement au moins jusqu’au 1er octobre 2020. La BCE attend des banques qu’elles continuent à financer les ménages ainsi que les petites, moyennes et grandes entreprises.
[1] V. not., M. Gauthier, Coronavirus : mesures fiscales exceptionnelles de soutien aux entreprises : Dr. fisc. 2020, n° 14, act. 114. – M.-P. Antoni, Coronavirus : le point de vue des entreprises sur les mesures fiscales exceptionnelles de soutien aux entreprises : Dr. fisc. 2020, n° 14, act. 115.
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