Contrôle parlementaire et coronavirus
Par Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’Université de Versailles Saint Quentin.
Par Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’Université de Versailles Saint Quentin
Le 21 mars, le Président du groupe LR a annoncé une demande création d’une commission d’enquête à l’Assemblée sur le coronavirus. Y a-t-il des obstacles juridiques ?
La réponse est assurément non. Les groupes disposent d’un droit de tirage pour une telle création (Règlement de l’Assemblée nationale art 141 al 2). Les commissions d’enquête sont prévues par la Constitution depuis 2008, dont l’article 51-2 renvoie à la loi le soin de déterminer les règles d’organisation et de fonctionnement. Cette loi (article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958) prévoit que leur objet est de « recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ».
Une première demande de création (AN n° 2742, B. Perrut, 4 mars) prévoit une commission d’enquête pour « évaluer la gestion de la pandémie de coronavirus en France, sur les enseignements à en tirer, notamment pour rendre plus opérationnels, efficaces et réalistes nos futurs plans contre les pandémies ». Mais on peut penser que d’autres propositions de création seront plus précises : système hospitalier, équipements sanitaires, effets économiques du confinement, etc. et, surtout, seront étendues aux mesures prises, dans leur nature, comme dans le moment où elles interviennent, d’autant que le nouvel article L. 3131-13 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020, dispose que les assemblées peuvent « requérir » toute information complémentaire dans le cadre de l’urgence sanitaire, sans préciser ni la procédure, ni les limites, de ce pouvoir, les assemblées ne disposant par elles-mêmes d’aucun pouvoir de réquisition.
Cette forme de contrôle est-elle adaptée à la crise ?
La réponse est assurément oui, mais son déclenchement immédiat serait mal adapté à la situation présente. Le 17 mars, la conférence des Présidents de l’Assemblée a suspendu la plupart des activités parlementaires, sauf textes indispensables à la gestion de la pandémie et questions d’actualité au gouvernement, avec des présences réduites. Le Sénat a seulement maintenu, pour les prochaines séances, les questions, sans décompte de présence obligatoire. On imagine donc mal une ou plusieurs commissions d’enquête débuter immédiatement sans difficultés concrètes : tous les acteurs sont totalement mobilisés et ne pourraient répondre à une convocation.
Les travaux d’une commission d’enquête durent six mois au maximum, ce qui justifie aussi qu’ils ne débutent pas trop tôt. D’ailleurs les commissions d’enquête en cours bénéficient d’une prolongation de délais (article 22 de la loi du 23 mars 2020). Au-delà, l’importance des sujets, le confinement, sa durée, le caractère inédit de la crise justifient que la forme la plus solennelle du contrôle parlementaire soit mise en œuvre. Les seules limites imposées à l’activité des commissions d’enquête sont l’absence de poursuites pénales sur le même sujet – mais elles ne font pas obstacle à la création proprement dite – ou le secret de la défense, – ou assimilés – qui n’est pas en jeu, ainsi que la mise en cause de la présidence de la République, encore qu’elle n’a pas fait obstacle à une commission d’enquête sur la libération d’otages en Lybie en 2007 ou, plus proches de nous, aux investigations dans l’affaire Benalla.
Ces limites ne jouent pas en l’espèce, sauf mise en cause de la responsabilité du Chef de l’Etat, lequel ne peut répondre à une convocation devant une commission d’enquête (cela a été clairement exclu en 1984 dans l’affaire dite des « avions renifleurs »), ou à interférer de manière directe et précise avec des procédures en cours, notamment devant la Cour de justice de la République. Les personnes convoquées devant une commission d’enquête sont tenues de répondre, le refus est passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, elles prêtent serment. Les auditions sauf décision contraire sont publiques, le rapporteur dispose de pouvoirs d’enquête sur pièces et sur place, etc.
Y a-t-il d’autres formes de contrôle parlementaire mises en œuvre ?
Oui. Le travail de chaque commission permanente ne manquera pas de s’exercer. Mais, contrairement à ce qui s’est passé par exemple dans l’affaire Benalla, où les seules commissions des lois s’étaient dotées de pouvoirs d’enquête, la crise concerne le champ de compétences de toutes les commissions permanentes : équipements hospitalo-sanitaires, sécurité publique, économie, transports, scolarité, etc. ce qui exclut que, pour apprécier la totalité de la crise, l’une d’entre elle seule se dote de pouvoirs d’enquête. Là où les commissions d’enquête qui seront créées dépasseront les frontières des compétences des commissions. Il y aura aussi des débats, à l’instar de celui qui s’est tenu le 4 mars au Sénat, et sûrement d’autres missions. Le 17 mars, la Conférence des Présidents de l’Assemblée a décidé de la création d’une mission d’information de l’Assemblée nationale (article 145, 4 du règlement de l’Assemblée) sur « l’impact, la gestion, et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-COVID19 en France ».
Chacun est dans son rôle : la Conférence des présidents décide d’une mission générale de suivi de la crise, structure adaptée au suivi de calamités publiques (V. Doc AN 1399, Y. Haury sur les évènements climatiques majeurs dans les zones littorales, Mme Maina Sage, présidente) mais qui ne dispose pas de pouvoirs d’enquête. Les parlementaires peuvent obtenir la création de commissions d’enquête, faisant usage de ces pouvoirs, pour remédier aux insuffisances qu’ils mettront en évidence. Compte tenu de l’ampleur des sujets qui seront à traiter, les risques de recoupements existent mais sont limités. On imagine mal, en tout cas, que les deux assemblées ne prennent pas toute leur place dans l’évaluation des moyens mis en œuvre. C’est leur rôle, comme c’est celui des oppositions, d’enquêter et de proposer des solutions alternatives. En toute hypothèse, le contrôle parlementaire doit naturellement être mobilisé. C’est l’inverse qui serait choquant.
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