Brexit : le volet judiciaire
Par Denys Simon, Professeur émérite à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, membre du Club des juristes
Par Denys Simon, Professeur émérite à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, membre du Club des juristes
Comme on pouvait s’y attendre, la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union européenne ne mettra pas un terme aux contentieux susceptibles d’opposer le Royaume-Uni à l’Union européenne, y compris devant la Cour de justice de l’Union.
D’une part, certaines procédures sont en cours, concernant de situations juridiques antérieures à la concrétisation du Brexit.
C’est ainsi que le 4 mars 2021 la Cour de justice a rendu un arrêt constatant le manquement britannique aux dispositions de la directive du 21 mai 2008 « concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe ». L’affaire remonte à 2010 et trouve son origine dans le dépassement systématique des valeurs limites de dioxyde d’azote, les plans britanniques dans certaines zones concernées ayant reporté le respect des valeurs limites à la période 2015-2025. L’ONG ClientEarth avait introduit des procédures devant les juridictions britanniques qui avaient donné lieu en 2014 à un renvoi préjudiciel de la Cour suprême du Royaume-Uni devant la Cour de justice de l’Union et abouti à une condamnation des plans en cause. L’insuffisance manifeste des mesures prises par les autorités britanniques a ensuite conduit la Commission à introduire une procédure de manquement, qui s’est soldée par la condamnation sans appel prononcée par le juge de l’Union pour dépassement « systématique » et « persistant » des valeurs limites fixées par les directives (CJUE 4 mars 2021, Commission c/ Royaume-Uni, C-664/18).
Certaines procédures, engagées également avant la finalisation du retrait britannique, sont encore pendantes. La plus significative s’est traduite par la saisine de la Cour de justice de l’Union à propos de la non récupération intégrale des aides d’État illégalement accordées avant le Brexit à des entreprises multinationales sur le territoire de Gibraltar. La Commission avait en 2018 exigé que soient récupérées ces aides faussant de manière déloyale la concurrence pour un montant de 100 millions d’euros au plus tard le 29 avril 2019, et devant la carence britannique, a donc été contrainte de saisir la Cour de justice le 19 mars dernier, en rappelant que l’accord de Brexit l’autorise explicitement à traduire le Royaume-Uni devant la Cour de justice pour non-exécution d’une décision prise avant le 31 décembre 2020.
D’autre part, la Commission vient d’introduire des procédures de manquement directement liées à la violation de l’accord de retrait lui-même. C’est ainsi qu’a été adressée au Royaume-Uni une mise en demeure — première étape d’une procédure de manquement — à la suite de la décision unilatérale prise par les autorités britanniques, sans aucune concertation, d’étendre jusqu’au 1er octobre prochain la « période de grâce » sur les contrôle alimentaires liés aux échanges de marchandises entre la Grande Bretagne et l’Irlande du Nord, en violation flagrante des dispositions des accords de Brexit, et notamment du Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord. La Commission européenne déplore de surcroît que cette mesure britannique ait été prise sans négociation ni discussion au sein du comité mixte institué par l’accord de retrait, le co-président européen du comité conjoint n’ayant même pas été informé de cette décision.
C’est la raison pour laquelle, parallèlement à la lettre de mise en demeure inscrite dans la procédure de manquement, la Commission a envoyé le 15 mars une « lettre politique » au co-président du comité mixte pour la partie britannique, David Frost, exigeant la suspension immédiate des mesures adoptées début mars par le Royaume-Uni, prises en violation caractérisée de l’obligation de bonne foi inscrite à l’article 5 de l’accord de retrait. Dans l’hypothèse où le Royaume-Uni ne se conformerait pas à cette demande, l’Union pourrait saisir formellement le comité mixte sur la base de l’article 169 de l’accord de retrait, ce qui constitue la première étape du mécanisme de règlement des différends prévu au titre III de la sixième partie de l’accord de retrait. Si aucune solution n’est trouvée, l’Union peut en effet soumettre le différend à la procédure d’arbitrage instaurée par l’accord de retrait, ce qui pourrait aboutir à des sanctions financières et le cas échéant à des mesures de rétorsion comme l’institution de droits et de taxes sur les importations en provenance du Royaume-Uni. On conçoit bien que compte tenu des difficiles négociations sur la situation de l’Irlande dans le processus de Brexit, les instances européennes ne soient pas prêtes à tolérer des violations caractérisées de l’engagement international figurant dans les accords de retrait, aggravées par la violation de l’obligation de bonne foi dans l’utilisation des procédures de négociation et de conciliation prévues pas ces accords.
Ces quelques observations sur le volet contentieux dans le contexte du Brexit montrent bien que la dimension juridique, voire juridictionnelle, viendra sans doute dans les mois à venir s’ajouter aux tensions politiques entre le Royaume-Uni et l’Europe, comme en témoignent également les débats récents sur les questions vaccinales. Affaire(s) à suivre…
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