Brexit et marchés financiers, l’équivalence est encore loin
Par Francesco Martucci, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Par Francesco Martucci, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
Le 26 mars 2021, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont conclu un Memorandum of understanding (« MoU ») en matière de services et marchés financiers. Le MoU marque une timide avancée et ne résout pas les difficultés soulevées par le Brexit.
Brexit et services financiers sont étroitement liés. Avant même que David Cameron n’envisage le référendum, le Royaume-Uni faisait valoir dans l’Union des prétentions en vue de bénéficier d’un régime spécifique pour la place financière de Londres. L’instauration de l’union bancaire en 2012 avait de plus aiguisé la crainte que les établissements de la zone euro ne bénéficient d’un avantage compétitif par rapport aux opérateurs britanniques.
Sur le plan juridique, les tensions s’étaient manifestées tant par le refus britannique de participer au TSCG[1], des recours introduits devant la CJUE pour contester l’extension des prérogatives de la BCE[2] et des autorités européennes de surveillance financière (ABE et AEMF)[3] ou, last but not least, par la section A de l’arrangement dont le Royaume-Uni aurait bénéficié en cas du victoire du Remain[4]. Au cours de la campagne référendaire, le gouvernement britannique avait également fait valoir le coût d’un retrait pour l’économie nationale tant celle-ci est tributaire des services financiers, soit 7 % du PIB britannique et 10 % des recettes fiscales. Lors des négociations du retrait, les revendications britanniques de maintenir un accès de la City au marché intérieur des services financiers se sont heurtées à une fin de non-recevoir ferme de la part de l’UE-27. Le Royaume-Uni devenu pays tiers, ses opérateurs financiers ont perdu le bénéfice du passeport européen.
La perte du passeport européen et l’exigence d’équivalence
Tout opérateur établi dans un État membre de l’Union européenne bénéficie du passeport européen en vertu duquel il peut exercer tant le droit d’établissement et la libre prestation de services. En vertu du principe de reconnaissance mutuelle reconnu par le droit dérivé, l’agrément obtenu dans un État membre suffit à l’opérateur pour pouvoir exercer ses activités dans l’ensemble du marché intérieur. En vertu du principe du home country control, l’opérateur établi dans un État membre est soumis à la surveillance exercée par le régulateur national et – pour les établissements bancaires les plus importants – par la BCE avec la coopération de l’autorité nationale.
Au 1er janvier 2021, à moins qu’ils n’aient décidé de transférer leur activité sur le territoire d’un État membre de l’Union, les opérateurs britanniques ne bénéficiant plus du passeport européen relèvent du régime d’équivalence prévu pour les pays tiers. Ce régime ne permet cependant qu’un accès limité et précaire au marché intérieur. D’une part, il doit être expressément prévu par un texte ; or, loin d’être générale, l’équivalence n’est admise que pour certains services financiers. D’autre part, il est tributaire de l’obtention d’une décision de la Commission déclarant équivalente la régulation exercée par les autorités de l’État tiers, décision pouvant être retirée. Éludée par l’accord de retrait de 2019, la question des services financiers n’a pas été résolue par l’accord de commerce et de coopération conclu le 31 décembre 2020 entre l’Union européenne et le Royaume-Uni qui n’a prévu ni un accès au marché intérieur ni même une équivalence. Par une déclaration conjointe de décembre 2020, les deux parties avaient annoncé une coopération structurée en matière de régulation des services financiers formalisée dans le cadre d’un Memorandum of Understanding qui est intervenu fin mars 2021.
Que change le Memorandum of Understanding ?
En matière financière, les effets du Brexit ont été anticipés par les autorités européennes et nationales, du moins de façon transitoire. Ainsi, l’Autorité européenne des marchés financiers a publié une série de communications et de rapports expliquant les conséquences, selon l’activité exercée par les opérateurs ou les contrats conclus, de l’expiration de la période de transition. En France, par exemple, l’ordonnance n° 2020-1595 du 16 décembre 2020 a prévu des solutions transitoires du Brexit en matière d’assurances, de placements collectifs et de plans d’épargne en actions.
La Commission européenne a également adopté des décisions d’équivalence temporaire pour le Royaume-Uni, comme par exemple pour les chambres de compensation jusqu’au 30 juin 2022 ou pour les dépositaires centraux de titres jusqu’au 30 juin 2021. Si elles apportent de la sécurité juridique, en particulier pour l’exécution des contrats conclus avant le 1er janvier 2021, ces solutions ne sont que temporaires. Le MoU est censé créer un cadre pour une coopération en matière de régulation financière et établir un « regulatory forum » sous la forme d’une « plateforme pour faciliter le dialogue sur les questions financières ». En droit, le MoU ne saurait être apparenté à un accord international et, en tout état de cause, il ne signifie pas la reconnaissance d’une équivalence généralisée. Pour l’instant, on constate un déséquilibre, les britanniques se montrant bien plus enclins à accorder l’équivalence que les européens !
N’est-ce pas le révélateur du creusement d’un écart entre deux cultures de la régulation financière ? À la régulation exigeante dans l’Union européenne plus protectrice pour les uns, trop bureaucratique pour les autres, s’oppose une régulation plus souple au Royaume-Uni qui, selon les points de vue, met à risque la stabilité financière ou, au contraire, aiguise l’attractivité de la place financière. Plus l’écart se creuse, plus l’équivalence s’éloigne ; on peut néanmoins faire confiance aux régulateurs qui, en pratiquant la coopération, peuvent pallier le défaut d’un accord entre l’Union et le Royaume-Uni.
1. Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance.
3. Autorité bancaire européenne : C-507/13 (le Royaume-Uni s’est finalement désisté) et Autorité européenne des marchés financiers : CJUE, Gde ch., 22 janvier 2014, Royaume-Uni / Parlement européen et Conseil, C‑270/12 : le Royaume-Uni contestait l’octroi de pouvoirs d’intervention exceptionnelle à l’AEMF pour les contrats de vente à découvert.
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