Affaire Assange : refus des juridictions britanniques d’une extradition par les États-Unis
Par Thomas Herran, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux.
Par Thomas Herran, Maître de conférences à l’Université de Bordeaux
Au terme d’une décision de 132 pages, la justice britannique a refusé, le 4 janvier 2021, l’extradition de Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, vers les États-Unis. Il y est poursuivi de plusieurs chefs d’accusation, dont l’infraction d’espionnage, pour la publication de milliers de documents classifiés concernant la Défense nationale américaine et encourt une peine de 175 ans de réclusion.
Quels arguments ont été avancés par les avocats de Julian Assange devant la justice britannique ?
Les avocats de Julian Assange ont soulevé plusieurs moyens de défense dans l’espoir d’obtenir le refus d’extradition vers les États-Unis. Mais seuls certains d’entre eux étaient susceptibles de prospérer devant la juridiction londonienne.
Le premier argument avancé était relatif à la nature des infractions reprochées à Julian Assange et au mobile politique de la demande d’extradition. La défense estimait, en premier lieu, que les infractions d’espionnage relèvent de la catégorie des infractions politiques. Or, ces infractions sont traditionnellement exclues du champ d’application de l’extradition, comme le prévoit d’ailleurs l’article 4 du traité d’extradition du 31 mars 2003 conclu entre le Royaume-Uni et les États-Unis. En second lieu, pour les défenseurs du créateur de Wikileaks, la demande d’extradition était animée par un mobile politique et les poursuites s’expliquaient uniquement par les pressions exercées par l’Administration Trump sur les procureurs américains.
Ensuite, plusieurs moyens invoqués par la défense alléguaient l’existence d’un risque de violation des droits fondamentaux de Julian Assange en cas d’extradition vers les États-Unis. Aux dires des avocats, leur client risquait de ne pas être jugé en application d’une procédure équitable, exigée par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme et l’extradition l’exposait à un risque de violation de sa liberté d’expression, consacrée à l’article 10 de cette même convention. Tous les soutiens de Julian Assange fondaient beaucoup d’espoir sur ce dernier argument car la Cour européenne des droits de l’homme, juridiction qui veille au respect de la Convention éponyme, offre une protection accrue au droit de la presse et considère les journalistes comme « les chiens de garde de la démocratie ».
Enfin, était allégué un risque réel que le fondateur du célèbre portail d’informations subisse des conditions de détention incompatibles avec son état de santé mentale, celui-ci souffrant d’un trouble du spectre de l’autisme et d’un syndrome d’Asperger selon les expertises psychiatriques.
Quels motifs ont justifié la décision de refus d’extrader ?
La juge qui a statué sur la demande d’extradition émise par les autorités américaines n’a pas accueilli l’ensemble de ces arguments.
Elle a rejeté le moyen relatif à la nature politique de l’infraction et de la demande d’extradition. Alors même que l’espionnage constitue l’infraction politique par excellence, la juridiction britannique rejette l’argument pour des raisons purement techniques. En effet, la juridiction précise que le traité d’extradition ne peut pas être invoqué par la défense car il régit exclusivement les relations entre les États ; seul le droit anglais est applicable en l’espèce. Or, le Extradition Act de 2003 qui introduit un nouveau régime d’extradition ne permet plus d’invoquer la nature politique des infractions pour s’opposer à l’extradition. Les avocats ne sont donc pas fondés à invoquer le caractère politique des infractions. Concernant le mobile politique de la demande d’extradition, la juge a considéré qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes de l’existence de pressions de la part de l’actuel gouvernement américain sur les autorités judiciaires pour exercer les poursuites. Il est d’ailleurs précisé qu’il n’est pas établi qu’une quelconque décision de poursuivre ou non n’ait été prise sous l’Administration Obama et que les procureurs ont déclenché les poursuites de bonne foi.
En outre, la juge a balayé l’argument du risque de violation au procès équitable et de la liberté d’expression. Sur ce dernier fondement, la juge justifie sa décision en avançant que les faits reprochés à Julian Assange constituent également des infractions au Royaume-Uni et que la liberté d’expression n’aurait pas fait obstacle à des poursuites devant les juridictions britanniques, dès lors que les manœuvres qu’il a employées l’ont « fait aller au-delà du rôle lié au journalisme d’investigation ». En outre, elle affirme que la liberté d’expression est également garantie par la Constitution américaine (1er amendement) et que le mis en cause pourrait faire valoir son droit devant un tribunal américain. Cette motivation a suscité l’émoi dans la communauté des médias, particulièrement déçue par la décision, car elle ne protègerait pas suffisamment la liberté de la presse. Elle peut toutefois s’expliquer par le fait que cette liberté n’est pas absolue comme le rappelle la juge londonienne en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est finalement le dernier argument qui a justifié la décision de refus de l’extradition. Constatant que Julian Assange serait soumis à des mesures administratives spéciales particulièrement restrictives, impliquant un isolement quasi-total, la juge considère que, en cas de remise, « la santé mentale de M. Assange se détériorera au point qu’il se suicidera ». Elle relève également que la stratégie de prévention des suicides en détention aux États-Unis, malgré sa qualité, ne fonctionne pas toujours. Elle conclut à l’existence d’un risque réel de suicide du journaliste, et justifie ainsi le refus d’extrader.
Quelles sont les suites possibles de l’affaire ?
Cette décision ne marque pas pour autant le dénouement de l’affaire Assange. Les États-Unis ont interjeté appel et une nouvelle juridiction britannique devra alors se prononcer à nouveau sur la demande d’extradition.
Dans l’attente, Julian Assange est maintenu en détention. Dans une décision du 6 janvier 2021, le tribunal anglais a estimé qu’il existait des motifs sérieux de croire que le fondateur de Wikileaks ne se présenterait pas devant lui pour faire face à la procédure de recours s’il était libéré. Cette décision s’explique par les risques élevés de fuite de l’Australien de 49 ans qui dispose des ressources nécessaires pour organiser son départ du Royaume-Uni et compte tenu de l’offre d’asile politique de la part du Mexique.
La nouvelle décision pourra confirmer le refus d’extradition vers les États-Unis pour le même motif que la décision de première instance ou sur un autre argument avancé par la défense. À l’inverse, le refus d’extrader pourrait être infirmé, auquel cas la remise de Julian Assange serait mise à exécution. Dans ce dernier scénario, le fondateur de Wikileaks serait jugé par les juridictions américaines. Mais un nouveau rebondissement pourrait surgir avec l’élection de Joe Biden si le nouveau Président américain décidait de le gracier.
Quel que soit le sens de la décision à venir, un nouveau recours devant la Cour suprême pourra être exercé. L’affaire Assange est loin de connaître son épilogue.