3 questions à Romélien Colavitti sur le cadre juridique de la politique de la Ville
En déplacement à Tourcoing le mardi 14 novembre, le Président de la République Emmanuel Macron a prononcé un discours attendu sur sa conception de la politique de la Ville, un mois après « l’appel de Grigny », lancé par des maires de communes concernées.
Décryptage du cadre juridique qui s’annonce avec Romélien Colavitti, maître de conférences en droit public à l’Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis.
« Les innovations majeures sont à attendre pour un exercice post-2020 avec, d’ici là, l’adoption vraisemblable d’une nouvelle loi de programmation »
Quel est le cadre juridique actuel de la politique de la Ville ?
C’est aujourd’hui la Loi n°2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la Ville et la cohésion urbaine qui fournit un cadre juridique à la politique de la Ville, articulé autour de trois caractéristiques essentielles.
D’abord, la politique de la Ville est interministérielle, dans la mesure où le ministère responsable de sa mise en œuvre agit de manière concertée avec les autres ministères impliqués, notamment ceux chargés de l’économie, du logement, de l’action sociale, de l’intérieur ou de l’éducation nationale. Pour ce faire, il bénéficie du concours du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), qui assure, d’une part, le secrétariat du Conseil national des Villes (CNV) et, d’autre part, la tutelle de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), de l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (ÉPARECA), de l’Établissement public d’insertion pour l’emploi (ÉPIDE) et de l’Agence France Entrepreneurs.
Ensuite, il s’agit d’une politique territorialisée, car elle repose sur l’identification des quartiers prioritaires de la politique de la Ville (1514 QPV actuellement). L’article 5 de la Loi de programmation a mis en place une nouvelle géographie prioritaire, reposant sur un simple critère de revenu par habitant. C’est grâce à un outil de cartographie statistique forgé par l’INSEE, le « carroyage » (consistant à découper le territoire en carreaux de 200 mètres de côté, pour y insérer les données utiles), que ces QPV sont ensuite délimités, moyennant une adaptation possible par les autorités de mise en œuvre. Les périmètres des actuels QPV ont été fixés, en métropole, par le Décret n°2014-1750 et, outre-mer, par le Décret n°2014-1751 (tous deux rectifiés par le Décret n°2015-1138).
Enfin, la politique de la Ville est contractualisée, dans la mesure où elle est mise en œuvre par des « contrats de Ville » conclus à l’échelle intercommunale (art. 6.I de la Loi de programmation) entre, d’une part, l’état et ses établissements publics et, d’autre part, les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Ils sont, en outre, signés par les départements, les régions et, potentiellement, la Caisse des dépôts et consignations, les organismes HLM (art. L. 411-2 du Code de la construction et de l’habitation), les sociétés d’économie mixte (art. L. 481-1 du même Code), les organismes de protection sociale, les chambres consulaires, les établissements d’enseignement supérieur ou les autorités organisatrices de transports. Ils sont conclus pour une durée de six ans et établissent un projet pluriannuel de développement de l’activité économique et de l’emploi (à l’aide d’exonérations fiscales aux entreprises s’installant en zones franches urbaines – territoire entrepreneur ZFU-TE, qui perdurent aux côtés de certains QPV ou de restructurations d’espaces commerciaux et artisanaux) ; de cohésion sociale (en soutenant les associations et les équipements sociaux, culturels ou sportifs) ; d’amélioration du cadre de vie et de renouvellement urbain (en particulier, dans le cadre du nouveau programme de renouvellement urbain, piloté par l’ANRU).
Quelles sont les évolutions à attendre en la matière, à la suite du discours de Tourcoing ?
Certains médias ont parfois eu tendance à présenter l’actuel Président de la République comme un sceptique de la politique de la Ville.
Néanmoins, le discours de Tourcoing ne fait pas table rase des acquis en la matière, comme l’atteste l’expertise – toujours actuelle – de Jean-Louis Borloo, ancien ministre délégué à la Ville et principal initiateur de l’ANRU. Les objectifs et la plupart des moyens alloués à cette politique perdurent alors. Ceci est surtout lié à une contrainte d’ordre juridique, la Loi de programmation et les contrats de Ville ayant été conçus pour un exercice pluriannuel courant jusqu’en 2020. Les innovations majeures sont à attendre pour un exercice post-2020 avec, d’ici là, l’adoption vraisemblable d’une nouvelle loi de programmation.
Il est peu probable qu’à cette occasion les instruments fondamentaux (CGET, nouvelle géographie prioritaire, contrats de Ville…) disparaissent. Tout juste pourront-ils changer de dénominations comme ce fut déjà le cas, à plusieurs reprises, par le passé. C’est plutôt un changement de méthode et de communication politique qui est envisageable. L’état pourrait reprendre une part plus importante dans le financement de l’ANRU, sans que l’on sache si cela engendrera une réduction de la participation des entreprises via le dispositif Action Logement. L’objectif de mobilisation de 20% des contrats aidés au profit des habitants des QPV sera certainement revu à la baisse avec, en contrepartie, le renforcement des aides aux entreprises (aides à la création ou au recrutement de jeunes chômeurs issus des QPV sur des « emplois francs »), la refonte des dispositifs de formation professionnelle et le recours plus fréquent au testing (en vue de lutter contre les discriminations à l’embauche). Le principe de co-construction, voulant que des conseils citoyens soient associés aux contrats de Ville (art. 7.1 de la Loi de programmation), sera vraisemblablement réformé, au profit d’une logique de leadership et de premiers de cordées, associant financeurs, créateurs et gestionnaires d’entreprises à la mise en œuvre de la politique de la Ville. Enfin, les effectifs policiers dans les QPV pourraient, à la demande des maires des communes concernées, être renforcés avec le déploiement d’une « police de sécurité du quotidien » dont les contours et les missions restent encore à inventer.
L’Union européenne n’a-t-elle pas un rôle à jouer dans ce cadre ?
Il n’est pas anodin de relever le saut sémantique opéré lors de la récente disparition du ministère « de la Ville », au profit d’un ministère « de la cohésion des territoires ». Ceci fait notamment écho à l’article 3§3 du Traité sur l’Union européenne, selon lequel l’UE promeut la « cohésion économique, sociale et territoriale ».
Au delà de cette évolution sémantique, il peut paraître surprenant que le discours de Tourcoing reste silencieux sur le rôle de l’UE en la matière. Il est vrai que le droit primaire encadre strictement le recours à des aides publiques à finalité régionale, notamment lorsqu’elles sont concédées aux entreprises dans le cadre de la politique de la Ville (art. 107 et 108 TFUE). Néanmoins, les fonds européens structurels et d’investissement ont, quant à eux, un rôle majeur à jouer dans l’appui aux initiatives publiques ou privées dans les QPV. Or, dans les textes européens, aucun fonds ne leur est spécifiquement consacré et il est parfois difficile de mesurer leur contribution exacte en la matière, tant à l’échelle régionale que départementale. Seul le programme URBACT III (2014-2020) concerne les problématiques urbaines mais, avec un budget infime (seulement 74 millions d’euros, financés au titre du FEDER, 96 millions si l’on ajoute les participations des états), celui-ci sert plus au réseautage d’administrations communales européennes et à l’échange de bonnes pratiques, qu’à un réel appui financier aux investissements dans les zones prioritaires.
Par Romélien Colavitti