3 questions à Michel Borgetto sur le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS)
L’Assemblée nationale a achevé lundi 30 octobre l’examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Décryptage de ce texte avec Michel Borgetto, professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
« Le PLFSS pour 2018 ne saurait permettre à lui seul de connaître l’ensemble des évolutions susceptibles d’affecter le système de protection sociale »
Quel est le contenu du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?
Aux termes de l’article 34 de la Constitution modifié par la loi constitutionnelle du 22 février 1996, « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».
Instituée pour permettre au Parlement d’exercer un droit de regard sur l’évolution de masses financières devenues considérables (leur montant étant supérieur à celui du budget de l’Etat), cette catégorie particulière de loi a pour objet – outre d’approuver le dernier exercice clos et de procéder aux rectifications nécessaires pour l’année en cours – d’une part, de prévoir les recettes par branche de l’ensemble des régimes ; d’autre part, de fixer (toujours par branche) les objectifs de dépenses ainsi que, plus spécifiquement, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) des régimes obligatoires de base.
L’examen des PLFSS se révèle donc toujours très instructif pour qui veut connaître les grandes orientations de la politique menée en la matière. S’agissant du PLFSS pour 2018, deux grandes lignes de force se dégagent ; d’abord, une tendance très marquée à la maîtrise de la dépense sociale : alors que pour 2017, le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s’est élevé à 5,2 Mds (contre 7,8 Mds en 2016), il s’établira à 2,2 Mds en 2018, le régime général (en déficit de 9,7 Mds en 2014) dégageant alors… un excédent de 1,2 Md ; au final : la dette sociale, qui a commencé à se réduire en 2015, devrait être totalement remboursée en 2024. Ensuite, une volonté affichée de soutenir l’activité économique : ce qui se traduit notamment par la suppression des cotisations salariales d’assurance maladie (0,75%) et d’assurance chômage (2,40%), la CSG augmentant en contrepartie de 1,7 point.
De manière plus précise, quels sont les principaux changements induits par ce texte ?
Si l’on met à part les mesures concernant la CSG et les cotisations salariales (v. sur ce site l’analyse de Martin Collet), la plupart des évolutions consacrées par le PLFSS se révèlent, dans l’ensemble, assez classiques : revalorisation du minimum vieillesse, augmentation du forfait hospitalier (de 18 euros à 20 euros) et de la fiscalité sur le tabac, modulation de la taxe sur les sodas en fonction du taux de sucre, majoration de 30% du complément de libre choix du mode de garde pour les familles monoparentales, « année blanche » de cotisations sociales accordée sous conditions aux créateurs et repreneurs d’entreprises, encouragement donné à la télémédecine…
Mais à côté de ces mesures, il en est une qui se révèle essentielle : la suppression (avec phase transitoire de 2 ans) du RSI. A compter du 1er janvier 2018, la protection sociale des travailleurs indépendants sera confiée au régime général : ces derniers continueront de se voir appliquer certaines règles spécifiques (en matière par exemple de cotisations ou de gouvernance), mais leurs prestations seront servies, comme pour les salariés, par les CPAM et les CARSAT et leurs cotisations recouvrées par les Urssaf.
Réforme symbolique s’il en est, lorsqu’on sait que de 1945 à nos jours, les indépendants (artisans, commerçants, membres des professions libérales…) n’ont jamais voulu intégrer le régime général des salariés et ont toujours entendu – quitte à atomiser d’entrée de jeu le système de Sécurité sociale – conserver des régimes spécifiques…
Le PLFSS permet-il de connaître l’ensemble des évolutions dont est susceptible de faire l’objet le système de protection sociale ?
La réponse ne saurait être, pour deux raisons au moins, que négative. La première raison tient au périmètre des LFSS : si celui-ci englobe le régime général ainsi que les fonds concourant au financement de ces derniers (FSV…), il exclut, en revanche, les régimes complémentaires et l’assurance chômage ; de là, d’ailleurs, la proposition formulée par la Cour des comptes en 2014 de « transformer la LFSS en une loi de protection sociale obligatoire élargie aux régimes sociaux conventionnels pour couvrir l’ensemble du champ des administrations de sécurité sociale ». Quant à la seconde raison, elle tient à l’objet même – en l’occurrence, purement financier – des LFSS : le juge constitutionnel prenant à cet égard grand soin de vérifier si telle ou telle disposition contenue dans la loi y a bien sa place et, partant, ne constitue pas un « cavalier social ».
Autant dire que le PLFSS pour 2018 ne saurait permettre, à lui seul, de connaître l’ensemble des évolutions susceptibles d’affecter le système de protection sociale. En réalité, plusieurs réformes importantes sont attendues dans les mois à venir parmi lesquelles – si l’on met à part le débat que le Gouvernement souhaite engager sur l’opportunité de mettre sous condition de ressources les allocations familiales… – deux méritent une attention particulière.
La première concerne le système de retraites : il s’agirait de mettre en place une forme de système à points, c’est-à-dire « un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé* » (Emmanuel Macron). Concrètement, il serait procédé à un alignement des retraites du secteur privé et du secteur public, à la suppression des régimes spéciaux et à la fusion des quelques 37 régimes actuels dans un régime unique : cette réforme d’envergure devant, en principe, être discutée au Parlement au 1er semestre 2018.
Une seconde réforme concerne – outre la formation professionnelle et l’apprentissage – le système d’assurance chômage : celui-ci verrait son champ personnel élargi (y seraient éligibles les travailleurs indépendants et, sous conditions, les salariés démissionnaires) ainsi que son mode de gouvernance modifié (la gestion paritaire syndicats/patronat serait remplacée par une gestion tripartite avec l’Etat).
Deux réformes qui ont tout lieu, on le devine, de susciter débats animés et passionnés ; la première, dans la mesure où elle risque fort – si aucune précaution n’est prise – de déboucher sur une dégradation de la situation des retraités : nombre d’entre eux pouvant ne toucher, s’ils partent à l’âge légal, qu’une pension sensiblement réduite… Et la seconde, dans la mesure où il est plus que probable – dès lors que les prestations de chômage correspondent désormais non plus à des cotisations versées par le salarié mais à des contributions fiscales acquittées par tous (CSG) – que l’allocation servie devienne de moins en moins un revenu de remplacement et de plus en plus une allocation de subsistance…
Autant dire qu’au regard de ce qui se prépare, le PLFSS pour 2017 ne doit se saisir que comme un simple hors d’œuvre, le plat de résistance ne devant être servi qu’au cours de l’année à venir…
Par Michel Borgetto
*Retrouvez le détail du projet de réforme des retraites présenté par le Président de la République