3 questions à Jean-Pierre Camby sur la circulaire concernant la maîtrise du flux des textes réglementaires
Le Premier ministre a fait paraître, le 26 juillet, une circulaire indiquant que toute nouvelle norme réglementaire doit être en principe compensée par la suppression d’au moins deux normes existantes.
Décryptage avec Jean Pierre Camby, Professeur associé à l’université de Versailles Saint Quentin.
« Il s’agit, non pas d’un frein à l’action administrative, mais d’une incitation à une action mieux évaluée et coordonnée »
Ce type de circulaire est-il habituel ?
Depuis 1995, avec deux circulaires d’Alain Juppé, suivies par une circulaire de Lionel Jospin (6 juin 1997) les thèmes de la simplification normative et de la qualité des normes de droit sont devenus courants. Le Premier ministre, titulaire du pouvoir réglementaire et responsable du dépôt des projets de loi, en est le principal artisan. Il est donc logique qu’un tel texte soit pris par un nouveau Premier ministre en début de législature. L’innovation principale de la circulaire du 26 juillet est que la parution de tout décret comportant des normes nouvelles, contraignantes et opposables aux tiers, est conditionnée par la suppression d’au moins deux mesures existantes, ou, à défaut de suppression, par des simplifications correspondantes. Inspirée par un plan de simplification initié par David Cameron en 2011, renforcé en 2015, cette mesure faisait aussi partie du programme électoral de Nicolas Sarkozy en 2012. François Hollande avait initié un « choc de simplification » tandis que devant le Congrès, le 3 juillet dernier, Emmanuel Macron critiquait l’empilement législatif. Le sentiment est largement partagé que la prolifération des normes est un risque plus qu’une protection.
Toutefois, c’est la première fois que les prescriptions du Premier ministre sont aussi précises, et se traduisent par une telle exigence qui devrait conduire à refuser les projets de décret qui ne la respectent pas, tant quantitativement que qualitativement. La circulaire prévoit, outre cette mesure, de proscrire la « surtransposition » des directives européennes, technique qui conduit souvent, à l’occasion de la transposition, à édicter des normes annexes, dispositions cavalières par rapport à l’objet de la transposition, et rappelle l’interdiction de toute disposition non normative. La règle de deux suppressions équivalentes pour une création ne connaîtra que quelques exceptions, notamment pour la primo application des lois et des ordonnances.
Quelle est le degré d’impérativité de ce texte ?
Il s’agit de poser des normes d’organisation du travail gouvernemental, qui font jouer un rôle central au Secrétariat général du gouvernement. Le Premier ministre, signataire des décrets, sera en mesure de faire obstacle aux projets de décrets qui ne comporteront pas cette double abrogation, ou qui ne s’inscriront pas dans le cadre général du chiffrage et de l’évaluation de l’impact de la règlementation. En tant que méthode du travail gouvernemental, l’impérativité est donc certaine. Au-delà, on peut formuler deux remarques : il est dommage que le texte soit essentiellement consacré aux projets de décrets, puisque d’une part, la simplification normative « a vocation à porter également sur les textes de loi », on aurait pu concevoir que les prescripteurs de projets de loi que sont les ministres soient également soumis, dans la rédaction de ces projets, aux mêmes contraintes, et que, d’autre part, un accent particulier ne soit mis sur la rédaction des circulaires.
Enfin, il est improbable qu’un justiciable puisse contester cette circulaire, ne serait-ce que par défaut d’intérêt pour agir, puisqu’elle n’impose pas de règles générales pour lui impératives (CE n° 233618, Duvignères, 18 décembre 2002), mais également fonder ou étayer un recours sur la base de ce texte. Il ne s’adresse pas d’abord au citoyen ou aux autres « acteurs de la société civile », auquel il est pourtant, au final, destiné. Il fixe un cadre à l’activité normative du pouvoir règlementaire, ce qui en fait cependant une prescription d’action administrative essentielle. La procédure de validation préalable par le Secrétariat général du gouvernement permettra de filtrer l’ensemble des projets de décrets, soumis à l’arbitrage du Premier ministre.
La simplification normative sera t’elle effective ?
Cette procédure permet de garantir l’effectivité des suppressions. On peut espérer qu’une application stricte de cette circulaire aura à terme les effets attendus. On peut en revanche, et indépendamment de la bonne volonté des administrations, craindre des points de friction. Les habitudes ont la vie dure, d’autant que la France est dans une situation, hélas, originale : la demande de normes y est très forte, et paradoxale : le citoyen, l’électeur, le contribuable, l’usager des services publics, etc. demandent toujours davantage de sécurité juridique, la soif de normes est inextinguible, et pour autant le stock de textes applicables, leur complexité et leur changement incessant sont, au final, plus rebutants que rassurants. Ce fractionnement, comme la spécialisation des normes, rendra également difficile l’application d’une règle uniforme.
Ainsi, la circulaire du 26 juillet rappelle t’elle que les abrogations ou simplifications doivent respecter un principe d’identité de niveau : les normes concernant les collectivités territoriales doivent donner lieu à des abrogations concernant celles -ci, et, plus généralement, cette identité vaut pour la politique publique concernée. Mais un décret sur les transports peut aussi avoir des incidences sur l’aménagement du territoire, le développement durable, le droit du travail, etc.
Dans certains cas, cette règle d’équivalence de niveau sera donc difficile à mettre en œuvre. La volonté politique, ainsi nettement affirmée, est cependant très marquée, et appelle les administrations et le gouvernement à respecter cet objectif : il s’agit bien de fixer une « norme » à l’activité réglementaire. Il s’agit, non pas d’un frein à l’action administrative, mais d’une incitation à une action mieux évaluée et coordonnée. Au moment où l’activité législative est orientée vers le retour à la confiance dans l’action publique, il faut aussi que soit restaurée la confiance dans le droit.
Par Jean-Pierre Camby