3 questions à Jean-François Kerléo sur les mécanismes déclaratifs imposés aux parlementaires
La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a saisi la justice concernant la déclaration de patrimoine de Patrick Balkany, ancien député Les Républicains des Hauts-de-Seine et celle de François-Xavier Villain, ancien-député UDI du Nord, le 9 novembre dernier.
Décryptage des mécanismes déclaratifs imposés aux parlementaires et des risques encourus par Jean-François Kerléo, Maître de conférences en droit public à l’Université de Lyon.
« La saisine du Parquet ouvre la porte à d’autres sanctions pénales en fonction des infractions que les déclarations pourraient révéler »
À quelle obligation déclarative est soumis un parlementaire ?
En réaction à l’affaire Cahuzac, le législateur a été amené à adopter de nouveaux mécanismes déontologiques. Deux lois, organique et ordinaire, ont ainsi été adoptées le 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique afin d’établir une définition des conflits d’intérêts et de créer des dispositifs de prévention.
La loi organique du 11 octobre 2013 soumet les députés et sénateurs à l’obligation de déposer deux types de déclaration, l’une de situation patrimoniale et l’autre d’intérêts, dans les deux mois de leur entrée en fonction. Ces déclarations, dont il est rappelé par la loi qu’elles doivent être exhaustives, exactes, sincères sont adressées au Président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). La loi établit la liste des éléments devant être mentionnés. La déclaration de situation patrimoniale porte sur la totalité des biens propres ainsi que, le cas échéant, sur ceux de la communauté ou les biens indivis. La seconde déclaration fait mention des intérêts détenus à la date de l’élection du parlementaire et dans les cinq années précédant cette date, ainsi que la liste des activités qu’il envisage de conserver.
Le degré de transparence varie selon la déclaration concernée : la déclaration d’intérêts est rendue publique par la HATVP, tandis que les déclarations de patrimoine sont consultables à la préfecture du département d’élection du député. En raison de cette transparence, la loi énumère les informations non rendues publiques, afin de garantir le respect du secret de la vie privée du parlementaire mais aussi d’autres personnes qui pourraient être indirectement mentionnées (les anciens propriétaires, nus propriétaires ou les usufruitiers d’un bien immobilier).
Enfin, la loi prévoit qu’une nouvelle déclaration de situation patrimoniale doit être transmise à la HATVP sept mois au plus tôt et six mois au plus tard avant l’expiration du mandat de député. Cette déclaration comporte une récapitulation de l’ensemble des revenus perçus par le député et, le cas échéant, par la communauté depuis le début du mandat parlementaire en cours. Or, ce sont justement les déclarations de situation patrimoniale de fin de mandat, établies en 2016, de Patrick Balkany, ancien député des Hauts-de-Seine, et François-Xavier Villain, ancien député du Nord, qui ont récemment posé problème, après contrôle de la HATVP, laquelle a décidé d’en informer les Procureurs de la République compétents. Ceci n’est pas une « première » puisque, dès 2014, d’autres déclarations patrimoniales avaient entraîné une transmission au Parquet.
À quoi sert la déclaration de situation patrimoniale d’un parlementaire et quel contrôle s’exerce sur celle-ci ?
L’objectif recherché par les déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts diverge. En ce qui concerne la déclaration d’intérêts, il s’agit de contrôler l’absence d’interférences entre le mandat de député ou sénateur et les intérêts financiers détenus ou les activités professionnelles exercées. Ce mécanisme évite toute perturbation entre l’intérêt général et des intérêts publics ou privés dont le parlementaire serait le représentant, ce qui contribuerait à installer une sorte de mandat impératif.
Une logique différente préside au contrôle des déclarations de patrimoine, lesquelles prennent sens par la comparaison qui est effectuée entre les déclarations d’entrée et de fin de mandat : l’objectif consiste ici à s’assurer que le parlementaire ne s’est pas illégalement enrichi au cours de son mandat, notamment en profitant de sa situation d’élu. C’est donc une philosophie moins préventive que constative qui sous-tend les déclarations de patrimoine dont l’objectif est moins de prévenir les conflits d’intérêts que de déceler d’éventuels crimes ou délits tels que la corruption, la prise illégale d’intérêts ou la fraude fiscale par exemple.
La HATVP apprécie la variation des situations patrimoniales des députés telle qu’elle résulte de leurs déclarations. Dans cette optique, elle peut demander à l’administration fiscale d’exercer le droit de communication dont elle dispose afin de recueillir toutes informations utiles à l’accomplissement de sa mission. Lorsqu’une déclaration est incomplète ou lorsqu’il n’a pas été donné suite à une demande d’explications, elle adresse au parlementaire une injonction de lui transmettre sans délai la déclaration complétée ou les explications demandées.
Dans tous les cas où elle a relevé un manquement aux obligations déclaratives ou des évolutions de patrimoine sans explications suffisantes, la HATVP transmet le dossier au parquet sur le fondement de l’article LO 135-5 du code électoral. Elle saisit également le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Toutefois, les déclarations de Patrick Balkany et François-Xavier Villain, pour lesquels subsistent un doute sérieux quant à leur légalité, ont été transmises par la HATVP aux Procureurs de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, lequel énonce que « Toute autorité constituée (…) qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenue d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Cela laisse supposer que, au-delà de (ou à travers) l’inexactitude des déclarations, la HATVP a décelé des anomalies susceptibles de constituer des infractions pénales.
Que risquent Patrick Balkany et François-Xavier Villain du fait de l’inexactitude de leur déclaration de situation patrimoniale ?
Il faut ici distinguer les sanctions qui sont relatives aux déclarations et celles que les parlementaires encourent en fonction de ce que révèlent les déclarations.
La loi organique de 2013 prévoit des sanctions différentes selon que le parlementaire ne répond pas aux demandes d’informations de la HATVP ou dépose une déclaration mensongère. Le député qui ne défère pas aux injonctions de la HATVP ou ne lui communique pas les pièces utiles à l’exercice de sa mission à compter de son injonction ou de la demande de communication est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Plus grave encore, est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine. Ce sont donc ces dernières sanctions qui sont encourues par Patrick Balkany et François-Xavier Villain dont les déclarations de patrimoine semblent incomplètes et mensongères. À titre de peine complémentaire, le juge peut prononcer l’interdiction des droits civiques dont une peine d’inéligibilité de 10 ans (art. 131-26 et 131-26-1 du code pénal), ainsi que l’interdiction d’exercer une fonction publique (art. 131-27 du code pénal).
Par ailleurs, la saisine du Parquet ouvre la porte à d’autres sanctions pénales en fonction des infractions que les déclarations pourront peut-être révéler. La volonté de dissimuler des biens ou des avoirs dans sa déclaration laisse supposer que ceux-ci n’ont pas été acquis dans des circonstances légales, un panel d’infractions et de sanctions pouvant intervenir au cours d’une probable procédure juridictionnelle. On pense, par exemple au blanchiment de fraude fiscale, qui peut expliquer l’absence de mention de certains biens, éventuellement acquis avec de « l’argent sale », et pour lesquels on veut se soustraire à l’impôt, mais aussi à la corruption, la prise illégale d’intérêts, voire l’abus de confiance ou de de biens sociaux, etc.
On mesure ainsi l’outil précieux que constitue la déclaration pour lutter contre la corruption et la fraude fiscale dans la mesure où leur existence implique désormais un contrôle qui facilite la découverte des infractions commises par les élus.
Par Jean-François Kerléo