3 questions à Eve Truilhé-Marengo sur les discussions européennes concernant l’utilisation du glyphosate
Le glyphosate, molécule contenue dans le Roundup, un herbicide commercialisé depuis 1974 par Monsanto, est très largement utilisé et selon des études scientifiques récentes potentiellement cancérigène.
En vertu de la législation européenne, en tant que produit phytopharmaceutique, pour être commercialisé sur le territoire de l’Union européenne, le glyphosate doit faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché (règlement no 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques). Les discussions concernant le renouvellement de cette autorisation sont en cours depuis deux ans. Au printemps 2016, la Commission européenne avait temporairement prolongé de 18 mois la licence du glyphosate qui arrivait à expiration (Règlement d’exécution 2016/1056 de la Commission du 29 juin 2016 modifiant le règlement d’exécution n° 540/2011 en ce qui concerne la prolongation de la période d’approbation de la substance active «glyphosate»). Cette autorisation temporaire arrive à échéance le 29 décembre. Or, à ce jour le blocage persiste au sein du système institutionnel européen.
Décryptage des discussions en cours au sein de l’Union Européenne avec Eve Truilhé-Marengo, Directrice de recherche au CNRS, Chargée d’enseignement à la Faculté de droit d’Aix-Marseille et de Toulon et Responsable de la Clinique juridique de l’environnement, décrypte l’actualité européenne sur ce point.
« La question de la fiabilité des études scientifiques est centrale, celle de l’indépendance des experts tout autant »
Quel est l’objet des discussions des différentes institutions européennes autour du glyphosate ?
En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer, une agence intergouvernementale créée en 1965 par l’Organisation mondiale de la santé, classe le glyphosate comme «probablement cancérigène pour les humains». Aux Etats-Unis, une action de groupe réunissant plus de 230 plaignants a été formée à l’encontre des firmes Monsanto et Saint Louis accusées de connaître les risques sanitaires causés par l’herbicide phare, et de l’avoir caché au public. Au niveau européen, le dossier a été confié à une agence indépendante, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), créée en 2002, suite à une série de crises alimentaires, afin de constituer une source impartiale de conseils scientifiques et de communication sur les risques associés à la chaîne alimentaire. L’EFSA a affirmé en novembre 2015 que le produit n’est pas un danger pour la santé humaine. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), également saisie a rendu un avis dans le même sens en mars 2017. Les instances scientifiques de l’Union ouvraient donc la voie à un renouvellement de l’autorisation. La Commission proposait une reconduction de l’autorisation pour 10 ans. Parallèlement, une quarantaine d’ONG européennes a lancé en février dernier, une initiative citoyenne pour obtenir l’interdiction de l’herbicide controversé glyphosate. Celle-ci a réuni, le 15 juin, plus d’un million de signatures nécessaires pour être présentée à la Commission européenne qui, selon le Traité, est tenue d’en tenir compte. Le Parlement européen a de son côté voté, mardi 24 octobre, une résolution (un acte non contraignant donc) demandant la disparition du glyphosate dans l’Union européenne d’ici à 2022 au nom du principe de précaution.
C’est dans ce contexte qu’une première décision devait être prise les 5 et 6 octobre dernier à Bruxelles au sein du comité permanent des plantes, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (PAFF), un comité d’experts regroupant des représentants des Etats membres. Celui-ci n’a pu adopter de décision faute de majorité. Pour qu’une décision soit adoptée au sein de l’Union, elle doit réunir une majorité qualifiée – 55% des Etats membres mais aussi 65% de la population.
Quels sont les points de blocage ?
Il s’agit à l’évidence d’un dossier qui illustre les difficultés de la prise de décision en contexte d’incertitude scientifique, couplée à de forts enjeux économiques. Le glyphosate doit-il ou non être autorisé alors que les études concernant ses effets sur la santé humaine sont controversées ? Le principe de précaution ne commande-t-il pas une suspension de l’autorisation en attendant d’avoir des certitudes sur l’innocuité de la substance ? C’est l’avis du Parlement européen et celui de plusieurs Etats membres dont la France.
La question de la fiabilité des études scientifiques est centrale, celle de l’indépendance des experts tout autant. On sait le lobbying des industriels à Bruxelles très intense. Mais on a pu apprendre dans ce dossier qu’une partie de l’avis rendu par l’EFSA était un copié-collé des études produites par Monsanto. Grace aux procédures judiciaires engagées aux Etats-Unis, on a également appris que les firmes industrielles impliquées utilisaient la technique du « ghostwriting », qui consiste à faire signer leurs propres études scientifiques par des chercheurs internationalement reconnus pour s’assurer de leur admission par les autorités décisionnelles. L’accès aux données scientifiques pose lui aussi question : une partie seulement de celles-ci est accessible au public, secret industriel oblige. Dans ce contexte, quatre eurodéputés du groupe Verts-ALE, dont Michèle Rivasi, ont alors saisi, le 24 mai, la Cour de justice de l’UE pour forcer l’autorité européenne à publier toutes les études qu’elle a utilisées dans son évaluation du glyphosate, y compris celles faites par des entreprises privées.
L’interdiction totale de l’utilisation du glyphosate est-elle envisageable ?
Dans ce contexte de blocage, une absence de décision signifierait l’interdiction de la commercialisation du glyphosate à la fin du mois de décembre 2017, ce qui n’est pas réaliste compte tenu de l’usage massif de cet herbicide. C’est pourtant ce que commanderait le principe de précaution, inscrit dans le traité européen et selon lequel les autorités compétentes sont tenues de prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité́ et l’environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques. Ici justement les enjeux économiques, mais aussi pratiques, sont trop importants : le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au monde, les agriculteurs ne sont à l’évidence pas prêts à s’en passer du jour au lendemain. Une interdiction progressive apparaît plus probable, c’est d’ailleurs en ce sens que s’est récemment prononcé la Commission européenne qui plaide à présent pour une période d’autorisation réduite de cinq à sept ans. Il faut garder à l’esprit, que si l’autorisation était renouvelée, pour quelque durée que ce soit, les États membres gardaient la possibilité d’interdire les produits contenant du glyphosate, au nom justement du principe de précaution.
Par Eve Truilhé-Marengo