3 questions à Didier Rebut sur l’entrée en vigueur de la loi antiterroriste
La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme est entrée en vigueur le 1er novembre à minuit succédant ainsi à l’état d’urgence dont la cessation avait été fixée au 1er novembre par la loi du 11 juillet 2017.
Décryptage de cette loi avec Didier Rebut, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas.
« Les mesures prévues par la loi et celles de l’état d’urgence présentent des différences de champ d’application et de régime »
Cette loi est-elle l’équivalent de l’état d’urgence comme cela a été souvent dit ?
La loi du 31 octobre a en effet fait l’objet de nombreuses critiques lui reprochant d’installer l’état d’urgence dans le droit commun. Ces critiques découlent des mesures qu’elle prévoit, lesquelles sont proches de celles propres à l’état d’urgence. Il s’agit des assignations à résidence, des perquisitions administratives dites visites domiciliaires dans la nouvelle loi, de la fermeture des lieux de culte, des périmètres de protection et des contrôles d’identité autour de 118 points de passage. Ces mesures n’existaient pas dans le droit commun avant la loi du 31 octobre 2018. Celle-ci en permet la mise en œuvre en dehors de l’état d’urgence. Il s’ensuit que les mesures équivalentes prises sur le fondement de l’état d’urgence peuvent continuer à l’être en application de ce nouveau droit commun. C’est ce qui conduit les détracteurs de la loi à soutenir qu’elle instaurerait un état d’urgence permanent.
Il faut néanmoins relever que les mesures créées par la loi ne sont pas parfaitement identiques à celles de l’état d’urgence. C’est la critique qui leur est adressée par ceux qui réclamaient au contraire le maintien de l’état d’urgence et qui estiment que la loi ne pourra pas avoir la même efficacité. Il n’est pas contestable en effet que les mesures prévues par la loi et celles de l’état d’urgence présentent des différences de champ d’application et de régime.
Le champ d’application des mesures créées par la loi est ainsi expressément lié à la prévention de la commission d’actes de terrorisme, ce qui est plus restrictif que dans le cadre de l’état d’urgence où les mêmes mesures peuvent être prises sur le fondement de notions plus générales comme la menace pour la sécurité ou l’ordre publics ou la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public. Il s’ensuit que ces mesures ne peuvent pas être mises en œuvre pour la prévention d’infractions autres que le terrorisme à la différence de ce qui a été fait dans le cadre de l’état d’urgence où ces mesures ont été parfois utilisées dans un autre objectif. C’est le cas pour la fermeture des lieux de culte, l’assignation à résidence et les visites domiciliaires dont la loi prévoit expressément qu’elles ne peuvent être décidées qu’« aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme ».
Le régime des mesures créées par la loi du 31 octobre se veut pareillement plus restrictif. Par exemple, le nombre de présentation par jour devant les services dans le cadre de l’assignation à résidence a été fixé à une fois maximum par mois alors qu’il s’élève à trois dans l’état d’urgence. Dans le même sens, l’assignation à résidence prévue par la loi ne peut pas être inférieure au territoire de la commune, ce qui n’est pas le cas pour celle de l’état d’urgence qui peut même s’appliquer à un lieu d’habitation dès lors qu’elle se limite à une plage horaire de douze heures par vingt-quatre heures. Elle ne peut pas par ailleurs excéder une durée totale cumulée de 12 mois alors qu’elle peut se prolonger pendant l’ensemble de la durée de l’état d’urgence. Les visites domiciliaires prévues par la loi doivent être autorisées par le juge des libertés et de la détention (JLD), ce qui n’est pas le cas dans l’état d’urgence où elles sont décidées par les autorités administratives. De nombreuses autres différences pourraient être citées qui séparent les mesures créées par la loi du 31 octobre et celles de l’état d’urgence. Ces différences ne sont pas niées par les détracteurs de la loi selon lesquels elles seraient de faible portée, la loi ayant instauré dans le droit commun des mesures qu’ils jugent gravement attentatoires aux libertés et qui, à ce titre devraient être réservées au seul état d’urgence. À l’inverse, d’autres ont fustigé ces différences pour dénoncer un affaiblissement des instruments de lutte contre le terrorisme. Le gouvernement a eu beau jeu, dans ces conditions, d’arguer du caractère équilibré de la loi qui mettrait fin à l’état d’urgence, laquelle ne pouvait pas persister indéfiniment, mais maintiendrait le niveau élevé de protection rendu nécessaire par la menace terroriste actuelle.
L’affaiblissement du juge judiciaire au profit de la justice administrative est-il une réalité ?
C’est l’un des principaux griefs faits à la loi auquel on reproche d’attribuer la mise en œuvre des mesures qu’elle prévoit aux autorités administratives et d’en confier le contrôle au juge administratif. Ce grief avait déjà été fait dans le cadre de l’état d’urgence. Mais il est d’autant plus fort s’agissant de la loi qu’elle créé du droit commun et consacre, à ce titre, l’intervention des autorités et du juge administratif dans la lutte contre le terrorisme.
Il n’est pas question de contester le rôle dévolu aux autorités et au juge administratif dans la mise en œuvre et le contrôle des mesures prévues par la loi. Les visites domiciliaires doivent certes être autorisées par le JLD qui est un juge judiciaire. Mais c’est là, en quelque sorte, le régime de droit commun des perquisitions administratives puisqu’il est déjà prévu, par exemple, en matière boursière ou de concurrence.
La fermeture des lieux de culte et les assignations à résidence sont quant à elles placées sous le seul contrôle du juge administratif. Le contrôle de ces mesures par le juge administratif s’explique par leur nature strictement administrative. Celles-ci interviennent -selon les termes mêmes de la loi- aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, c’est-à-dire en dehors du contexte de commission ou de suspicion de commission d’une infraction. Or, la prévention ne relève pas de la justice judiciaire dès lors qu’elle n’est pas liée à cette suspicion et dès lors qu’elle ne s’accompagne pas d’une privation de liberté. La question ne porte donc pas sur l’intervention du juge administratif qui est justifiée dans cette hypothèse mais sur la possibilité de prendre des mesures de prévention du terrorisme en dehors du contexte de commission d’une infraction. Ceux qui dénoncent le recul du juge judiciaire refusent en fait que des mesures puissent être prises indépendamment de ce contexte. Le gouvernement et la majorité parlementaire -de même d’ailleurs que les partisans du maintien l’état d’urgence- considèrent au contraire que la menace terroriste sans précédent à laquelle nous sommes confrontés nécessite de faire évoluer l’approche de la prévention du terrorisme en admettant qu’elle puisse donner lieu à des mesures en dehors d’un contexte de commission d’une infraction.
Quelles sont les garanties des mesures prévues par la loi ?
Ces garanties sont d’abord celles du contrôle juridictionnel des mesures prévues par la loi. Rappelons que ce contrôle est le fait du JLD pour les visites domiciliaires et du juge administratif pour la fermeture des lieux de culte et pour les assignations à résidence. Ces trois mesures sont les plus attentatoires que la loi prévoit. Elles font donc toutes l’objet d’un contrôle par un juge.
Il est vrai que les détracteurs de la loi dénoncent le contrôle du juge administratif qu’ils opposent à celui que ferait le juge judiciaire. Mais ce procès fait au juge administratif procède plus d’une posture que d’une réalité. La justice administrative et notamment le Conseil d’État ont dans de nombreux domaines montré qu’ils protégeaient les libertés aussi bien que le juge judiciaire. Il y a en outre une certaine contradiction sinon mauvaise foi à dénoncer l’absence d’intervention du juge judiciaire et à faire preuve dans le même temps de défiance envers l’intervention du JLD lorsqu’elle est prévue.
Ces garanties résident aussi dans le contrôle parlementaire des mesures créées par la loi. Celle-ci a prévu, dans un mécanisme assez original pour des dispositions de droit commun, une information sans délai de l’Assemblée nationale et du Sénat des mesures mises en œuvre en application de la loi ainsi qu’une transmission sans délai des actes pris pour l’appliquer. Les deux assemblées peuvent requérir toute information complémentaire. Un rapport détaillé leur sera, dans le même sens, adressé chaque année par le gouvernement. C’est donc un fort contrôle parlementaire de l’application de la loi qui a été prévu et qui témoigne du souci du Parlement de veiller à ce qu’elle soit strictement nécessaire.
Ces garanties tiennent enfin au délai d’application des mesures en cause, lequel a été assorti d’une date de fin d’application qui a été fixée au 31 décembre 2020. Les mesures créées par la loi sont donc appelées à cesser de recevoir application à cette date. Il est vrai que les dispositions équivalentes dans les lois de même nature ont généralement été reconduites sinon pérennisées.
Par Didier Rebut