3 questions à Claude Blumann sur les relations entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne à l’heure du Brexit
Claude Blumann,Professeur émérite de l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit européen décrypte les relations Royaume-Uni / Union Européenne à l’heure du Brexit.
« En l’absence d’accord, le Royaume-Uni deviendrait un simple Etat tiers pour l’Union Européenne »
Comment la négociation de sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne va-t-elle se passer ?
Conformément à l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, le Royaume-Uni a notifié son intention de se retirer de l’UE, le 29 mars dernier, soit 9 mois après le référendum. Cette notification va permettre d’engager une négociation devant théoriquement déboucher sur un accord de sortie. A partir de là s’ouvre une procédure décrite à l’article 50 et qui comprend de nombreux particularismes par rapport à la procédure générale de conclusion des accords de l’Union (art. 218 TFUE). Ainsi, la négociation s’effectue « à la lumière des orientations du Conseil européen », qui joue un rôle central tout au long de la procédure. Et qui en l’occurrence statuera par voie de consensus. Ensuite, la Commission présente des recommandations au Conseil (des ministres), qui statue à la majorité qualifiée en vue d’ouvrir formellement les négociations ainsi que de désigner le futur négociateur. Sur ce point les décisions sont déjà prises : Michel Barnier dirigera une équipe d’une trentaine de personnes et en appoint le Parlement européen a proposé Guy Verhofstadt et le Conseil, M. Didier Seeuws, haut-fonctionnaire du Conseil.
Enfin, si accord il y a, celui-ci est conclu par le Conseil également à la majorité qualifiée après approbation du Parlement européen, ce qui confère un important pouvoir de blocage à l’institution parlementaire et surtout un moyen de pression pour peser sur la négociation elle-même. Il s’agit d’un accord de l’Union, mais les Etats membres ne sont pas totalement exclus puisqu’il y a de fortes chances que l’accord conclu revête, compte tenu de son contenu, la nature d’un accord mixte devant alors être ratifié par tous les Etats membres.
Sur le fond, l’accord de retrait a pour objet d’une part « de fixer les modalités de retrait » autrement dit de gérer l’immédiat et d’autre part de « tenir compte du cadre des relations futures » du sortant avec l’Union. S’agissant des modalités, nombre de questions pratiques devront être réglées. Entre autres, sur le plan administratif, le sort des fonctionnaires britanniques qui travaillent dans les institutions et services de l’Union en prenant en compte notamment le cas des binationaux. Les questions financières seront certainement très disputées. Ce point a joué un rôle important dans le vote britannique dans la mesure où nombre de partisans du « leave » ont outrageusement exagéré le coût de l’Union pour les contribuables britanniques. En l’occurrence, on parle d’une facture d’environ 60 milliards d’euros pour le Royaume-Uni, due notamment aux programmations financières pluriannuelles de l’UE pour la politique de cohésion et pour la PAC. Au titre des modalités, il appartiendra aussi de régler la question de la sortie de la Cour de justice. Quel sort réserver par exemple aux affaires introduites avant le retrait ou même à celles qui pourraient l’être durant la période transitoire de deux ans (ou plus), cette période pouvant durer assez longtemps. Quid aussi de l’exécution des arrêts.
Il appartiendra également au Conseil européen conformément aux orientations qu’il lui incombe de « tenir compte » des relations futures de l’Union avec l’Etat sortant. Ce point s’avère tout à fait fondamental car à défaut d’accord, le sortant redeviendra un simple Etat tiers par rapport à l’UE. En employant le terme « tenir compte », l’article 50§ 2 entend bien signifier que l’accord de retrait n’a pas à arrêter juridiquement le contenu de ces relations futures. Il s’agit simplement de poser des jalons, d’anticiper sur un cadre futur, de dégager notamment de grandes options. Autrement dit, l’accord de retrait n’est pas celui qui va établir, encore moins régir, les relations futures. Il faudra plus tard conclure un accord définitif.
Quelles sont les chances qu’a cette négociation d’aboutir ?
L’article 50 prévoit à cet égard que la négociation peut se poursuivre au-delà des deux ans, mais il faut pour ce faire un accord du Conseil européen à l’unanimité, en accord bien sûr avec le sortant. Certains observateurs prédisent que la négociation pourrait ainsi se prolonger indéfiniment, ce qui devrait alors conduire à la mise en place d’un régime transitoire pour couvrir la période intermédiaire. Dans ce cas de figure, on ne peut éluder l’hypothèse d’un retrait de la demande de retrait, si une nouvelle majorité parlementaire voire populaire venait à se dégager au Royaume-Uni. L’article 50, ne précise rien à cet égard. Le texte ne l’interdit pas et l’on peut avancer la technique de l’acte contraire, selon laquelle ce qu’une volonté unilatérale a fait elle peut aussi le défaire. On peut aussi soutenir que si un délai de deux ans pour négocier a été prévu c’est aussi pour permettre au sortant de changer d’avis. Inversement, on fait valoir qu’une fois la négociation engagée, le Royaume-Uni ne maîtrise plus seul la négociation et que permettre une révocation du retrait inciterait les Etats membres à utiliser cette procédure comme moyen de chantage.
Quant aux chances d’aboutir, elles dépendent avant tout de la bonne volonté réciproque. Le Royaume-Uni a beaucoup à perdre de l’absence d’accord. Il redeviendrait un simple Etat tiers par rapport à l’UE, ce qui signifie en particulier sur le plan commercial, que seules les dispositions de l’Organisation Mondiale du Commerce s’appliqueront, avec notamment le rétablissement de droits de douane et l’exclusion de la libre circulation des services. Or faut-il rappeler que le Royaume-Uni effectue 60 % de ses échanges commerciaux avec l’UE et que le maintien de la City comme première place financière en Europe est capitale. Or sans le fameux « passeport européen » les établissements financiers ne pourront plus opérer librement à partir de la place de Londres et devront se relocaliser sur le continent. Le gouvernement britannique dans son livre blanc du 2 février 2017, tout en rejetant fermement le marché unique plaide pour le maintien du statu quo sur ces deux points, car les européens auraient eux aussi beaucoup à souffrir de la fin de l’union douanière et la place de Londres offre des services inestimables aux banques et autres organismes financiers européens (plus des deux-tiers de ses activités). En définitive, l’idée reste la même, maintenir les libertés de circulation sauf celle qui gêne, la libre circulation des personnes (essentiellement des travailleurs au demeurant).
Le Royaume-Uni pour parvenir à ses fins espère des fissures dans le camp européen. Mais cela reste problématique car l’unité des 27 s’est maintenue jusqu’à présent. Si les alliés traditionnels du Royaume-Uni dans l’Union (pays de l’est européen et pays nordiques) peuvent être sensibles à certaines sirènes, ils n’oublient pas que le poumon économique de l’Europe se trouve en Allemagne et non au Royaume-Uni et que la fermeture des frontières britanniques se fera surtout au détriment des pays d’Europe centrale et orientale (près d’un million de Polonais au Royaume-Uni par exemple). Alors certes on peut agiter la menace du statut des trois millions d’Européens vivant au Royaume-Uni alors qu’il y a seulement 1,2 million de britanniques en Europe. Mais cela semble difficile non seulement parce qu’au Royaume-Uni comme en Europe les droits fondamentaux sont là pour protéger les individus mais également et surtout parce que ces millions d’Européens contribuent à faire tourner l’économie britannique qui sans eux serait en grande difficulté.
Qu’un accord soit trouvé ou non, comment envisager la relation future entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni ?
S’il n’y pas accord, le Royaume-Uni est un pays tiers (v. supra), même moins bien placé que les autres, car la plupart des pays tiers en Europe ou sur d’autres continents ont conclu des accords commerciaux (parfois de libre échange) avec l’UE qui leur donne une situation privilégiée sur le marché européen. En dehors des échanges commerciaux, on peut envisager le maintien de liens sur le plan politique et militaire (il y a déjà l’OTAN) ou en matière de sécurité. Il s’agirait de coopérations qui se déploieraient en dehors du cadre juridique de l’UE, ce que n’exclut pas l’UE, dès lors qu’il n’est pas porté atteinte aux compétences de l’UE ni à son système juridique.
S’il y a accord, la question, est de déterminer son contenu. Plusieurs modèles préexistant ont été avancés : Celui de l’espace économique européen (Norvège, Islande, Liechtenstein). Les membres sont associés au marché unique et participent financièrement à certaines politiques de l’Union. Le grand avantage est que ces Etats jouissent de toutes les libertés de circulation. Mais les inconvénients pour le Royaume-Uni sont nombreux : se soumettre à la libre circulation des personnes, accepter les législations européennes sans pouvoir y participer et continuer à payer pour des politiques honnies (surtout la PAC). Vient ensuite le modèle suisse : C’est un ensemble d’accords ponctuels conclus avec l’UE et portant sur les différents volets des politiques de l’Union (environ une soixantaine). Ce dispositif est très difficile à gérer et la libre prestation ne s’applique pas de plein droit. Il existe aussi le modèle de l’association turque : c’est une union douanière pour les marchandises mais la libre circulation des personnes est limitée et il n’y a pas de libre circulation des services. Il y a également le modèle de l’accord CETA (avec le Canada), qui instaure une zone de libre-échange, mais là encore pas de libre circulation des services, sans ignorer le problème de la juridiction compétente.
Le Royaume-Uni (livre blanc du 2 février 2017) demande un accord global mais totalement spécifique, comprenant le maintien de l’ouverture des frontières pour les marchandises et le maintien des acquis en ce qui concerne les services. Il s’agirait en réalité de conserver le marché unique mais débarrassé de tout ce qui gêne le Royaume-Uni. Il est peu probable que les 27 y consentent tel quel, dans la mesure où les quatre libertés constituent le socle de l’Union. De telles concessions pourraient donner de mauvais exemples à d’autres membres de l’Union. Les premières orientations du Conseil européen sont à guetter avec soin. En tout état de cause la Cour de justice veillera au grain car les accords externes de l’Union peuvent être soumis à un contrôle tant préventif qu’a posteriori.
Par Claude Blumann