Par Jean-Pierre Camby, enseignant à l’université de Paris I et à l’UCO de Nantes, commentateur du code électoral Dalloz, et ancien administrateur à l’Assemblée nationale.

Pourquoi la QPC était-elle renvoyée ?

Dans sa décision n° 2024-1129 QPC du 28 mars dernier, le Conseil Constitutionnel avait formulé une réserve d’interprétation portant sur l’effet immédiat d’une peine d’inéligibilité non définitivement prononcée : « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure  est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur». Cette réserve n’a pas été totalement suivie par le Tribunal correctionnel de Paris, qui en a tenu compte pour le maire de Perpignan, contre lequel il n’a pas retenu de peine d’inéligibilité immédiatement applicable. En revanche, il prononce une inéligibilité à effet immédiat à l’encontre de Marine le Pen afin d’empêcher le « trouble qu’engendrerait en l’espèce le fait que soit candidat par exemple et notamment à l’élection présidentielle, voire élue une personne qui aurait déjà été condamnée en première instance, notamment à une peine complémentaire d’inéligibilité ». On peut être sceptique sur cette motivation d’ordre éthique, et sur l’intervention du juge pénal en amont d’une élection.

Le Conseil constitutionnel ne s’était ainsi prononcé que sur la constitutionnalité de l’effet immédiat des dispositions des articles L 230 et L 236 du code électoral, « en tant qu’elles s’appliquent à des élus ayant fait l’objet d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision sur le fondement de l’article 471 du code de procédure pénale, alors que cette sanction n’est pas devenue définitive », c’est-à-dire sur l’exécution « par provision » de l’inéligibilité des élus locaux. Le sujet n’était donc traité que par ricochet, alors que l’article 471 (alinéa 4) du code de procédure pénale a une portée plus large : « Les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132-70 du code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision ».

La Cour de cassation a longtemps refusé de renvoyer des QPC sur ce dispositif (Cass crim 23 aout 2017 n° 17-80 459 ; 18 décembre 2024, n° 23-84 556). Mais on sait qu’un tel refus n’est jamais définitif ( n° 2011-139 QPC du 13 mai 2011) et permet à un autre requérant de déposer sur le même dispositif une QPC à condition qu’elle soit autrement motivée (CE 1 er février 2011 n° 342536).  

Aussi la Cour de cassation a-t-elle décidé, le 24 septembre 2025 de renvoyer une QPC sur l’exécution provisoire avec un argument inédit.  Faut-il que la loi exige que l’exécution « par provision » soit motivée ?  « Aucune disposition législative ne prévoit l’obligation de motiver la décision par laquelle il déclare exécutoire par provision une sanction pénale, autre que l’inéligibilité » (pour celle-ci la réserve d’interprétation du 28 mars 2025 pose cette exigence). De ce silence législatif « pourrait…résulter une méconnaissance tant de l’obligation pour le législateur de fixer des règles de droit pénal et de procédure pénale de nature à exclure l’arbitraire dans le jugement des personnes poursuivies et le prononcé et l’exécution des peines que du principe d’individualisation des peines, qui imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, sur la culpabilité et sur la peine ». C’est donc du fait de l’incompétence négative du législateur que la QPC est renvoyée. Si ce grief n’est pas en lui-même susceptible de fonder une QPC, il peut l’être dès lors qu’un tel trou dans la raquette législative peut entraîner des atteintes aux « droits et libertés que la Constitution garantit ». En l’espèce, sont invoqués le caractère « arbitraire » du jugement et l’individualisation de la  peine.

La Cour de cassation a entendu ainsi sécuriser les instances en cours ou à venir, dont la future décision de la Cour d’appel dans l’affaire de assistants de députés européens RN, qui doit se tenir du 13 janvier au 11 février prochain.

Quel est l’apport de la QPC ?  

L’alinéa 4 de l’article 471 du code de procédure pénale vise l’exécution provisoire des peines alternatives et des peines complémentaires à l’emprisonnement ou à l’amende prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 du code pénal, ainsi que des mesures de personnalisation de la peine prises sur le fondement des articles 132-25 à 132-70 du même code. Même si les peines d’emprisonnement et leur sursis (article 131-3 du code) n’entrent pas dans le champ du dispositif, on peut considérer que la réponse apportée par le Conseil constitutionnel a une portée très générale et vaut a fortiori pour toute peine privative de liberté.

La question est donc clairement posée : l’absence d’obligation pour le juge pénal de motiver une exécution provisoire est-elle conforme à la Constitution (alors que la cour d’assises doit motiver la peine qu’elle prononce : n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018) ? Elle s’applique « à des sanctions de nature à porter atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis d’une personne qui n’est pas définitivement condamnée. Au surplus, dans le cas où l’exécution provisoire risquerait d’entraîner des conséquences manifestement excessives, la personne condamnée ne dispose pas de procédure lui permettant d’en obtenir la suspension ».

On relèvera d’abord que le Conseil constitutionnel place sur le même plan l’exécution provisoire et le prononcé de la sanction. Les exigences constitutionnelles sont identiques pour le prononcé de la peine et ses modalités d’exécution.

Au-delà, le Conseil n’a remis en cause ni la logique suivie par la décision du 28 mars 2025, ni la conclusion de celle-ci. Il procède, comme il l’avait alors fait, à une réserve d’interprétation exigeant que le juge prenne en compte la nécessaire proportionnalité entre la mesure et ses incidences : « Sauf à méconnaître le principe d’individualisation des peines, il revient au juge d’apprécier, en motivant spécialement sa décision sur ce point, le caractère proportionné de l’atteinte que l’exécution provisoire de la sanction est susceptible de porter à un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Dans ce cadre, il se détermine au regard des éléments contradictoirement discutés devant lui, y compris à son initiative, afin de tenir compte des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale », critères qui sont ceux de l’article 464-2 du code de procédure pénale .

Cette exigence de proportionnalité s’applique depuis la décision du 28 mars 2015 à l’inéligibilité. Elle s’applique désormais d’une manière plus étendue à toute peine, nécessairement individualisée (art L 132-1 du code pénal). Possibilité d’amendement d’une personne condamnée seulement en première instance, incidences sur les membres de la famille, la réputation ou la vie professionnelle… seront ainsi mises en balance avec tout ce qui justifie l’exécution provisoire :  prévenir la récidive, empêcher la pression sur des témoins ou la collusion avec des complices, etc.

En retenant la nécessité de motiver l’exécution provisoire, la réserve d’interprétation (§13) aboutit à l’exiger en fait tout en évitant la censure. A cet égard, la QPC aura une faible incidence pratique : le juge pénal motive toujours ces décisions, quitte à être infirmé immédiatement par la Chambre des appels correctionnels comme le montre l’exécution provisoire du mandat de dépôt  de Nicolas Sarkozy.  La QPC est sans incidence sur cette procédure : l’exigence de motivation découle déjà de l’article 464-2 du code de procédure pénale. En l’espèce la motivation à l’appui de l’incarcération est, ici encore, du domaine de l’ordre public immatériel visant « le trouble exceptionnel à l’ordre public causé par l’infraction ».L’image du juge de première instance en est affectée. Il est incompréhensible, pour le peuple au nom duquel la justice est rendue, de mettre en détention un ancien président de la République, pour lever au bout de quelques jours cette peine, même si les textes applicables diffèrent. Est-ce en pensant à ce précédent, ou dans la perspective des campagnes électorales à venir, ou encore d’une manière générale dans le souci d’une bonne tenue des procédures pénales, que le Conseil a entendu priver de tout effet rétroactif cette réserve d’interprétation « qui ne s’applique qu’aux affaires dont la juridiction de jugement est saisie postérieurement à la date de publication de la présente décision » ( § 14) ?

Le Conseil relève en outre, en réponse à l’argument tiré de l’absence de recours juridictionnel contre l’exécution provisoire, le fait que cette dernière ne « peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation ». La réponse, conforme à celle de la Cour de cassation, tient au respect général du contradictoire par la procédure pénale et à l’existence de voies de recours contre la condamnation elle-même. Sur ce point elle ne comporte pas d’exigence supplémentaire.

Cette QPC généralise l’exigence de motivation des décisions d’exécution provisoire et incite le juge pénal à mieux prendre en compte l’incidence de ses décisions. Elle répond ainsi à l’objectif de sécurisation de débats dont l’actualité montre la sensibilité, parfois nourrie d’approximations juridiques. Mettra t’elle fin aux polémiques ? On peut en douter tant ces débats sont aujourd’hui vifs. Mais on espère que sa lecture, pour ceux qui ne se contenteront pas de commentaires orientés , contribuera, au moins, à les apaiser.