Cold case Pélicot : les conditions juridiques d’une exhumation
Outre sa condamnation à vingt ans de réclusion criminelle dans le cadre des viols de Mazan, Dominique Pélicot est mis en examen pour un viol suivi d’un meurtre commis en 1991. Dans cette affaire, la justice a refusé la demande d’exhumation du corps de la victime, faite par l’avocat du mis en cause. Mais peut-on vraiment exhumer un corps et si oui à quelles conditions ?

Par Ariane Gailliard, Maître de conférences à l’Université Toulouse Capitole
Qu’est-ce que l’exhumation et pourquoi est-elle par principe interdite ?
L’exhumation désigne une opération funéraire consistant en l’extraction des restes du cadavre d’une fosse ou d’un caveau. En soi, l’exhumation constitue l’infraction d’atteinte à l’intégrité du cadavre, incriminée dans le Code pénal (art. 225-17). L’exhumation ne peut donc exister que si elle est réglementée – sa réglementation constituant un fait justificatif de ladite infraction.
Le cadavre, sous toutes ses formes (restes ou encore cendres après la crémation), fait l’objet d’une dignité, que rappelle l’article 16-1-1 du Code civil. L’exhumation est donc un sujet au croisement du droit et de la bioéthique.
Comment est-elle réglementée en France ?
Deux types d’exhumations existent.
L’exhumation administrative est une procédure obligatoire dans le cadre de la reprise des restes inhumés dans les cimetières communaux. Elle n’aboutit qu’au terme d’une procédure très rigoureuse, faite d’affichage, de formalismes et d’obligations d’informer les proches.
L’exhumation dite judiciaire est bien moins réglementée. Une exhumation est dite « à la demande du plus proche parent » de la personne décédée (art. R. 2213-40 s. CGCT), mais la loi n’en précise pas les motifs. La Cour de cassation considère que « l’exhumation d’un corps ne peut être effectuée que pour des motifs graves et sérieux » (v. par ex. Civ. 1re, 7 févr. 2018, n° 17-18.298). L’exemple le plus fréquent est celui où l’inhumation première n’a pas respecté la volonté du défunt.
L’actualité du Cold case Pélicot illustre cependant une autre conception de l’exhumation judiciaire et surtout, une autre conception du cadavre. Ce dernier n’est plus une ancienne personne autrefois titulaire d’une volonté à respecter, mais un « objet » porteur de vérités scientifiques. La recherche de la vérité peut-elle fonder l’exhumation, et ce, indépendamment de toute volonté exprimée du défunt ?
La réponse dépend de la vérité recherchée. La vérité biologique ou de la filiation a pu conduire, un temps, les juges à permettre l’exhumation. En 1997, la Cour d’appel de Paris autorisa l’exhumation du corps d’Yves Montand aux fins d’une analyse génétique, pour la recherche de paternité d’une enfant, née quelques temps après la liaison de l’acteur avec une femme. Philippe Malaurie y vit un arrêt d’« acharnement » dans « la recherche de la vérité biologique ». Un tel acharnement indigna : la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004 ajouta, dans les dispositions du Code civil relatives à l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques en matière civile, la mention suivante : « sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort » (art. 16-11 al. 7). Par une décision du 30 septembre 2011, le Conseil constitutionnel put rappeler la justification même d’une telle disposition, par laquelle « le législateur a entendu faire obstacle aux exhumations afin d’assurer le respect dû aux morts ». La messe semblait ainsi être dite : en matière civile, l’exhumation ne peut se faire qu’après le recueil du consentement du vivant de la personne. Mais il n’est pas certain que la protection civile « à la française » du cadavre survive à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans une affaire « Jäggi c/ Suisse » le 13 juillet 2006, elle a vu dans le refus pour le droit interne d’autoriser l’exhumation du père présumé du requérant, pour y obtenir une analyse ADN, une atteinte au droit au respect de la vie privée, au nom du droit à l’identité, dont relève le droit de connaître son ascendance. A suivre, donc…
Existe-t-il une spécificité lorsqu’une exhumation est demandée dans le cadre d’une enquête pénale ?
La manifestation de la vérité dont il est question ici présente des enjeux plus importants : la possible découverte d’une infraction grave. Contrairement à ce que l’on pourrait penser au regard des principes protecteurs du corps humain, l’exhumation constitue, au regard de la procédure pénale, un acte d’enquête comme un autre. Le Code de procédure pénale n’aborde pas l’exhumation, mais l’autopsie judiciaire, acte d’expertise pouvant être ordonné par le procureur de la République, l’officier de police judiciaire ou le juge d’instruction (art. 230-28 et s.). Il faut alors comprendre que l’autopsie peut être réalisée avant ou après l’inhumation du cadavre – tout dépend du temps écoulé entre la mort et la demande de l’acte. Souvent, elle est réalisée peu de temps après ; il existe d’ailleurs une procédure spécifique en cas de découverte d’un cadavre dont la mort a une cause suspecte. Dans une telle hypothèse, le médecin pose souvent un obstacle médico-légal. Cet obstacle pourra, après enquête, être levé par le procureur, qui autorisera alors l’inhumation. Mais il peut arriver que des années plus tard, des circonstances nouvelles amènent à penser que la mort était peut-être due à une infraction grave.
L’affaire est ici exceptionnelle, car elle relève d’un dossier rouvert tout récemment par le pôle Cold cases du Parquet de Nanterre, à propos d’une mort survenue en 1991. Un ADN aurait été prélevé alors sur le corps (des spermatozoïdes vivants), avant d’être, aux dires de la famille de la victime, perdu dans le laboratoire. Dans le cadre d’une instruction, le juge d’instruction peut ordonner toute une série de mesures encadrées par la loi, et les parties peuvent lui en faire la demande – partie civile, mis en examen, procureur. Le juge n’est pas tenu de faire droit à la demande et reste seul maître de l’instruction. Ce n’est donc pas spécifiquement l’exhumation qui a été refusée ici par le juge d’instruction, contrairement à ce qu’affirment les médias, mais tout simplement l’autopsie, ce dernier estimant certainement que cet acte n’était pas utile à l’enquête – on peut raisonnablement penser que le temps écoulé depuis la mort a été considéré comme trop ancien pour que le corps soit encore porteur d’une vérité. Il convient de souligner ici que la demande émanait de l’avocate de Dominique Pélicot lui-même, et que cette dernière va faire appel.
La solution est donc entre les mains de la Chambre de l’instruction. Rappelons simplement en guise de conclusion que civil et pénal sont moins éloignés qu’il n’y parait au sujet de la protection du cadavre. Quelques années après l’affaire Montand, le législateur ajouta aux dispositions protectrices du corps humain un article 16-1-1 dans le Code civil dont la formule est aussi grave que solennelle : « Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées (…) doivent être traitées avec respect, dignité et décence ». Le législateur renouait alors avec un vieux principe jurisprudentiel utilisé jadis pour limiter les exhumations : « le respect de la paix des morts ne doit être troublé par la division des vivants » (ex. Civ. 1re, 14 janv. 1997). Or, le respect d’un tel principe s’impose à tous, y compris aux enquêteurs et au juge d’instruction. Les nécessités de l’enquête ne devraient pouvoir outrepasser la dignité humaine qui n’est pas un droit, mais bien un principe au fondement de la protection du cadavre. Un acte d’enquête comme un autre ?