Mise à l’écart de Mbappé : que dit le droit du travail ?
Par Sophie Dion – Maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Directeur du Master 2 de droit du sport – Arbitre au Tribunal Arbitral du Sport
L’affaire fait le tour de France et le tour du monde. Kylian Mbappé, joueur iconique, un des meilleurs attaquants mondiaux, capitaine de l’équipe de France de football a annoncé sa volonté de ne pas prolonger son contrat au-delà de son terme actuel, c’est-à-dire juin 2024. Son club, le Paris Saint Germain (PSG) souhaite au contraire le contraindre à prolonger en activant la clause de prolongation d’un an. Le bras de fer est ainsi engagé. Mais au-delà des épisodes de ce feuilleton de l’été, qui scrutent et interprètent les attitudes et les états d’âmes de chacun de ses acteurs, cette affaire est un cas d’école, un devoir de vacances pour tous les étudiants en droit spécialisés en droit du travail et en droit du sport.
Quelles sont les questions juridiques posées ? L’identification des concepts juridiques soulevés par ce litige sont des outils de droit du travail : un contrat de travail et une convention collective.
Que dire du contrat de travail du joueur ?
Kylian Mbappé et le PSG sont liés par un contrat de travail dont l’échéance est normalement prévue en juin 2024. Celui-ci comporte une clause de reconduction d’un an.
Le contrat du sportif professionnel est un contrat de travail à durée déterminée d’usage. On sait en effet que le contrat à durée déterminée n’est autorisé que dans certains cas de recours (article L 1242-2 et s. du Code du travail). Parmi ceux-ci, figure l’usage pour lequel il est possible de conclure, dans certains secteurs d’activités, un contrat à durée déterminée (article D 1242-1 du même Code). Le sport professionnel étant visé au 5°. D’où l’appellation contrat d’usage. Mais ce contrat d’usage était fréquemment requalifié par les juges en contrat de travail à durée indéterminée au prétexte que la nature temporaire des contrats n’était pas justifiée par des éléments concrets et précis (par exemple cass. soc., 12 janvier 2010, n°08-40.053 et cass. soc., 17 décembre 2014, n°13-23.176). C’est pour mettre fin à cette insécurité juridique que ce contrat d’usage est devenu spécifique par la loi du 27 novembre 2015 (Loi n°2015-1541 du 27 novembre 2015 visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale). Il est ainsi visé par le Code du sport aux articles L 222-2-1 et suivants. Au-delà des spécificités de ce contrat, le « Code du travail est applicable au professionnel salarié » comme le rappelle l’article précité. Specialia generalibus derogant. Les règles communes du droit du travail dans les trois moments de la vie du contrat, formation, exécution et rupture s’appliquent à défaut des dispositions particulières prévues par le Code du sport pour le contrat spécifique. Par conséquent, le contrat liant Kylian Mbappé et le PSG reste soumis au droit commun du travail.
Quid de la Charte du football professionnel ?
Le droit conventionnel, de branche ou d’entreprise, source négociée entre les partenaires sociaux a un impact direct sur les contrats de travail. Le droit conventionnel du sport couvre aujourd’hui de nombreux sports mais c’est le football qui a été précurseur en se dotant d’un accord collectif dès 1973. La Charte du football professionnel a en effet été adoptée le 1er juin 1973 suite à la grève des joueurs en novembre 1972. Cette Charte, qui sans en avoir la nature, a la valeur d’une convention collective, selon les termes de la chambre sociale de la Cour de cassation (cass., soc. 3 février 1993, n°90-42.070 et cass. soc., 1er février 2000, n°97-44.100). Cet accord collectif s’applique donc au joueur star et à son club dans toutes ses stipulations. C’est ici qu’entre en jeu l’article 507 de ce texte qui s’intitule « Gestion des effectifs ». Cet article répond davantage aux besoins des clubs professionnels pour organiser leurs équipes. Il n’est pas spécialement motivé pour améliorer le statut du joueur professionnel. Cet outil juridique a été utilisé par la direction du PSG pour écarter Kylian Mbappé de la tournée des joueurs au Japon et en Corée du Sud. Ce texte permet en effet pendant une période allant du 1er juillet au 2 septembre, durée du mercato estival, de diviser l’effectif des joueurs du club en plusieurs groupes. Mais l’article 507 précise que « la mise à disposition de tout joueur sous contrat professionnel dans le deuxième groupe […] doit s’effectuer de manière temporaire pour des motifs exclusivement liés à la gestion de l’effectif ». Il ajoute enfin « cette mise à disposition ne doit en aucun cas se prolonger de manière régulière, permanente et définitive s’apparentant à une mise à l’écart du joueur contraire à l’esprit du texte et du contrat de travail du footballeur professionnel ». Par conséquent, Kylian Mbappé ne pourra être écarté de l’équipe première de son club après la date du 2 septembre. Au-delà, l’attitude de son club à son égard pourra être qualifiée de mise à l’écart fautive et sanctionnable.
Quels sont les éléments de la contre-attaque de Kylian Mbappé ?
Dans le sport comme dans tout corps social, il est naturel de vouloir régler au moins dans un premier temps les litiges en famille. La justice fédérale devra être saisie avant tout recours au juge de droit commun.
La justice fédérale d’abord. La Commission juridique de la Ligue de Football Professionnelle (LFP) sera compétente (articles 406 et suivants du règlement disciplinaire de la LFP). Elle pourra tenter de concilier les parties ou, à défaut, de prononcer la réintégration du joueur dans son groupe légitime. C’est ensuite la Commission nationale paritaire d’appel qui pourra être saisie.
Le juge de droit commun ensuite. Le juge naturel du contrat de travail est le Conseil des prud’hommes. La mise à l’écart peut parfois s’apparenter à un harcèlement moral si les conditions posées par l’article L 1152-1 et suivants du Code du travail sont réunies. Mais à ce jour, les exigences posées par ce texte ne semblent pas être satisfaites notamment la multiplication des mises à l’écart. A tout le moins, la volonté délibérée du club d’utiliser l’article 507 comme moyen de contrainte pour forcer le joueur à prolonger son contrat pourrait être considéré comme un manquement contractuel. Celui-ci devrait être qualifié de gravement fautif dans la perspective du contrat spécifique qui n’admet que certaines causes limitatives de rupture. Cela pourrait entrainer la rupture du contrat aux torts exclusifs du club. Ainsi après la fin de son contrat initial, soit en juin 2024, Kylian Mbappé serait un joueur libre de s’engager dans le club de son choix. Jusqu’à cette date-là, le club parisien pourra transférer le joueur et bénéficier des indemnités de transfert. Après cette date, si le joueur parisien refuse la prolongation de son contrat avec le PSG, ce dernier perdra le joueur et l’indemnité de transfert.
Cette extrémité procédurale et judiciaire n’ira sans doute pas à son terme. Au cas particulier, les enjeux de toute nature sont tels que les parties trouveront sans nul doute un accord pour mettre fin de manière amiable et consensuelle à ce litige.
Kylian Mbappé est certes un joueur iconique, une star internationale, sollicité par tous les grands clubs mondiaux. Pour autant, il est aussi un sujet de droit du travail français. Ce qui est vrai pour l’attaquant star fut aussi la situation pour Rothen, Dhorasoo, Rabiot et Ben Arfa. Pour ces joueurs emblématiques, la protection offerte par le jeu des règles du droit du travail peut se révéler de l’ordre du symbole. Mais pour tous les autres joueurs et sportifs professionnels, et ils sont nombreux, le droit du travail offre une protection bien nécessaire et salutaire.