Transparence salariale : quels changements avec la nouvelle directive européenne en France ?
La directive 2023/970 « transparence salariale » accroît les informations que les entreprises et les administrations devront diffuser sur les rémunérations au sein de leurs structures. Une transparence inédite en droit français justifiée par l’obligation d’effectivité du principe d’égalité de traitement.
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Par Nicolas Moizard, Professeur de droit privé à l’Université de Strasbourg
Une nouvelle directive était-elle nécessaire pour lutter contre les discriminations en raison du sexe au travail ?
Il existe en effet de nombreux textes de l’Union européenne sur l’égalité professionnelle entre les sexes. Contrairement au droit français, le droit de l’Union ne distingue pas le principe d’égalité de traitement (« le travail de valeur égale ») du principe de non-discrimination. Il s’agit de lutter contre les discriminations au travail et dans l’emploi pour mettre en œuvre le principe d’égalité de traitement. Cela signifie d’une part que le droit de l’Union utilise les mêmes outils d’analyse dans les deux cas et que d’autre part, il ne prend pas en considération d’inégalités de traitement qui ne seraient pas rattachées à un critère de discrimination couvert par les directives de l’Union (sexe, nationalité, âge, handicap, orientation sexuelle, la religion ou les convictions). La directive 2023/970 vise à renforcer l’effectivité du principe d’égalité de traitement entre les sexes qui s’applique autant au secteur privé qu’au secteur public. Elle a pour objet d’accroître la transparence des rémunérations dans les entreprises, de faciliter l’application des concepts et d’améliorer l’accès en justice des victimes.
La directive donne une définition de la discrimination intersectionnelle qui devra être reprise en droit français. Les quelques illustrations de ce concept en jurisprudence ne suffisent pas à assurer la transposition de cette directive. Elle rappelle que l’égalité de traitement doit s’appliquer à l’ensemble de la rémunération, y compris donc les composantes variables ou complémentaires. Ce point est essentiel car les inégalités se développent dans les accessoires du salaire. Elle précise qu’il convient de lutter contre les stéréotypes. La directive énonce les critères permettant d’évaluer la « valeur du travail » et qui enrichiront le droit français. Elle précise ainsi que « les compétences non techniques pertinentes ne sont pas sous-évaluées ». Ce concept central pour l’égalité permet d’évaluer de façon transversale les emplois dans l’entreprise, sans s’arrêter par exemple aux intitulés de poste. La mise en œuvre n’est pas simple. Les autorités publiques vont devoir mettre à la disposition des acteurs, des outils et des méthodes analytiques pour évaluer le « travail de valeur égale ». Les employeurs ne pourront plus se retrancher derrière la difficulté de mener cette évaluation.
La directive est toute tournée vers l’effectivité des règles, ce qui se retrouve dans l’obligation de de sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ». Nous en sommes encore loin en France. Par ailleurs, la directive impose une meilleure détermination la réparation du préjudice. Outre le rappel que celle-ci se doit d’être intégrale, la directive précise que cela comprend « une indemnisation pour les opportunités manquées et le préjudice moral ». La directive tire également des conséquences du non-respect de la transparence des rémunérations dans la preuve de la discrimination en raison du sexe.
Qu’en est-il de « la transparence des rémunérations » ?
C’est sans doute le point qui changera le plus la donne du droit français. La directive impose de donner des informations sur les rémunérations aux candidats à l’embauche, aux salariés, aux représentants des travailleurs et même, ce qui est le plus novateur, au grand public. Des données de l’entreprise sur les écarts sexués des rémunérations devront être transmises à un organisme national qui les diffusera. Nous sommes dans l’ère de la comparaison entre les entreprises et des informations pourraient ainsi être utilement livrées pour le contentieux.
Lorsque la différence de niveau de la rémunération moyen est d’au moins 5% entre les sexes, l’employeur doit procéder « en coopération » avec les représentants du personnel à une « évaluation conjointe des rémunérations » pour « recenser, corriger, prévenir ». Cela devrait donner accès à ces représentants aux politiques de rémunération internes à l’entreprise, qui font figures pour beaucoup de « boîte noire ».
Les entreprises vont devoir travailler sur les critères objectifs justifiant les primes existantes et pas seulement futures. La catégorie professionnelle ne devrait pas suffire à les justifier dès lors que l’on procède à l’analyse du « travail de valeur égale ». Cela ne signifie pas que toute prise en considération de la performance individuelle est proscrite. Celle-ci devra être justifiée. Toujours sous le prisme du « travail de valeur égale », des salariés pourraient revendiquer ces avantages, y compris collectivement à travers des actions de groupe devant le tribunal judiciaire. Si ces avantages ont une source négociée, cela peut les fragiliser lors de la renégociation de l’accord collectif. S’ils relèvent d’un usage, il existe aussi un risque de dénonciation de celui-ci par l’employeur. Le principe d’égalité de traitement ne garantit pas le maintien d’un avantage.
Quand la transposition de cette directive interviendra-t-elle en droit français ?
Il est impératif qu’elle soit réalisée d’ici le 7 juin 2026. L’instabilité gouvernementale n’a pas aidé. Le gouvernement a procédé à une intéressante concertation avec les partenaires sociaux. Il semble que l’outil qui sera mis en place se substituera à l’index de l’égalité professionnelle. La question centrale est de savoir si les acteurs français sont prêts à une telle transparence. Par ailleurs, qu’en sera-t-il de la fonction publique, où les outils ne sont pas encore au niveau du secteur privé ?