Par Charles-Edouard Bucher, Professeur agrégé de droit privé et Directeur de l’Institut de recherche en droit privé à Nantes Université.

La loi n° 2023-1251 du 26 décembre 2023 institue un cadre général facilitant la restitution aux États étrangers qui en aurait fait la demande de restes humains conservés dans les collections publiques. Ce texte instaure, au sein du Code du patrimoine, une dérogation au principe d’inaliénabilité du domaine public. La sortie des collections publiques ne nécessite plus le vote d’une loi d’espèce. Elle peut désormais être prononcée par un décret du Premier ministre et, lorsque l’identification des restes humains apparaît délicate, après le travail d’un comité scientifique créé de façon concertée avec l’Etat demandeur. La restitution ne peut toutefois avoir lieu qu’à des fins funéraires. Par ailleurs, plusieurs conditions doivent être remplies : la demande doit émaner d’un Etat agissant, le cas échéant, au nom d’un groupe humain présent sur son sol et dont la culture et les traditions restent actives. Les restes humains concernés sont ceux de personnes mortes après l’an 1500. Enfin, il est établi que les conditions de leur collecte ont méconnu le principe de la dignité de la personne humaine ou que leur conservation dans les collections publiques porte atteinte au respect de la culture et des traditions du groupe humain dont ils sont issus.

Ces conditions ne faisaient pas difficultés au cas présent. Ainsi, notamment, comme l’a rappelé la ministre de la Culture, Rachida, Dati dans son discours, « ces crânes sont entrés dans les collections nationales dans des conditions qui contreviennent de manière très objective à la dignité humaine et dans un contexte de violences coloniales ». Le roi Toera a en effet été tué par l’armée française lors du massacre d’Ambiky en 1897 et les deux autres crânes sont ceux de guerriers tués un an plus tard par les troupes coloniales. Par ailleurs, des fins funéraires justifiaient la restitution. Il est vrai que le crâne présumé du roi Toera fera l’objet d’un culte en tant que relique. Mais la finalité à laquelle fait référence la loi n’implique pas nécessairement que les restes humains restitués fassent l’objet d’une inhumation ou d’une incinération. La sénatrice Catherine Morin-Desailly, à l’origine du texte de 2023, le soulignait dans un rapport : « l’essentiel est de permettre que les rites funéraires qui correspondent aux croyances et cultures de l’individu dont les restes sont restitués puissent être accomplis ».

Quel est le processus d’identification et de décision autour de cette restitution ?

Cet « acte de justice historique », selon les termes de Volamiranty Donna Mara, ministre de la Communication et de la Culture malgache, est l’aboutissement d’un processus qui a débuté par une demande de restitution adressée à la France par Madagascar le 27 mai 2022. Puis un comité scientifique franco-malgache, mis en place pour l’occasion, a identifié les restes humains comme étant de la communauté sakalava dans un rapport du 15 janvier 2025. Enfin, le Premier ministre français a pris un décret le 2 avril 2025. Ce texte prévoit, dans un article 1er, que « les restes humains conservés dans les collections publiques nationales placées sous la garde du Muséum national d’histoire naturelle et dont les numéros d’inventaire figurent en annexe sont remis à la République de Madagascar, dans un délai d’un an au plus à compter de la publication du présent décret ». Et dans un article 2, il précise que « les restes humains mentionnés à l’article 1er cessent de faire partie des collections publiques nationales à compter de leur remise matérielle à la République de Madagascar ». C’est cette remise matérielle qui a eu lieu le 26 août dernier.

Quelles perspectives cette restitution ouvre-t-elle ?

Cette première application de la loi du 26 décembre 2023 ne restera pas la seule. Des demandes ont d’ores et déjà été adressées aux autorités françaises par l’Australie et par l’Argentine. Des requêtes émanant d’autres Etats pourraient suivre, car la restitution des trois crânes à Madagascar démontre que la France joint le geste à la parole. Par ailleurs, de nouveaux textes devraient être adoptés, car cette restitution est l’occasion de se rendre compte que l’arsenal législatif français est incomplet, voire lacunaire.

En effet, la loi de 2023 ne se préoccupe que des restes humains étrangers et n’est d’aucune utilité pour régler le sort de ceux originaires des territoires ultra-marins. Une proposition de loi déposée le 21 janvier 2025 à l’Assemblée nationale par le député Christophe Marion, qui reprend plusieurs conditions posées par la loi de 2023, s’en préoccupe. Elle entend également combler une autre limite du droit actuel, l’absence de dispositif permettant aux citoyens français d’obtenir la restitution de restes humains appartenant à des collections étrangères en les autorisant à adresser au ministre français de la Culture leurs demandes qui les relaierait aux autorités étrangères compétentes. Cette proposition de loi n’a toutefois pas encore été examinée par la Chambre basse. Le fort écho donné à la cérémonie qui s’est tenue rue de Valois pourrait faire avancer les choses. Le texte pourrait notamment être repris et porté par des sénateurs. Par ailleurs, fin septembre, au Sénat, sera discuté un projet de loi présenté le 30 juillet 2025 par la Ministre de la Culture pour la restitution des biens culturels provenant d’États qui, du fait d’une appropriation illicite, en ont été privés entre 1815 et 1972. Un précédent projet de loi-cadre ayant le même objet et porté par la précédente Ministre n’avait pas abouti. Le Conseil d’État, saisi pour avis, avait en effet souligné que les motifs de restitution énoncés dans le projet de loi à savoir « la conduite des relations internationales et la coopération culturelle » étaient insuffisants pour justifier une dérogation au principe d’inaliénabilité des biens culturels entrés dans les collections publiques par don ou par legs.

En revanche, s’agissant des biens culturels spoliés à leurs propriétaires juifs entre 1933 et 1945, une loi-cadre a été adoptée en 2023. Ce texte, la loi du 22 juillet 2023, a comme celui qui concerne les restes humains, reçu sa première application cette année. Le 13 juin 2025, un ouvrage conservé à la Bibliothèque nationale de France a été restitué aux ayants droit d’August Liebmann Mayer sur recommandation de la Commission pour la restitution des biens et l’indemnisation des victimes de spoliations antisémites (CIVS). Enfin, et surtout, cette restitution des crânes sakalava et, plus largement, le contexte de forte réflexion éthique sur le contenu des collections publiques mettent en lumière l’importance des travaux des chercheurs sur de nombreuses pièces conservées dans les collections publiques. De telles études permettent, et permettront, d’anticiper toutes les demandes de restitution.