Mâcher une souris vivante jusqu’à provoquer sa mort peut-il être constitutif d’un acte de cruauté et de sévices graves ?
Par Adrienne Bonnet, Maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et spécialisée en droit animalier, droit civil et droit des affaires
La Fondation de protection des animaux, 30 Millions d’Amis et la Société Protectrice des Animaux ont déposé plainte contre un étudiant marseillais montré dans une vidéo en train de mâcher une souris vivante en soirée.
En septembre 2023, les médias se sont emparés d’un fait d’actualité pour le moins surprenant. Des images auraient été diffusées montrant un étudiant introduire une souris vivante dans sa bouche en raison d’un pari, avant de la mâcher et d’occasionner ainsi la mort de l’animal. Inscrit en classe préparatoire dans un lycée de Marseille, ce jeune homme aurait décidé de se distinguer lors d’une fête d’intégration organisée en dehors de l’établissement, en présence de tiers… et donc, au détriment de cette pauvre souris qui appartenait à l’une de ses camarades. Des associations de protection animale ont annoncé qu’elles porteraient plainte pour acte de cruauté et sévices graves, à l’image de la Fondation 30 Millions d’Amis et de la SPA.
En attendant la poursuite de la procédure pour s’assurer de la véracité des faits, cette affaire soulève d’ores et déjà divers questionnements.
Dans quelle catégorie juridique classer cette souris ?
Les textes diffèrent au fil des catégories retenues, selon que l’animal en cause est domestique, tenu en captivité, apprivoisé ou sauvage. La question de la classification se pose d’autant plus en l’espèce que la jurisprudence s’intéresse plus volontiers aux chats, chiens, chevaux, animaux de rente et à la faune sauvage, qu’aux souris qui sont la propriété d’une personne physique. Toutefois, au vu des faits qui sont pour l’heure relatés et d’un arrêté, la souris en cause devrait être considérée comme un animal domestique, ou au moins ne pas être assimilée à un animal sauvage faute d’être sans maître.
En admettant que cette souris soit qualifiée d’animal domestique, elle est un « être vivant doué de sensibilité » suivant l’article 515-14 du Code civil, introduit par la loi de 2015.
Le fait de mâcher une souris vivante jusqu’à provoquer la mort de celle-ci, est-il constitutif d’un acte de cruauté et de sévices graves, de mauvais traitements ou du récent délit de mise à mort d’un animal sans nécessité ?
Selon l’article 521-1 du Code pénal, tel que modifié par la loi de 2021, constitue un délit le fait d’exercer sans nécessité, publiquement ou non, des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers les animaux domestiques. En parallèle, est qualifié de contravention de 4ème classe le fait, sans nécessité, publiquement ou non, d’exercer volontairement des mauvais traitements à leur encontre. Contrairement aux mauvais traitements, les actes de cruauté sont inspirés par une méchanceté réfléchie, traduisent une intention délibérée d’infliger des souffrances (Paris, 2 févr. 1977, JCP 1978, II, 18843), voire dénotent une volonté perverse ou un instinct de perversité (T. corr. Nîmes, 29 juin 1973, Gaz. Pal., 1973, 2, 879 ; T. pol. Vienne, 7 mars 1979, Gaz. Pal., 1979, 1, 175).
On pense par exemple à l’affaire de l’homme ayant posté une vidéo sur Internet où il projetait un chaton s’écrasant lourdement contre un mur en 2014 et poursuivi notamment par la Fondation Brigitte-Bardot pour actes de cruauté et sévices graves contre un animal, ou encore au rappeur Timal qui, en 2022, publiait sur les réseaux sociaux une vidéo de lui frappant son chien, poursuivi pour ces faits par la SPA et la Fondation 30 millions d’amis.
Dans le cas de la souris, on devine donc les raisons qui ont poussé les associations à agir sur ce terrain. Les actes de cruauté peuvent être punis jusqu’à 5 ans de prison et 75 000€ d’amende quand ils ont provoqué, comme en l’espèce, la mort de l’animal.
Les juges doivent alors relever tous les éléments constitutifs pour caractériser l’infraction d’acte de cruauté et des justifications peuvent être retenues, comme l’existence d’une tradition (Papeete, 19 févr. 1998, Dr. Pénal, 1999, comm. 51, note M. Véron.). Il paraît cependant difficilement concevable d’admettre que mâcher une souris compte parmi les coutumes des fêtes d’intégration. L’appréciation en appartiendra aux juges.
L’infraction de mise à mort sans nécessité d’un animal était pour sa part une contravention, avant de devenir un délit par suite de la loi de 2021. Bien que l’ancien article n’ait pas encore été abrogé, ce délit est désormais puni de 6 mois de prison et 7 500€ d’amende. Si les juges estiment cependant que l’auteur de l’infraction avait l’intention de donner la mort à l’animal par un moyen engendrant des souffrances, l’acte sera qualifié d’acte de cruauté.
Indiquons enfin que des peines complémentaires pourraient être prononcées. Il peut s’agir certes de l’interdiction de détenir un animal ou d’exercer une activité professionnelle, en présence d’un acte de cruauté ou de la mise à mort d’un animal sans nécessité. Pourrait aussi être caractérisé un acte de complicité d’acte de cruauté ou de mauvais traitements, en raison de l’enregistrement volontaire et de la diffusion d’images relatives à l’infraction. Encore, dans le cas où cette fête de lycée n’aurait pas seulement réuni des étudiants majeurs, la commission d’un acte de cruauté en présence de mineurs est une circonstance aggravante.
In fine, à les supposer constitués, les faits pourraient se prêter à la qualification d’acte de cruauté et de sévices graves. L’appréciation des juges du fond demeure cependant cruciale, y compris pour la détermination des peines complémentaires. Les lacunes des textes, comme leur interprétation parfois hasardeuse en jurisprudence, montrent combien il demeure nécessaire d’améliorer l’ensemble… Et partant, d’inciter certains étudiants à faire preuve de raison.