Par Marion Ubaud-Bergeron, Professeur à l’Université de Montpellier, CREAM

Pourquoi un tel projet de loi de validation est-il envisagé ?

Commençons par rappeller en quelques mots le contexte. Si la réalisation de l’autoroute A69 et l’élargissement de l’autoroute A680 avaient tous deux fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique, les concessionnaires en charge du projet (respectivement Atosca et ASF) étaient tenus d’obtenir les autorisations environnementales prévues par la loi (Code de l’env., art. L. 181-1). Après enquête publique, celles-ci ont été délivrées, sur la base d’une dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats. Or, de telles dérogations supposent, notamment, que le projet réponde à une « raison impérative d’intérêt public majeur » (Code de l’env., art. L 411-2) : c’est précisément le défaut de cette condition qui a conduit le Tribunal administratif de Toulouse, saisi par plusieurs associations de défense de l’environnement, à annuler ces deux autorisations par un jugement du 27 février 2025.

Le projet de loi de validation, déposé par deux députés et deux sénateurs du Tarn, entend procéder à la validation des deux arrêtés préfectoraux portant autorisation environnementale « en tant qu’ils reconnaissent une raison impérative d’intérêt public majeur au sens de l’article L 411-2 du Code de l’environnement au projet de liaison autoroutière entre Castres et Toulouse ». L’objet de ce projet de loi de validation est ainsi de tenir en échec la décision du juge administratif pour permettre la reprise du chantier autoroutier.

Cette validation législative visant à sécuriser un projet public constitue-t-elle un cas inédit ?

Inédit, non, mais assez singulier. Il est vrai qu’il existe plusieurs précédents par lesquels le législateur est intervenu pour valider les éventuelles irrégularités entachant des contrats portant sur des opérations publiques d’aménagement ou de construction. Pour s’en tenir à deux exemples, l’article unique de la loi n° 96-1077 du 11 décembre 1996 avait ainsi procédé à une validation du contrat de concession du stade de France conclu un an plus tôt, tandis que l’article 11 de la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 visait à valider l’ensemble des conventions d’aménagement conclues sans être précédées d’une procédure de publicité et de mise en concurrence.

La situation n’en est pas moins ici particulière. D’une part, cette loi de validation ne vise pas à neutraliser les irrégularités procédurales éventuelles entachant un projet (comme le font souvent de telles lois), mais à contourner la carence d’une condition substantielle à la réalisation de celui-ci. D’autre part, elle ne conduit pas à prémunir le projet de toute contestation contentieuse future, mais bien à faire ingérence dans une instance en cours pour contrer directement une décision de justice. Là encore, si la situation n’est pas inédite, il y a toutefois une singularité de nature et de degré qui caractérise ce projet de loi de validation.

Si elle devait être adoptée, quels seraient les effets de cette loi de validation ?

En validant les autorisations environnementales, cette loi aurait, par nature, pour effet de purger le contentieux en cours devant les juridictions administratives, mais uniquement sur le moyen tiré du défaut de raison impérative d’intérêt public majeur.

Reste qu’une telle loi n’est pas, en elle-même, à l’abri de toute contestation. Elle s’expose d’abord à une censure potentielle du Conseil constitutionnel, qui opère un contrôle étroit sur les lois de validation, en raison de l’atteinte à la séparation des pouvoirs et au droit à un recours juridictionnel effectif inhérente à celles-ci, notamment depuis sa décision « Zielinski » (Cons. const, 21 déc. 1999, n° 99-422). Au regard des conditions posées par le juge constitutionnel, il ne fait guère de doute que celle liée au caractère circonscrit de l’illégalité validée serait remplie (une loi de validation ne pouvant pas, en tout état de cause, procéder à une validation généraled’un acte administratif, c’est-à-dire pour toute illégalité). Compte tenu de l’objet bien délimité du projet de loi, ce dernier ne devrait donc pas subir le même sort que la loi précitée du 11 décembre 1996, censurée par le Conseil en ce qu’elle procédait à une validation in abstracto du contrat de concession du Stade de France (Cons. const., 11 févr. 2011, n° 2010-100 QPC). Le projet de loi ne porte pas atteinte non plus à une décision ayant force de chose jugée, le jugement du tribunal administratif ayant fait l’objet d’une contestation en appel.

En revanche, c’est sur le motif du législateur que le contrôle pourrait s’avérer fatal à cette loi, le Conseil constitutionnel exigeant désormais un motif d’intérêt général « impérieux » (Cons. const., 14 févr. 2014, n° 2013-366) et non plus simplement « suffisant ». Plusieurs motifs d’intérêt général ont été avancés par les défendeurs du projet, qu’il s’agisse des motifs économiques et sociaux liés à l’intérêt du territoire lui-même, ou de l’intérêt des finances publiques, compte tenu de l’indemnisation conséquente qui devra être versée aux concessionnaires. Sans se livrer ici à une appréciation de la légitimité de ces derniers, on relèvera toutefois que le Conseil constitutionnel n’a pas hésité à censurer par le passé des lois de validation ayant pour objet de contrer une décision de justice pour des motifs liés à des considérations essentiellement financières (Cons. const., 28 déc. 1995, n° 95-369 ; Cons. Const., 2 mars 2016, n° 2015-525 QPC).

Cette loi s’expose ensuite, à un risque d’inconventionnalité. En premier lieu, elle pourrait, pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être exposées, être censurée sur le terrain de l’article 6 CEDH par les juridictions françaises, dès lors que cette disposition s’oppose, sauf « impérieux motifs d’intérêt général », « à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges » (TC, 13 déc. 2010, n° C3800, Sté Green Yellow). Une telle loi de validation pourrait, en second lieu, être jugée contraire au droit de l’Union européenne, l’interdiction d’atteinte aux espèces protégées inscrite dans notre Code de l’environnement prenant sa source dans deux directives européennes, contrariété qui pourrait ici être appréciée par le juge administratif lui-même s’il était saisi d’un litige à l’occasion duquel l’exception d’inconventionnalité de cette loi était soulevée.

Alors même qu’elle vise à sanctuariser la finalisation de ce projet autoroutier, cette loi de validation s’avère être, paradoxalement, une manœuvre particulièrement risquée au regard de sa fragilité juridique. Le respect de la séparation des pouvoirs, comme l’exigence de pragmatisme avancée pour la justifier, commanderaient davantage d’emprunter la voie de la raison : celle qui consiste à attendre, tout simplement, la décision du juge d’appel ou, le cas échéant, du Conseil d’Etat dans cette affaire.