Par Audrey Darsonville, Professeur de droit pénal à l’Université Paris Nanterre, CDPC

Quelle a été la genèse de la réforme ?

Depuis la loi du 23 décembre 1980 ayant modifié l’incrimination du crime de viol, l’article 222-22 du code pénal énonçait : « Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Cette définition ne mentionnait donc pas le consentement, le choix ayant été fait de décrire les moyens utilisés par l’auteur de l’acte d’agression pour permettre de déduire de leur usage l’absence de consentement de la victime. Or, ces critères, s’ils ont permis d’objectiver la preuve du défaut de consentement, ont également montré leurs limites, notamment pour appréhender les hypothèses de contrainte morale, dont la définition floue n’a pas permis d’en cerner avec justesse les contours, mais aussi la réaction psychique de la sidération. Certes, la jurisprudence a fait œuvre créatrice, notamment en admettant la sidération, lors d’un arrêt de la chambre criminelle en date du 11 septembre 2024, mais les incomplétudes législatives, déjà relevées par la doctrine, ont été critiquées par divers instruments européens.

En effet, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul, signée en 2011 et ratifiée par la France en 2014, aborde le consentement, puisque son article 36 prévoit qu’en matière de viol, « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes ». Cependant, la réticence du législateur national à intégrer les préconisations de la Convention d’Istanbul est demeurée manifeste. Cette réticence a été soulignée dans les deux rapports rendus par le GREVIO (groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) en 2019 et 2025. En outre, la France a fait l’objet de plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme, décisions qui ont mis en exergue les insuffisances de la loi nationale. Dans trois arrêts rendus le 24 avril 2025, L. et autres contre France, la Cour EDH condamne la France pour violation des articles 3, 8 et 14. Elle rappelle que les États ont des obligations positives « d’adopter des dispositions pénales incriminant et réprimant de manière effective tout acte sexuel non consenti » (§193). La Cour relève « qu’il existe aujourd’hui un consensus grandissant au sein des États parties pour intégrer expressément, dans la définition du viol, la notion de consentement éclairé et consacrer le défaut d’un tel consentement comme un élément constitutif de l’infraction (…). Par ailleurs, les engagements internationaux de la France, en particulier la ratification de la Convention d’Istanbul en 2014, appellent une telle évolution, même si l’État défendeur conserve une certaine marge pour définir, dans sa législation, les critères d’un consentement libre » (§208). Une nouvelle condamnation de la France a été prononcée par l’arrêt E.A. et association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, en date du 4 septembre 2025. Dans cet arrêt, la Cour souligne « qu’une dissuasion effective contre un acte aussi grave que le viol, qui met en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la vie privée, appelle des dispositions pénales efficaces. Compte tenu du consensus existant entre les États contractants, la Cour (…) considère que tout acte sexuel non consenti doit être incriminé et réprimé de façon effective, y compris lorsque la victime n’a pas opposé de résistance physique » (§134). Ces pressions européennes ont participé à la démarche entreprise de réformer l’incrimination du viol.

Quelle est la nouvelle définition du consentement dans l’incrimination de viol ?

Le Conseil d’État a rendu un avis relatif à la proposition de loi, le 6 mars 2025, dans lequel il validait le principe d’intégrer la notion de consentement dans l’incrimination du viol et des agressions sexuelles, tout en proposant une nouvelle formulation. Cette dernière a été reprise dans le texte final adopté. Ainsi, le viol et les agressions sexuelles seront désormais précédées d’un article 222-22 du code pénal, profondément modifié, dont la rédaction sera la suivante :

« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle, tout acte sexuel non consenti commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur ». Puis, seront insérés deux alinéas exposant :

« Le consentement est libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable. Il est apprécié au regard des circonstances. Il ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime.

Il n’y a pas de consentement si l’acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature ». La loi expose donc clairement les caractères du consentement et rappelle que, conformément à l’ancien dispositif normatif, la violence, la contrainte, la menace ou la surprise demeurent des moyens de coercition qui, lorsqu’ils sont employés par l’agent, démontreront toujours le défaut de consentement. La loi est donc novatrice dans la définition du consentement tout en maintenant les acquis d’une jurisprudence développée depuis de nombreuses années.

Quelles perspectives après cette réforme ?

La nouvelle loi offre des perspectives significatives pour mieux saisir le défaut de consentement en matière de viol et d’agression sexuelle. Cependant, cette réforme législative seule ne suffira pas à garantir une lutte efficiente contre les violences sexuelles. D’autres outils devront la compléter.

Ainsi, le 24 septembre 2025, le Haut Conseil à l’Égalité a rendu public son rapport intitulé : « Mettre fin au déni et à l’impunité face aux viols et agressions sexuelles », qui dresse la liste de 61 recommandations visant à lutter plus efficacement contre les violences sexuelles. Ce rapport révèle que les efforts à déployer sont encore nombreux, que ce soit pour renforcer la prévention notamment par l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité (EVARS), et pour améliorer la situation des victimes tout au long du parcours judiciaire afin de réduire le risque de victimisation secondaire, pointé par la Cour EDH. Ces efforts doivent aussi s’accompagner d’une meilleure prise en charge des auteurs, notamment mineurs. Le rapport « Parcours des mineurs auteurs de violences sexuelles », rendu public le 16 septembre 2025 à la suite de l’audition publique qui s’est déroulée en juin dernier, sous l’égide de la Fédération Française des CRIAVS, recense 45 propositions dédiées à mieux prévenir et accompagner les auteurs mineurs afin de juguler le risque de récidive.

La lutte contre le viol et les agressions sexuelles doit donc se poursuivre activement, en investissant des champs allant de la prévention à la répression. La loi votée le 29 octobre est donc une avancée importante, un premier pas qui doit se poursuivre par de nombreux autres.

Retrouvez ici le dossier du Club des juristes sur l’introduction de la notion de non-consentement dans la définition pénale du viol.