Est-il contraire à la Constitution de limiter aux seuls cirques itinérants l’interdiction de détenir des animaux ?
Dans une décision rendue le 14 février 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de la loi interdisant la détention d’animaux par les cirques itinérants. L’association One Voice, à l’origine de la QPC, critiquait la limitation de l’interdiction aux seuls établissements itinérants et invitait le Conseil à consacrer deux principes de protection de l’animal.

Par Olivier Le Bot, Professeur de droit public à Aix-Marseille Université, DICE
Que demandait One Voice ?
L’association animaliste One Voice, qui est une habituée des prétoires et a fait de l’action contentieuse l’un de ses moyens d’action privilégiés, critiquait une disposition du code de l’environnement prévoyant qu’à compter du 1er décembre 2028, « Sont interdits, dans les établissements itinérants, la détention, le transport et les spectacles incluant des espèces d’animaux non domestiques » (Paragraphe II de l’article L. 413-10 du code de l’environnement, créé par la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes). L’association ne critiquait pas le principe même de cette interdiction, à laquelle elle est tout à fait favorable, mais sa limitation aux seuls cirques itinérants. Elle estimait que le législateur s’était arrêté en chemin – juridiquement, qu’il avait commis une incompétence négative – en s’abstenant d’inclure dans son champ d’application les établissements fixes présentant également au public des animaux sauvages (pour ces derniers, l’article L. 413-11 du code de l’environnement, issu de la même loi, a seulement prévu de rehausser les exigences relatives aux conditions de détention de ces animaux au niveau de celles applicables aux zoos).
Pour soumettre cette disposition au Conseil constitutionnel, l’association a formé devant le Conseil d’État un recours en annulation contre un arrêté ministériel relatif au certificat de capacité que doivent détenir les propriétaires d’établissements de présentation au public d’animaux sauvages, en présentant accessoirement à celui-ci une question prioritaire de constitutionnalité. Cette QPC soulevant une question nouvelle, elle a été renvoyée au Conseil constitutionnel.
Elle soulevait un double enjeu, portant sur le point de savoir s’il existe au sein du bloc de constitutionnalité une voire plusieurs normes de protection de l’animal, et si la disposition législative contestée respecte la Constitution.
Existe-t-il un principe constitutionnel de protection de l’animal ?
Il ne fait guère de doute qu’à la différence de certains pays comme l’Allemagne, le Luxembourg, le Brésil ou l’Inde, aucun article de notre Constitution ne comporte de disposition consacrant de façon expresse une obligation de protection des animaux. Était-il néanmoins possible, comme le faisait valoir l’association requérante, de reconnaître une telle obligation par le truchement de l’interprétation jurisprudentielle ?
Le premier fondement invoqué à cette fin tenait au principe de la dignité de la personne humaine, regardé par l’association comme incluant la dignité de l’animal. Elle soutenait l’existence d’un « principe de dignité de tous les êtres vivants doués de sensibilité » découlant du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Le principe de dignité de la personne humaine fait sans conteste partie des normes constitutionnelles, ce sur la base du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (« Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine (…) »), ainsi que l’a reconnu le Conseil constitutionnel en 1994. Toutefois, par sa formulation même, ce principe se limite à la personne humaine, raison pour laquelle, afin de ne pas le dénaturer, le Conseil refuse de l’étendre aux animaux.
Le second fondement avancé par l’association reposait sur la technique des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». En un mot, les PFRLR constituent une catégorie juridique qui permet au Conseil constitutionnel de reconnaître un principe à valeur constitutionnelle à partir d’un texte législatif d’un régime républicain antérieur à celui de la Ve République. Par exemple, le principe d’indépendance de la juridiction administrative a été reconnu comme PFRLR sur la base d’une loi de 1872. De la même manière, l’association invitait le Conseil constitutionnel à se baser sur la loi Grammont du 2 juillet 1850 réprimant le fait d’exercer publiquement et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques, pour ériger en PFRLR un principe « interdisant d’exercer publiquement des mauvais traitements envers les animaux ». Le Conseil estime toutefois que les conditions de reconnaissance d’un tel principe ne sont pas satisfaites, les dispositions de la loi Grammont n’ayant « eu ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe applicable à tous les animaux ». En d’autres termes, le Conseil y voit plutôt une règle spécifique, ne présentant pas un degré de généralité suffisant dans la mesure où elle s’est toujours appliquée à un seul type d’animaux, en l’occurrence les animaux domestiques à l’exclusion des animaux sauvages.
En l’état, la Constitution n’est donc pas regardée comme comportant un principe constitutionnel de protection de l’animal, ce qui n’empêche toutefois nullement l’existence d’un contentieux constitutionnel animalier. Par le passé, le Conseil constitutionnel a par exemple eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de la corrida (n° 2012-271 QPC), de la construction d’arènes pour les combats de coqs (n° 2015-477 QPC), de l’indemnisation des dégâts causés par les animaux sauvages (n° 2021-963 QPC et n° 2021-964 QPC) ou encore de la loi encadrant l’implantation des clôtures pour permettre la circulation de ces derniers (n° 2024-1109 QPC).
L’inapplication de l’interdiction aux établissements fixes est-elle inconstitutionnelle ?
Le Conseil constitutionnel estime que non, traiter de façon différente les établissements selon qu’ils présentent un caractère fixe ou itinérant n’étant pas jugé contraire au principe d’égalité. Il relève qu’en ciblant uniquement les cirques itinérants, le législateur a entendu prendre en compte les « souffrances animales résultant spécifiquement des déplacements auxquels ils sont exposés ». Autrement dit, si les deux types d’établissements génèrent les mêmes types de souffrances aux animaux en raison de leur enfermement et du dressage auquel ils sont soumis, les établissements itinérants provoquent, en plus, des souffrances spécifiques liées aux déplacements. Les deux établissements se trouvant, sur ce point, dans une situation différente, le Conseil en déduit que le législateur avait tout loisir pour les traiter de façon différente.
Aucun des autres moyens soulevés n’étant regardé comme fondé, le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition contestée conforme à la Constitution.