Scrutin proportionnel aux législatives : les enjeux pratiques… et politiques
Le débat sur le passage à la représentation proportionnelle pour les élections législatives est récurrent tout au long de la Ve République puisque, en 1958, le scrutin majoritaire à deux tours a été délibérément choisi. Si les vertus présumées du scrutin proportionnel sont régulièrement rappelées, on oublie que ses modalités peuvent être très diverses et que les enjeux d’un changement de mode de scrutin sont aussi évidemment partisans.
Par Anne Levade, Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Quels sont les termes du débat de principe concernant le passage du scrutin majoritaire à deux tours à un mode de scrutin proportionnel ?
Il faut d’abord rappeler qu’un mode de scrutin n’est qu’une technique par laquelle on convertit des voix – les suffrages exprimés – en sièges au sein d’une assemblée. La représentation proportionnelle est un scrutin de liste dans lequel chaque liste remporte un nombre de sièges proportionnel au nombre de voix qu’elle a obtenu tandis qu’avec le scrutin majoritaire est élu le candidat ou la liste qui a obtenu la majorité des suffrages exprimés.
Dès lors, la représentation proportionnelle est classiquement présentée comme assurant une meilleure représentativité puisque, chaque liste remportant des sièges à due proportion des voix qui se sont portées sur elle, elle serait plus conforme au poids respectif des formations politiques dans l’électorat. En revanche, le scrutin majoritaire favoriserait la constitution d’une majorité parlementaire et, par conséquent, la stabilité gouvernementale et la gouvernabilité du pays.
De plus, les défenseurs de la représentation proportionnelle la présentent comme un remède à la crise que traverse notre démocratie. Aucun parti n’étant en position d’obtenir une majorité absolue des voix et, donc, des sièges, ce mode de scrutin inciterait au compromis en vue de former une coalition de gouvernement et atténuerait en même temps le présidentialisme du régime.
Quels sont les enjeux liés au choix d’une forme spécifique de proportionnelle ?
Là est bien la difficulté car il n’y a pas une, mais des proportionnelles. Le passage à ce mode de scrutin suppose donc de procéder à des choix successifs dont chacun emporte des conséquences.
D’abord, il faut décider de la nature du scrutin. La première option est celle de la proportionnelle intégrale : tous les députés sont élus selon ce mode de scrutin. Mais une seconde option, proposée à plusieurs reprises, est celle d’un scrutin mixte dans lequel est introduite une « dose » de proportionnelle. Outre qu’il faut alors déterminer la « dose », c’est-à-dire le nombre de sièges concernés, cela peut conduire chaque électeur à voter avec deux bulletins de vote « à l’allemande », ou à voter différemment selon le nombre de députés de la circonscription (comme c’est le cas lors des élections sénatoriales).
Ensuite, il faut choisir la circonscription électorale qui, au moins en théorie, peut être nationale, régionale ou départementale. En dépend la taille des listes candidates puisque, dans la première option chaque électeur aurait à choisir entre des listes de 577 noms. On comprend alors pourquoi les adversaires de la proportionnelle pointent du doigt le risque de déconnexion avec les élus.
Enfin, last but not least,la dernière série de choix porte sur les modalités de calcul du résultat. A partir de quel pourcentage de voix une liste peut-elle avoir des élus ? Y aura-t-il une prime majoritaire ? Et, sans qu’il soit ici possible d’entrer dans le détail, quel sera la méthode de calcul des résultats ?
C’est bien parce que le passage du scrutin majoritaire à la représentation proportionnelle pose autant de questions éminemment techniques que certains proposent aujourd’hui de simplement reprendre le modèle qui a été mis en œuvre pour les élections législatives de 1986 : une proportionnelle intégrale dans le cadre de circonscriptions départementales avec un seuil de représentation fixé à 5 % des voix et un calcul à la plus forte moyenne.
Quels sont les enjeux proprement politiques de ces choix, notamment pour les grands partis, et pour quelles raisons ?
Les formations politiques historiquement favorables à la représentation proportionnelle sont d’abord celles qui s’estiment désavantagées car sous-représentées dans le cadre du scrutin majoritaire. C’est évidemment le cas du Rassemblement National qui se souvient que les élections législatives de 1986 ont été l’occasion de leur première percée électorale. C’est aussi la position du Modem et, plus généralement, des centristes dont l’ADN est de chercher à former des coalitions en élargissant leur socle des deux côtés de l’échiquier politique.
Si les partis politiques de gauche appellent très majoritairement et de longue date à cette réforme du mode de scrutin, la position du Parti socialiste est plus ambivalente. Le passage à la proportionnelle figure dans le programme de tous les candidats socialistes à l’élection présidentielle, mais ce sont les très mauvais sondages de 1985 qui convainquirent François Mitterrand de le mettre en œuvre pour les législatives de 1986.
En revanche, les partis se réclamant de l’héritage gaulliste y sont évidemment résolument hostiles puisque c’est pour rompre avec l’instabilité gouvernementale chronique que ce mode de scrutin avait suscité sous la IVe République qu’il fût décidé, en 1958, de retenir le scrutin majoritaire à deux tours.