Par Maylis Douence, Maître de conférences HDR en droit public à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UMR TREE CNRS UPPA 6031)

Quel est le contexte dans lequel intervient ce texte ?

Cette proposition de loi consensuelle portée par 309 des 348 sénateurs ne tombe pas du ciel. Elle fait suite à des réflexions et travaux antérieurs, notamment de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat (rapports d’informations : Les indemnités des élus locaux, 16 nov. 2023 ; Faciliter l’exercice du mandat local, 14 déc. 2023 ; Les enjeux de la fin de mandat, 14 déc. 2023), et à l’élaboration ou l’adoption d’autres textes (proposition de loi dite Spillebout-Jumel, portant réforme du statut de l’élu local, déposée à l’Assemblée nationale le 6 fév. 2024 ; loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux).

Elle part surtout d’un constat qui n’est pas nouveau : le métier d’élu local, et particulièrement de maire, est difficile et ses conditions d’exercice se sont singulièrement durcies. Bien avant les élections municipales de 2020, élus, médias, chercheurs s’inquiétaient d’une crise des vocations dont l’explication était trouvée dans l’augmentation considérable des risques pour les élus et la multiplication des faits de violence à leur encontre.

La loi dite Engagement et Proximité du 27 décembre 2019 avait déjà été pensée pour y remédier : pour encourager les citoyens à s’engager dans la vie publique, elle contenait des mesures visant à mieux articuler exercice du mandat, activité professionnelle et vie personnelle et familiale. Las ! Cela n’a, semble-t-il, pas suffit puisque le nombre de démissions de maires a notablement augmenté sous l’actuel mandat. Énonçant qu’au 31 janvier 2024, plus de 4 % des maires élus en 2020 ont démissionné depuis le début de leur mandat, la proposition de loi adoptée au Sénat se fonde sur ce constat d’une dégradation continue des conditions d’exercice des mandats et sur l’urgence à éviter une crise de l’engagement local.

Que prévoit le texte adopté au Sénat ?

La volonté du législateur d’adopter un statut de l’élu local n’est pas nouvelle. La loi Defferre du 2 mars 1982 l’annonçait déjà dans son article 1er. Depuis lors, cette expression de « statut » est couramment employée alors même qu’il n’existe rien de comparable au statut général des fonctionnaires, à leurs droits et obligations désormais insérés dans le Code général de la fonction publique. Les dispositions relatives aux élus locaux sont, elles, éparpillées dans différents codes (principalement code électoral, code général des collectivités territoriales, code du travail, code de la fonction publique) et textes non codifiés. Tout au plus existe-t-il une « charte de l’élu local », à l’article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales, qui énonce pour l’essentiel des principes déontologiques.

La proposition de loi sénatoriale vise donc à instaurer un « véritable » statut de l’élu local en agissant sur plusieurs plans : la revalorisation des indemnités de fonction des exécutifs locaux (ainsi que l’amélioration du régime de retraite et l’assouplissement de la prise en charge des congés maladie, maternité ou paternité), l’amélioration des conditions matérielles d’exercice du mandat (prise en charge des frais de transport et de représentation, des frais de garde et d’assistance), la réforme du congé pour candidature et des autorisations d’absence pendant le mandat, la création d’un statut de l’élu étudiant, le renforcement de la formation des candidats et des élus locaux à leurs missions, la facilitation du congé formation et de la validation des acquis de l’expérience pour l’après-mandat, parallèlement à l’élargissement de l’allocation différentielle de fin de mandat. Le texte comporte également des dispositions visant à limiter le risque pénal pour les élus (notamment face à la prise illégale d’intérêt) et à permettre l’octroi automatique de la protection fonctionnelle aux élus victimes de violence.

L’enjeu de ce « véritable » statut de l’élu local étant aussi de lui donner de la visibilité auprès des élus locaux qui sont souvent mal informés de leurs droits et obligations, le texte prévoit également que le ministre chargé des collectivités territoriales adopte par voie de circulaire un « Statut de l’élu local » rassemblant l’ensemble des dispositions statutaires applicables aux titulaires d’un mandat électif local.

Comment la procédure parlementaire va-t-elle être relancée ?

Déposée au Sénat en janvier 2024, le texte a été examiné en commission des lois en février puis en séance publique en mars et définitivement adoptée le 7 mars 2024. Dès le lendemain, il a été transmis à l’Assemblée Nationale par le président du Sénat (texte n°2313). Or, la dissolution de l’Assemblée annoncée le 9 juin a entrainé l’interruption de tous les travaux législatifs en cours. En juillet 2024, aussitôt qu’a été désignée la présidente de l’assemblée nouvellement élue, le président du Sénat lui a, à nouveau, transmis le texte (texte n°136). Dans le respect de la procédure parlementaire, ce dernier a été renvoyé à la commission des lois. Mais, jusqu’à présent, aucun rapporteur n’a été désigné au sein de celle-ci pour examiner le texte avant sa discussion en séance publique.

Lors de son discours au Congrès des maires (à 42 min.), le Premier ministre Michel BARNIER a saisi l’occasion de relancer ce sujet très attendu. Il a affirmé sa volonté de « remettre en chantier le statut de l’élu ». Or, quoi de plus simple, plutôt que d’élaborer un nouveau projet de loi, que de repartir du texte déjà adopté et dont la première signataire était Mme Françoise GATEL alors sénatrice et aujourd’hui membre du gouvernement en tant que ministre déléguée auprès de la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation ? Cela n’empêchera pas le gouvernement de pouvoir apporter des amendements, par exemple pour ajouter les propositions complémentaires issues de la proposition Spillebout-Jumel, elle aussi transpartisane. Le Premier ministre a donc annoncé un débat à l’Assemblée en février 2025 dans le but de consacrer « un statut de l’élu en bonne et due forme, qui figurera en tête du Code général des collectivités territoriales ».

Si ce projet recueille l’assentiment de la majorité des élus, un risque pourrait se faire jour quant à l’adoption future du texte : adjoindre à sa discussion celle d’autres mesures, telles que l’extension du scrutin de liste aux communes de moins de 1 000 habitants, la réduction de la taille des conseils municipaux ou la réforme de l’interdiction du cumul des mandats, pourrait parasiter cette belle unanimité.