Par Evan Raschel, Professeur à l’Université Clermont Auvergne, Directeur du Centre Michel de l’Hospital (UR 4232)

Qui apprécie ce qui est ou non antisémite, et en fonction de quels critères ?

La définition de ce qui est raciste et antisémite est très délicate. Politiquement, mais aussi juridiquement. Ce sera finalement au juge de le déterminer, en fonction du contenu même de l’affiche (image et textes) mais aussi de son contexte (V., le refusant au cas d’espèce en matière de diffamation : Crim. 25 juin 2024, n° 23-81808, inédit, § 8). Par exemple, un salut nazi devant des photographies d’Hitler et de Mussolini a été considéré comme constitutif d’une injure antisémite (TJ Paris, 24 mai 2024 : Légipresse 2024, n° 428, p. 466). Cette affaire démontre que les critères du caractère raciste d’une expression sont malléables. En tous les cas, la seule circonstance que la victime appartient à une catégorie protégée (race, ethnie, religion, nation…) ne suffit certainement pas à retenir son caractère discriminatoire. Ce qui doit être pris en compte, c’est un « lien de causalité » (E. Dreyer, Droit de la communication, LexisNexis, coll. Manuel, 2e éd., 2022, n° 1408) qui, dans l’esprit de l’auteur des propos litigieux, unit le fait imputé à la victime et son appartenance catégorielle.

Tel est l’objet des questions relatives à l’affiche de LFI représentant Cyril Hanouna : au-delà de la critique qui le vise en tant que particulier (visage agressif, qualifié de relais de l’extrême-droite…), Cyril Hanouna a-t-il été ciblé en raison de son appartenance à la communauté juive ? C’est ce que semble induire l’image elle-même, qui s’inspire très largement, et objectivement, de l’iconographie antisémite classique, y compris de celle qui se diffusa largement en Europe dans la première moitié du XXème siècle.

Une intention antisémite doit-elle être spécialement rapportée ?

Les infractions d’injures, diffamations et provocations à caractère raciste sont des infractions intentionnelles. Sous cet aspect, l’intention est souvent déduite des faits. La Cour de cassation est même allée jusqu’à affirmer, au visa de l’article 33, alinéa 2 de la loi de 1881 (injures envers particuliers), que « les expressions outrageantes, termes de mépris ou invectives sont réputés de droit prononcés avec une intention coupable » (Crim. 10 mai 2006, n° 05-82971, inédit). Les relaxes pour défaut d’intention sont donc rarissimes, mais pas inexistantes. Refusant de renvoyer une QPC au Conseil constitutionnel sur ce point, la chambre criminelle précisa qu’évidemment « la présomption d’imputabilité de l’élément moral de l’infraction à l’auteur des propos incriminés, qui est inhérente aux dispositions en cause, est dépourvue de tout caractère irréfragable » (Crim. 21 juin 2011, n° 11-90046, inédit). Ainsi, une société avait assigné au titre de l’injure publique les responsables du moteur de recherche Google à la suite de l’apparition, lors de la saisie du nom de la société du terme « escroc » parmi les suggestions proposées. La Cour de cassation censura l’arrêt ayant condamné la société Google : « la fonctionnalité aboutissant au rapprochement critiqué est le fruit d’un processus purement automatique dans son fonctionnement et aléatoire dans ses résultats, de sorte que l’affichage des « mots-clés » qui en résulte est exclusif de toute volonté de l’exploitant du moteur de recherche d’émettre les propos en cause ou de leur conférer une signification autonome au-delà de leur simple juxtaposition et de leur seule fonction d’aide à la recherche » (Civ. 1re, 19 juin 2013, n° 12-17591, Bull. civ., I, n° 130 ; Crim. 10 janv. 2017, n° 15-86019, Bull.). Cette solution n’est pas inintéressante, dans la mesure où l’affiche représentant Cyril Hanouna aurait été réalisée grâce à l’intelligence artificielle (IA). Il reste que la décision de publication a été prise au sein de la direction du parti, qui doit l’assumer : il ne semble pas que la solution de l’arrêt qui vient d’être cité puisse ici s’appliquer. Que l’affiche ait été faite avec l’appui de l’IA, c’est un fait, mais elle a ensuite été publiée en connaissance de cause. Signalons enfin que le fait que l’affiche ait été finalement retirée ne change rien à la caractérisation de l’infraction.

Qui risque d’être condamné, le parti lui-même ou ses dirigeants ?

La responsabilité pénale des personnes morales est inapplicable en matière d’infractions de presse (article 43-1 de la loi du 29 juillet 1881). Le parti politique concerné ne saurait donc être poursuivi pénalement. En revanche, ses dirigeants peuvent l’être. Il s’agit plus précisément de respecter le système original de responsabilité en « cascade » institué par les articles 42 et 43 de la loi de 1881, et applicable à la presse écrite et à l’édition, mais également aux tracts militants (Crim. 11 déc. 2018, n° 18-80220, inédit), aux professions de foi des politiques (Crim. 2 mars 2004, n° 03-82549, inédit) ou aux affiches. Ces articles instituent comme auteur principal de l’infraction, le directeur de publication. Il a pu s’agir, pour un tract par exemple, du secrétaire départemental d’un syndicat (CA Toulouse, 3e ch. corr., 8 mars 2010, JurisData n° 2010-005622), et pour des affiches placardées dans l’enceinte d’un syndicat de magistrats (affaire du « Mur des cons »), de la présidente du syndicat (Crim. 12 janv. 2021, n° 20-80372, inédit). A défaut de directeur de publication spécialement identifié, la responsabilité pourrait ici remonter jusqu’à la présidence du parti LFI.

Au-delà de l’injure antisémite, l’utilisation du visage de Cyril Hanouna est-elle licite ?

Au titre du droit au respect de la vie privée (article 9 du Code civil), le droit à l’image est également protégé. L’image peut encore être issue d’un dessin représentant la personne, d’une caricature ou encore d’un montage (E. Raschel, Droit de la presse. La sanction des abus de la liberté d’expression : Dalloz, coll. Précis, 1ère éd., 2025, § 329). Notons encore que « Toute personne, quel que soit son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée » (Civ. 1re, 23 oct. 1990, n° 89-13163, Bull. civ., I, n° 222). Les célébrités comme Cyril Hanouna ont donc également droit à la protection de leur image, et plus généralement doivent avoir une « espérance légitime » de protection et de respect de leur vie privée (CEDH, 3e sect., 24 juin 2004, Von Hannover c/ Allemagne, n° 59320/00, § 69). Les atteintes à l’image ne peuvent être légitimées que si la personne l’autorise, ou à défaut, si elles sont justifiées par la liberté d’information du public.

C’est sur ce fondement du droit à l’image que le tribunal judiciaire de Nanterre, saisi en référé, a condamné le 21 mars LFI à 3500 euros de dommages-intérêts et a interdit la reproduction sur tout support de l’affiche. Le parti a annoncé interjeter appel. Par ailleurs, un procès pénal devrait se tenir sur les fondements précités (injure publique à caractère raciste) : l’affiche litigieuse n’a donc pas fini de faire parler d’elle…