Crise politique et reports d’élections : quelles hypothèses ?
Au regard de la crise politique actuelle, des interrogations se font jour sur le report potentiel des élections municipales, tandis que la question est brûlante pour les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. Quelles sont les différentes hypothèses, et à quel point sont-elles plausibles ?
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Par Romain Rambaud, Professeur de droit public à l’Université Grenoble-Alpes
La crise politique actuelle pourrait-elle entraîner le report des prochaines élections (élections municipales, élections provinciales pour la Nouvelle Calédonie, etc.) ?
La réponse n’est pas unique. Tout dépend sur le plan juridique de ce que l’on entend par crise politique : démission du Président de la République et élection présidentielle anticipée ? Dissolution de l’Assemblée Nationale ? Et de quelles élections on parle : élections municipales des 15 et 22 mars 2026 (décret n° 2025-848 du 27 août 2025 fixant la date du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers métropolitains de Lyon, des conseillers de Paris et des conseillers d’arrondissement de Paris, Lyon et Marseille et portant convocation des électeurs) ou élections provinciales de Nouvelle-Calédonie, qui devaient se tenir à la fin du mois de novembre ?
Il faut partir du cadre constitutionnel applicable. Sur la question du report des élections, le Conseil constitutionnel estime (pour les élections parlementaires, v. par ex. Cons. const., 9 mai 2001, n° 2001-444 ; 15 déc. 2005, n° 2005-529 DC ; les élections locales, v. Cons. const., 6 juill. 1994, n° 94-341 DC ; 16 mai 2013, n° 2013-667 DC ; les élections des Français établis hors de France, v. Cons. const., 6 juin 2013, n° 2013-671 DC ; les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, v. infra), que le législateur est libre de le faire sous réserve d’une part de ne pas méconnaître des principes constitutionnels au premier rang desquels la périodicité du suffrage, et d’autre part de ne pas faire d’erreur manifeste par rapport aux objectifs d’intérêt général qu’il poursuit. Le Conseil constitutionnel ne disposant pas du même pouvoir d’appréciation que les membres du Parlement, il n’exerce en général qu’un contrôle limité à double détente (sur ce point, la décision du Conseil constitutionnel sur le report du 2nd tour des élections municipales à cause du Covid fait office d’exception, v. Cons. const., n°2020-849 QPC du 17 juin 2020). Suivant ce cadre, il convient de distinguer selon les situations, sachant qu’aujourd’hui, une difficulté supplémentaire est de savoir si, au moment où on réfléchit, le Gouvernement est ou non démissionnaire !
Quid en cas de démission du Président de la République et d’élection présidentielle anticipée ?
S’agissant d’une élection présidentielle anticipée, il serait juridiquement possible d’envisager l’adoption d’un projet de loi — si le gouvernement n’a pas démissionné — ou d’une proposition de loi visant à reporter les élections municipales.
En effet, il est de coutume de reporter les élections municipales et plus largement locales lorsque celles-ci tombent en même temps qu’une élection présidentielle : c’est ainsi que les élections municipales de 1995 ont été reportées de trois mois pour ne pas être concomitantes à l’élection présidentielle et qu’une fin de mandat avait été prévue en 2001 pour éviter la concomitance avec l’élection présidentielle de 2002 (Cons. const., 6 juill. 1994, n° 94-341 DC), les élections municipales et cantonales de 2007 ont été reportées à 2008 (loi n° 2005-1563 du 15 décembre 2005 prorogeant la durée du mandat des conseillers municipaux et des conseillers généraux renouvelables en 2007), et les prochaines élections départementales et régionales qui auraient normalement dû se dérouler en 2027 ont d’ores et déjà été reportées en 2028 par la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique. Ce sera aussi probablement le cas au demeurant des élections municipales en 2032 si l’élection présidentielle a lieu comme prévu en 2027 : elles seront probablement reportées en 2033.
Dans cette hypothèse, il convient d’adopter une loi, car la loi prévoit que les élections municipales ont lieu en mars et que le mandat des conseillers municipaux dure 6 ans (article L. 227 du code électoral). Or nous y sommes. Le Conseil constitutionnel n’exerçant qu’un contrôle restreint sur ces lois, se contentant d’un intérêt général et de vérifier que la périodicité du suffrage n’est pas méconnue, de ce point de vue un report des élections municipales de quelques mois ou d’un an ne serait pas problématique. Même si ce n’est pas la pratique en période de temps calme, il semble possible juridiquement que le Parlement adopte en urgence une loi de report alors qu’une élection présidentielle va être organisée, pendant que le Président du Sénat assure l’intérim.
Reste la question de savoir si un tel report des élections municipales devrait avoir des effets sur les élections sénatoriales de la série 2 de septembre 2026. Une loi organique pourrait être adoptée pour reporter ces élections sénatoriales pour faire en sorte que ces sénateurs ne soient pas élus en majeure partie par des élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal (v. Cons. const., n°2005-529 DC, 15 décembre 2005).
Quid en cas de dissolution ?
Concernant la dissolution, la réponse semble assez différente !
En effet, l’adoption d’une loi est normalement requise (article L. 227 du code électoral). Or, encore faut-il qu’une telle loi puisse être adoptée pour reporter les élections municipales. C’est précisément là que réside la difficulté en cas de dissolution de l’Assemblée nationale sur le fondement de l’article 12 de la Constitution : par définition, une fois l’Assemblée dissoute, il n’est plus possible d’adopter une loi avant la proclamation des résultats des élections législatives et la réunion de la nouvelle Assemblée nationale.
Ensuite, une fois l’Assemblée Nationale reconstituée, il n’y aurait plus de raison de reporter les élections municipales, puisque les élections législatives auraient déjà eu lieu… Sauf à trouver une majorité en un temps très court à l’Assemblée Nationale et si possible au Sénat et à rechercher un nouveau motif d’intérêt général que le Conseil constitutionnel validerait. Ce n’est pas totalement exclu, mais n’est pas l’hypothèse la plus probable…
Sauf à imaginer qu’on envisage un report des élections municipales… au nom d’une dissolution annoncée plusieurs semaines à l’avance !
Il est d’ailleurs douteux que l’on puisse estimer que dans ce cas de figure la théorie des circonstances exceptionnelles pourrait jouer, comme ce fut le cas pour le report du 2ème tour de l’élection municipale de 2020 par le décret n° 2020-267 du 17 mars 2020, qui fut adopté avant la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19…
Ainsi, pour ce qui concerne l’hypothèse de la dissolution de l’Assemblée Nationale et le report des élections municipales, on atteint probablement les limites du droit fiction.
Et quid des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie ?
Il s’agit là d’une question immédiate. Les élections provinciales ont déjà été reportées deux fois, par la loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024 portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (en décembre 2024), jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2024-864 DC du 11 avril 2024, pour tenir compte de la réforme envisagée du corps électoral, puis par la loi organique n° 2024-1026 du 15 novembre 2024 visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2024-872 DC du 14 novembre 2024, au nom de la situation de crise sur l’île. Les élections provinciales doivent en l’état du droit normalement se tenir au plus le 30 novembre 2025. La durée du mandat a ainsi été étendue de 18 mois, pour une durée normale de mandat de 5 ans (art. 62 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie).
Il y a urgence : l’article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit que « Les électeurs sont convoqués par décret pris après consultation du gouvernement. Le décret est publié au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie quatre semaines au moins avant la date du scrutin ».
Une proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie pour permettre la mise en œuvre de l’accord du 12 juillet 2025 a été déposée au Sénat le 13 août 2025, et votée par lui le 15 octobre 2025. Elle prévoit de reporter les élections au plus tard le 28 juin 2026. Elle a été transmise à l’Assemblée Nationale avec procédure accélérée. Si celle-ci l’adopte dans les mêmes termes avant fin octobre, elle pourra être adoptée dans les temps.
Reste à savoir ce qu’en pensera le Conseil constitutionnel dans le cadre de son contrôle obligatoire des lois organiques, alors qu’il vient de valider le corps électoral gelé des élections provinciales « sans préjudice des modifications qui pourront être apportées aux dispositions transitoires définissant ce corps électoral, dans le cadre du processus d’élaboration de la nouvelle organisation politique prévue au point 5 de l’accord de Nouméa, pour tenir compte des évolutions de la situation démographique de la Nouvelle-Calédonie et atténuer ainsi l’ampleur qu’auront prise avec l’écoulement du temps les dérogations aux principes d’universalité et d’égalité du suffrage » (Cons. const., décision n° 2025-1163/1167 QPC du 19 septembre 2025, § 24). La difficulté, en la matière, est de réaliser la conciliation entre le principe de périodicité du suffrage, soit une extension de 25 mois en l’espèce, et l’intérêt général de la réforme du corps électoral de l’autre côté, qu’il semble assez difficile de garantir dans le contexte politique actuel, puisqu’elle doit prendre le chemin d’une révision constitutionnelle…
Dans une décision antérieure relative aux membres de l’Assemblée des Français à l’étranger, le Conseil constitutionnel a accepté une deuxième prolongation de la durée des mandats, de deux ans au total, au nom d’une réforme en cours sans subordonner la prorogation des mandats à l’entrée en vigueur de la réforme en discussion (Cons. const., décision n° 2013-671 DC du 6 juin 2013). Il pourrait donc accepter, de manière assez inédite, une triple prolongation sur ce fondement. Si cela devait être le cas, il faudrait espérer que ce soit pour la dernière fois ; et de ce point de vue, un obiter dictum ne serait pas de trop…