Affaire des assistants parlementaires du Front National : le procès en appel se tiendra du 13 janvier au 12 février 2026
Rarement une date d’audience aura été autant attendue, tant ses conséquences sur la vie politique française sont déterminantes. Le 31 mars 2025, Marine Le Pen a été condamnée pour détournement de fonds publics à quatre ans de prison, dont deux fermes, et à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Le procès en appel se tiendra finalement du 13 janvier au 12 février 2026, soit un peu plus d’un an avant l’élection présidentielle.
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Par Marthe Bouchet, Professeur de droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord
Que peut-on dire de la date choisie ?
La prévenue bénéficie dans cette affaire d’un traitement inédit et très spécifique. Immédiatement après la décision rendue en première instance, la Cour d’appel de Paris a publié un communiqué de presse pour annoncer examiner le dossier dans des délais qui devraient permettre de rendre une décision à l’été 2026. C’est chose faite puisque l’audience d’appel se tiendra du 13 janvier au 12 février 2026, ce qui permettra, si l’on compte environ quatre mois de délibéré, qu’une décision soit rendue en juin 2026. Cette célérité est remarquable : neuf mois seulement se seront écoulés entre la décision rendue en première instance et l’audience d’appel, alors que le délai de traitement des appels est d’ordinaire plus proche des vingt-quatre mois, en raison de l’encombrement des juridictions pénales.
Malgré cela, les critiques des représentants du Rassemblement National, lesquels avaient pourtant ardemment souhaité une telle rapidité, se multiplient car les débats auront lieu pendant la campagne des élections municipales et ils y voient (encore) une décision à coloration politique. Pourtant, si l’on peut comprendre que des considérations électorales et la volonté de ne pas perturber la vie démocratique aient poussé à accélérer le calendrier, on comprendrait difficilement que ce soit le prévenu qui fixe la date d’audience qui l’arrange. Quoi qu’il en soit, à condition que la décision rendue en appel lui soit favorable, la date retenue pourrait permettre à Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle.
À écouter : « Quid Juris » — Et si on déminait l’affaire Le Pen ?
Que peut attendre Marine le Pen de la décision rendue en appel ?
En juin, la cour d’appel pourra classiquement confirmer ou infirmer la condamnation. Si la condamnation est infirmée, Marine Le Pen sera relaxée et pourra sans difficulté se présenter à l’élection présidentielle. En revanche, si la condamnation est confirmée, la question de la peine se posera de nouveau. Concernant la peine d’inéligibilité, l’article 131-26-2 du code pénal prévoit qu’elle est obligatoire en cas de condamnation pour détournement de fonds publics, sauf motivation spéciale du juge. Il faudrait ainsi que la cour d’appel fasse état d’éléments convaincants et spécifiques pour écarter la peine d’inéligibilité. Le risque est donc grand qu’en cas de condamnation, une peine d’inéligibilité soit à nouveau prononcée.
En revanche, son exécution provisoire sera davantage discutée par les juges de la cour d’appel. En principe, en matière pénale, seule une condamnation définitive peut produire ses effets. Ce n’est que par exception que l’article 471 du code de procédure pénale admet l’exécution provisoire de certaines peines, dont la peine d’inéligibilité. L’exécution provisoire entraîne alors l’interdiction immédiate de se présenter à des élections, et la déchéance immédiate des mandats locaux (pour les mandats nationaux, le Conseil constitutionnel attend que tous les recours soient épuisés, v. le récent avis du Conseil d’État sur ce point, n° 409595, 19 juin 2025). Si le Conseil constitutionnel a validé le principe de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, parce qu’elle intervient à la suite d’un « débat contradictoire au cours duquel la personne peut présenter ses moyens de défense », il l’a assorti d’exigences en termes de motivation (Cons. const. 28 mars 2025, n° 2025-1129 QPC). Les juges qui en décident devront précisément « apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur » (considérant n° 17). La cour d’appel devra donc appliquer ces exigences à la situation de Marine Le Pen, ce qui n’était pas le cas dans la décision rendue en premier instance – laquelle avait évoqué « le trouble majeur à l’ordre public démocratique » engendré par la candidature notamment à l’élection présidentielle d’une personne condamnée, possiblement définitivement, à une peine d’inéligibilité – sans mentionner la liberté de l’électeur. Or, cette nécessité de « préserver la liberté de l’électeur » pourrait peut-être faire obstacle à l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. Dans ce cas, et donc en l’absence d’exécution provisoire, Marine Le Pen, bien que condamnée à une peine d’inéligibilité, serait en mesure de se présenter à l’élection présidentielle, tant que sa condamnation n’est pas définitive. A l’inverse, dans l’hypothèse où la cour d’appel estime que la liberté de l’électeur n’est pas perturbée par l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, la cheffe du Rassemblement National pourrait être empêchée de se présenter, sous réserve de l’exercice d’autres voies de recours.
Quels seraient les recours possibles en cas de décision similaire en appel ?
Marine Le Pen pourrait encore former un pourvoi en cassation, à condition qu’un point de droit ait été méconnu en appel. Il lui serait notamment possible d’attendre de la Cour de cassation qu’elle contrôle la motivation de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, ce qu’elle a déjà été amenée à faire dans l’affaire Hubert Falco (28 mai 2025, n° 24-83.556). Certes, la prévenue demeurerait inéligible malgré ce recours, mais le délai de traitement d’un pourvoi en matière pénale étant d’environ six mois, il serait possible qu’une décision de la chambre criminelle soit rendue en fin d’année 2026, soit avant l’élection présidentielle.
Enfin, Madame Le Pen a fait part de sa volonté d’user de toutes les voies de droit possibles. Elle pourra notamment soulever une question prioritaire de constitutionnalité devant la cour d’appel, qui décidera de la transmettre ou non au Conseil constitutionnel. En effet, si ce dernier s’est récemment prononcé sur la peine d’inéligibilité, il l’a fait à l’endroit d’un élu local, ce qui constitue une différence avec la situation de Marine Le Pen, députée et probable candidate à une élection nationale. Cependant, soulever une QPC signifie prendre le risque de prolonger l’inéligibilité et de ralentir, de trois mois au maximum, le calendrier judiciaire de la prévenue, décidément très chargé.