Par Yann Favier, Professeur de droit à l’université Savoie Mont Blanc

Les familles monoparentales : unies dans la précarité ?   

L’idée d’un statut offert aux familles monoparentales part d’un constat : selon l’INSEE, une famille sur quatre est une famille monoparentale – un chiffre en augmentation depuis 2011 – et elles sont davantage touchées par la précarité, particulièrement pour les familles monoparentales maternelles, qui en constituent l’écrasante majorité. Les causes sont connues : hausse constante des séparations parentales, difficultés de recouvrement des pensions alimentaires, problèmes récurrents de garde d’enfant, rémunération des femmes plus faible que celle des hommes, même à compétences ou à qualifications égales… Mais qu’appelle-t-on « famille monoparentale » ? Selon l’INSEE, lorsqu’un parent vit avec ses enfants sans résider en couple, il s’agit d’une famille monoparentale. Encore faudrait-il distinguer : à l’heure où, après séparation, les résidences alternées sont en augmentation (mais minoritaires : environ 12% des enfants dont les parents sont séparés), et concernent davantage de diplômés, cadres ou professions intermédiaires vivant, essentiellement du côté des mères, en famille monoparentale, l’homogénéité statistique et sociale de la catégorie peut faire débat. Ce qui ne fait pas débat en revanche, c’est que la charge de l’enfant après séparation pèse encore largement sur les mères et il n’est pas certain qu’une carte change la donne.

Les familles monoparentales, marqueur de l’inégalité hommes-femmes

Le rapport rappelle que 82 % des familles monoparentales ont une femme à leur tête et 84 % des enfants en famille monoparentale vivent avec leur mère. La monoparentalité n’est pas une parenté unilinéaire : les pères existent et bien souvent exercent l’autorité parentale conjointement avec la mère car c’est le principe en droit français, même après séparation (art.  372 et 373-2 du Code civil).

Mais ce ne sont pas eux qui ont la charge principale de l’enfant après séparation, un événement qui est synonyme de perte de niveau de vie brutal pour les mères, lesquelles assument principalement les difficultés liées à la garde de l’enfant tout en essayant de maintenir (ou de retrouver) leur emploi et d’assurer un logement.

La question est-elle donc de cibler des familles, dont la composition est mouvante, en créant des statuts ou de s’attaquer au problème culturel, social, économique et juridique des inégalités hommes-femmes dans la société et, plus singulièrement, dans la parenté ?

Aux multiples contraintes et freins liés aux discriminations de genre s’ajoutent en effet les difficultés de fixation mais aussi de recouvrement des pensions alimentaires, appelées « contributions à l’entretien de l’enfant ». Le rapport note par exemple une méconnaissance des dispositifs d’aide publique (comme l’intermédiation mise en œuvre par l’agence de recouvrement public : l’ARIPA) et des prestations associées comme l’allocation de soutien familial (ASF), avance ou complément de pension alimentaire au montant insuffisant et au régime parfois dissuasif (le versement de l’ASF est suspendu dès la remise en couple du parent gardien, qu’il s’agisse d’un mariage, d’un pacs ou d’un concubinage). C’est pourquoi le rapport recommande plusieurs mesures sociales et fiscales, comme la défiscalisation des pensions alimentaires pour le parent créancier et la fin de cette sanction pour la remise en couple du parent allocataire de l’ASF.

Un statut pour les familles monoparentales : une fausse bonne idée ?

L’idée d’une carte « famille monoparentalité » suggère un rapprochement avec la célèbre carte « famille nombreuse » aux avantages limités à certaines réductions, principalement en train pour les familles de trois enfants et plus . En droit français, le nombre d’enfants justifie, au profit des parents, le bénéfice de dispositions spécifiques, par exemple en matière d’impôt sur le revenu avec le calcul du quotient familial (à partir du troisième) ou en matière sociale avec la majoration pour enfants pour les droits à la retraite (à partir du quatrième) ou de prestations familiales. Pour autant, il serait difficile de prétendre y voir un statut, juridiquement douteux. En définitive, le faux parallélisme avec les familles dites nombreuses brouille plutôt qu’il ne clarifie une question sociale d’importance : le soutien aux femmes sur lesquelles pèsent encore trop souvent l’essentiel de la charge économique et éducative de leurs enfants après séparation.