Par Antoine Garapon, magistrat et auteur de l’ouvrage « Une autre justice, la voie restaurative » (Editions PUF)

Qu’est-ce que la justice restaurative et pour quels types de crimes peut-elle être mise en place ?

Le nouvel article 10-1 du Code de procédure pénale issu de la loi du Loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales dispose que « constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction et, notamment, à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission ». La loi ne distingue donc pas entre les infractions : aucun crime n’est exclu du champ de la justice restaurative, ce qui me paraît justifié car l’expérience montre que plus les faits sont graves, plus la justice restaurative se révèle efficiente. Rien ne s’oppose à ce qu’un travail de justice restaurative soit tenté avec Salah Abdeslam.

Concrètement, il peut prendre plusieurs formes : celle de rencontres restauratives réunissant des personnes condamnées et des victimes confrontées à des crimes similaires, sans qu’il s’agisse de personnes impliquées dans un même dossier — cette mise en relation permet d’humaniser la vision de l’autre et d’ouvrir un espace de compréhension réciproque ; celle de médiation restaurative mettant directement en présence un auteur et sa victime, lorsque les conditions de sécurité et de consentement le permettent ; celle de cercles restauratifs, davantage utilisés en matière civile ou familiale, qui rassemblent toutes les personnes concernées par un fait, notamment lorsque des situations complexes entravent une dynamique relationnelle. Enfin, le « conferencing », encore peu développé en France mais pratiqué en Australie et en Nouvelle-Zélande, réunit les acteurs d’une situation problématique auxquels s’ajoutent des représentants de la société locale, afin de construire une réponse collective.

Ce qui est commun à toutes ces déclinaisons, c’est une rencontre encadrée et médiatisée par des intervenants spécifiquement formés, avec, le plus souvent, des représentants de la société civile. Leur présence introduit une représentation de la société au sein du processus restauratif.

Que pensez du fait que Salah Abdeslam envisage une démarche de justice restaurative avec des victimes du 13-Novembre ?

Il a exprimé un souhait par l’intermédiaire de son avocat, qui va commencer par travailler avec lui sa demande mais ce n’est que le début d’un long processus (s’il s’avérait qu’il s’agit d’une stratégie de défense, les personnes en charge de monter des rencontres ne tarderaient pas à s’en rendre compte !). Il faut rappeler que, dans le cadre de la justice restaurative, l’auteur doit avoir commencé à reconnaître les faits, sauf à vider la démarche de toute pertinence.

Il faut travailler ensuite l’éventuelle demande des victimes – du moins de certaines d’entre elles, car elles sont très nombreuses.

Dans les exemples étrangers, ces programmes se déroulent généralement en toute confidentialité, loin des médias qui risquent de réveiller les passions.

Le 3 novembre, le parquet national antiterroriste avait adressé un courriel à des associations de victimes et d’aide aux victimes en vue « d’initier, d’encadrer et de structurer des initiatives de justice restaurative en matière terroriste, conformément aux souhaits de certaines associations de victime ou d’aide aux victimes en matière terroriste ».

Cette position du parquet me semble très professionnelle ; elle ne traduit, en tous les cas, ni une banalisation des faits ni un mépris de la souffrance des victimes. Bien au contraire, dans les différents pays qui ont mis en place des programmes de justice restaurative en matière de terrorisme (Italie, Espagne, Belgique, Irlande, par exemple), les victimes y ont pris une part très active et ont témoigné des aspects positifs qu’avaient eus pour elles de tels programmes.

La justice restaurative n’est contraire ni à la prise en compte de la souffrance des victimes ni aux exigences de sécurité : elle constitue, d’une certaine manière, une façon d’achever pleinement le travail de justice.

Faudrait-il à nouveau légiférer pour encadrer spécifiquement la justice restaurative applicable aux actes terroristes ?

Je ne le crois pas, car nous disposons déjà de l’instrument législatif adéquat. Ce qui manque davantage, c’est plutôt d’instiller dans notre société, un peu en retard en ce domaine, une véritable culture de la justice restaurative. Il faut s’en donner les moyens en termes de formation, de soutien aux associations, afin de créer un véritable service public de la justice restaurative. Par exemple, la récente loi italienne confie aux communes la responsabilité d’organiser la justice restaurative, ce qui me semble très opportun, car elle a une évidente dimension civique.

Encore une fois, il n’y a pas de spécificité pour le terrorisme, bien au contraire. Peut-être que cette démarche est facilitée dans le cas du terrorisme idéologique (notamment d’extrême gauche) lorsque l’organisation a cessé d’exister (comme les brigadistes en Italie) ou que les armes se sont tues, comme pour l’ETA en Espagne ou en Irlande du Nord. Dans le cas de la radicalisation islamiste, cela peut être plus difficile, car DAECH n’a pas totalement cessé d’exister, bien au contraire ; mais il ne faut pas l’exclure a priori, comme en témoigne l’exemple belge où de tels programmes sont déjà engagés pour des faits de nature identique.