Condamnation de Nicolas Sarkozy : tout comprendre au mandat de dépôt
Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire dans l’affaire des soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007. Décryptage.
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Par Jean-Baptiste Perrier, Professeur à Aix-Marseille Université, Doyen de la Faculté de droit et de science politique, Président de l’Association française de droit pénal
Qu’est-ce que le mandat de dépôt ?
Le mandat de dépôt est l’un des nombreux mandats prévus par le Code de procédure pénale qui, loin de renvoyer aux autorisations de perquisition de la procédure nord-américaine, permettent de rechercher, d’appréhender ou d’arrêter une personne. S’agissant du mandat de dépôt, la définition est prévue par l’article 122 du Code qui précise de façon très claire que « le juge des libertés et de la détention peut décerner mandat de dépôt » à l’encontre d’une personne « mise en examen et ayant fait l’objet d’une ordonnance de placement en détention provisoire ». Le texte poursuit en indiquant qu’« il est l’ordre donné au chef de l’établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir la personne à l’encontre de laquelle il est décerné. Ce mandat permet également de rechercher ou de transférer la personne lorsqu’il lui a été précédemment notifié ».
Le mandat de dépôt trouve principalement à s’appliquer dans deux situations :
– au cours de l’instruction, comme le prévoit d’ailleurs l’article 122 du Code de procédure pénale, lorsqu’il est délivré par le juge des libertés et de la détention pour permettre la détention provisoire de la personne mise en examen ;
– devant la juridiction de jugement, lorsque celle-ci condamne une personne à une peine d’emprisonnement ferme et qu’elle souhaite que cette peine soit immédiatement exécutée, comme le permet l’article 465 du Code de procédure pénale.
Dans les deux cas, il permet l’appréhension de la personne et son placement en établissement pénitentiaire.
S’agissant du mandat de dépôt prononcé par la juridiction de jugement, la personne doit avoir été condamnée à une peine d’au moins un an d’emprisonnement sans sursis, sauf en cas de comparution immédiate où le mandat de dépôt peut être prononcé quelle que soit la durée de la peine.
Il est sur ce point intéressant de remarquer que ce seuil d’un an a fait l’objet de débats récents : le ministère démissionnaire de la Justice avait envisagé de l’abaisser avec son projet de loi « SURE », afin de renforcer l’exécution des peines d’emprisonnement, laquelle est aujourd’hui contestée.
Autre exigence s’agissant du mandat de dépôt : la décision doit être motivée. Cette exigence vaut tant s’agissant du mandat de dépôt que pour le mandat de dépôt différé. L’on remarque d’ailleurs que dans l’affaire des soupçons de financement libyen, où Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans d’emprisonnement, la décision — près de 400 pages — est dûment motivée.
Loin d’être exceptionnel, le mandat de dépôt s’applique en réalité à une large part des peines d’emprisonnement ferme. Selon les statistiques du ministère de la Justice, en 2023, 58 % des peines prononcées par les tribunaux correctionnels à l’encontre de majeurs ont été mises à exécution immédiatement. Pour les peines prononcées d’un quantum supérieur ou égal à cinq ans d’emprisonnement, cette proportion est de 85 %, ce qui permet de comprendre que, indépendamment de la personne concernée et de l’appréciation de sa situation concrète, la décision du Tribunal correctionnel de Paris est assez conforme à la pratique du mandat de dépôt.
Quelle est la spécificité du mandat de dépôt à effet différé ?
Depuis la loi du 23 mars 2019, une variante du mandat de dépôt a été a été introduite : le mandat de dépôt à effet différé. Ce dispositif vise à éviter l’alternative entre une incarcération immédiate et une exécution repoussée de plusieurs mois, voire années. L’objectif était d’éviter la « violence » de l’incarcération immédiate, la personne condamnée pouvant ainsi se préparer à son incarcération, s’organiser sur le plan personnel et professionnel, sans repousser à une date trop lointaine la mise à exécution de la peine. La logique du mandat de dépôt différé est donc d’être plus favorable que le mandat de dépôt, qu’il permet d’éviter.
L’article 464-2 du Code de procédure pénale prévoit pour cela que le condamné est convoqué « devant le procureur de la République afin que ce dernier fixe la date à laquelle il sera incarcéré dans un établissement pénitentiaire » dans un délai qui ne saurait excéder un mois. À compter de cette convocation, l’incarcération doit intervenir dans un délai maximal de quatre mois.
La principale spécificité du mandat de dépôt à effet différé vis-à-vis du mandat de dépôt est donc ce « rendez-vous » pour exécuter sa peine, dans un délai qui reste bref.
Le mandat de dépôt à effet différé a toutefois un champ d’application plus large, puisque le seuil d’un an, s’agissant de la peine d’emprisonnement ferme prononcée, est abaissée à six mois par l’article 464-2, 3°, du Code de procédure pénale.
Par ailleurs, le mandat de dépôt à effet différé n’est pas sans incidence sur les demandes d’aménagement de peine. En effet, lorsqu’il est prononcé, le tribunal écarte tout aménagement à l’audience, ab initio. De plus, l’article 723-15 du Code de procédure pénale interdit de solliciter un tel aménagement avant la mise à exécution du mandat de dépôt à effet différé, et donc de la peine.
Cela signifie concrètement que la personne concernée doit d’abord être incarcérée avant de pouvoir solliciter une semi-liberté ou d’autres aménagements. La solution peut sembler sévère, mais il faut ici préciser qu’il ne s’agit pas d’une décision des juges, mais des effets du mandat de dépôt à effet différé prévus par la loi du 23 mars 2019, que les juges ne font qu’appliquer.
Enfin, une autre spécificité découle de cette différence vis-à-vis du mandat de dépôt qui conduit à une incarcération immédiate : si l’intéressé conteste la décision de condamnation, par la voie de l’appel, il forme ce recours alors qu’il est détenu dans le cadre d’un mandat de dépôt (et l’appel ne conduit pas à sa remise en liberté), tandis qu’il est libre dans le cadre d’un mandat de dépôt à effet différé, puisque la peine n’est pas encore mise à exécution. La question est alors de savoir qu’elle est l’incidence de l’appel sur cette peine à exécuter mais qui ne l’est pas encore. Pour y répondre, le législateur a prévu que le mandat de dépôt à effet différé pouvait être assorti de l’exécution provisoire, ce qui permet de poursuivre la mise à exécution du mandat de dépôt malgré l’appel formé contre la condamnation prononcée en première instance. Tel a d’ailleurs été le choix fait par le Tribunal correctionnel de Paris, ce qui explique que nonobstant l’appel de Nicolas Sarkozy, le mandat de dépôt à effet différé sera mis à exécution. Dans une telle situation, et afin d’éviter une durée excessive de détention pour l’intéressé qui est encore présumé innocent (ce qui signifie qu’il n’est pas condamné mais seulement soupçonné d’avoir commis une infraction, en raison de charges suffisantes), la cour d’appel doit se prononcer dans un délai de quatre mois, à compter de son incarcération (ce délai peut toutefois être renouvelé).
Quels sont les recours possibles contre un mandat de dépôt ? Et contre un mandat de dépôt à effet différé ?
Par nature, le mandat de dépôt est une mesure d’exécution provisoire, qui n’est pas suspendu par l’appel. La simple déclaration d’appel n’entraîne donc pas une remise en liberté automatique — cela viderait d’ailleurs le mandat de dépôt de son intérêt. Pour bien comprendre cela, il faut rappeler que l’appel constitue un recours contre le jugement et non contre le mandat de dépôt lui-même.
Le seul recours effectif consiste à déposer une demande de mise en liberté (article 148-1 du Code de procédure pénale). Celle-ci peut être présentée dès le premier jour de détention et à tout moment par la personne détenue, au titre de cette détention provisoire prononcée par la juridiction de jugement. Cette demande est examinée par la juridiction d’appel saisie, qui statue avant même d’aborder le fond de l’affaire. Elle dispose d’un délai de deux mois pour se prononcer.
Saisi d’une telle demande, le juge se fonde alors sur les critères classiques de la détention provisoire : le risque de concertation avec les coauteurs, complices ou témoins ; le risque de fuite ; l’appréciation de la personnalité du condamné et de son rapport à la justice etc. Un comportement jugé instable, contradictoire ou belliqueux peut ainsi peser en faveur du maintien en détention.
Si la demande de mise en liberté est rejetée, la personne condamnée peut former un pourvoi en cassation. La Haute juridiction vérifie alors si la cour d’appel a respecté les délais pour statuer et si la décision est correctement motivée sur le plan procédural.
Enfin, une nouvelle demande de mise en liberté peut être présentée dès le rejet de la précédente demande, ce qui permet un réexamen régulier de la situation de la personne détenue.
Dans le cadre d’un mandat de dépôt à effet différé assorti de l’exécution provisoire, les recours envisageables sont les mêmes que pour le mandat de dépôt simple, avec cette précision que la Cour d’appel, lorsqu’elle est saisie de l’appel, ne peut ordonner la mainlevée du mandat de dépôt (comme l’a rappelé la Cour de cassation dans une décision du 27 mai 2025, n° 25-81.970). Cette impossibilité s’explique par la différence de régimes de ces deux mandats, mais aussi par le fait que, lorsque la Cour d’appel est saisie de l’appel d’une décision assortie d’un mandat de dépôt à effet différé, celui-ci n’a pas encore été mis à exécution (et en cas d’appel, il faut pour cela qu’il soit assorti de l’exécution provisoire), de telle sorte qu’il n’y pas de remise en liberté à envisager.
La principale spécificité du mandat de dépôt à effet différé, c’est à nouveau la date à partir de laquelle il commence à s’exécuter. Ainsi, une fois que la personne condamnée en première instance est incarcérée, la demande de remise en liberté est le seul recours possible contre cette détention, une fois qu’elle est mise à exécution.
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