Nicolas Sarkozy, un justiciable comme les autres ?
Nicolas Sarkozy a été maire, ministre, dirigeant de parti politique et, surtout, président de la République de 2007 à 2012, avant de devenir membre du Conseil constitutionnel. Alors que la Cour de cassation doit se prononcer mercredi 26 novembre sur le pourvoi formé par l’ancien chef d'État dans l’affaire Bygmalion, ses fonctions passées sont-elles sans incidence ?
Publié le
Par Stéphane Detraz, Maître de conférences, Université Paris-Saclay, faculté Jean Monnet
Nicolas Sarkozy est-il pénalement responsable comme n’importe quel justiciable ?
Un président ou un ancien président de la République n’est pas, sur le plan pénal, un justiciable ordinaire : des règles particulières, de forme et de fond, s’appliquent à sa responsabilité pénale.
D’une part, tant qu’il est en fonctions, le chef de l’État ne peut faire l’objet de poursuites (article 67, alinéa 2, de la Constitution). Seuls peuvent être inquiétés, à raison de l’infraction qu’on serait tenté de lui reprocher, ses éventuels coauteurs ou complices. Ainsi, lorsque son mandat est en cours, le seul moyen pour juger le président de la République est de le destituer préalablement (article 68 de la Constitution). Mais la destitution n’est possible qu’en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », ce qui suppose davantage que la commission d’une infraction pénale quelconque.
D’autre part, à l’issue de son mandat, l’ancien chef de l’État continue de bénéficier de la règle selon laquelle « le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité » (article 67, alinéa 1er, de la Constitution). En effet, cette immunité, qui s’applique à l’intéressé dès sa prise de fonctions, reste applicable au terme de ces dernières. La raison en est qu’il s’agit non pas simplement d’éviter (temporairement) que le président de la République soit matériellement empêché d’exercer ses fonctions, mais également de s’assurer que ce dernier puisse librement les exercer sans crainte de poursuites pénales ultérieures. Il s’agit donc de le protéger (définitivement) en ce qui concerne les faits délictueux qui ne se distinguent pas de l’exercice desdites fonctions.
Mais c’est dire que seules peuvent être couvertes par cette irresponsabilité pénale les infractions commises en qualité de président de la République. A contrario, les infractions commises avant ou après le mandat présidentiel ne sont pas visées et sont donc soumises au droit commun (sous réserve, le cas échéant, des règles propres aux membres du gouvernement prévues par l’article 68-1 de la Constitution). Nicolas Sarkozy n’est par conséquent nullement exempt de responsabilité pénale s’agissant des éventuels délits auxquels il aurait participé avant d’être élu président de la République, y compris s’il s’agit de faits destinés à assurer cette élection. Il en va de même pour les délits commis après la fin du mandat présidentiel, même s’il s’agit d’infractions en lien avec des faits accomplis durant ce mandat.
Nicolas Sarkozy est-il présumé innocent comme n’importe quel justiciable ?
Oui, mais il faut, de nouveau, distinguer, car il existe deux présomptions d’innocence. Si, tout d’abord, l’on parle du droit au respect de la présomption d’innocence garanti à l’article 9-1 du Code civil, il s’agit du droit de ne pas être présenté publiquement (notamment dans les médias ou sur les réseaux sociaux) comme coupable d’une infraction faisant l’objet de poursuites pénales, tant que l’on n’a pas été jugé définitivement coupable de celle-ci. L’on rappellera à cet égard que Nicolas Sarkozy n’a pas été jugé définitivement ni dans l’affaire Bygmalion (du fait de son pourvoi en cassation), ni dans l’affaire dite du financement libyen de sa campagne électorale (en raison de son appel). Ainsi, comme n’importe qui, il ne peut être dit assurément coupable des infractions objet de ces procédures non achevées.
En revanche, il est possible d’énoncer publiquement que Nicolas Sarkozy a été reconnu coupable, en première instance ou en appel, des infractions en cause et que les juges ont donc estimé que la preuve de sa culpabilité à ce titre avait été pleinement apportée. En outre, sur des sujets dits d’« intérêt général », la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation veillent à ce que la liberté d’expression ne soit pas indûment entravée, notamment par les règles qui répriment la diffamation ou qui prohibent l’atteinte au droit au respect de la présomption d’innocence. Sur de tels sujets, la parole publique est donc plus libre que d’ordinaire, dans une proportion qu’il est toutefois difficile de mesurer. Or, les faits reprochés à Nicolas Sarkozy relèvent d’évidence d’un sujet d’intérêt général.
Si, ensuite, la présomption d’innocence est celle de la procédure pénale, elle a une double signification. Premièrement, elle fait peser la preuve de la culpabilité sur l’accusation, et non pas celle de l’innocence sur la personne poursuivie. Deuxièmement, elle interdit, durant la procédure, de traiter comme d’ores et déjà coupable une personne qui n’est encore que poursuivie, les limites à cette interdiction (placement en détention provisoire, interdiction d’entrer en communication avec des tiers, etc.) devant être strictement nécessaires et proportionnées (risque de fuite, risque de collusion, etc.). Nicolas Sarkozy bénéficie de cette présomption d’innocence comme tout un chacun. Mais, précisément, la nécessité et la proportionnalité précitées s’apprécient in concreto, c’est-à-dire compte tenu notamment de la situation personnelle de la personne mise en cause. Dans ces conditions, il est logique que la qualité d’ancien président de la République puisse appeler un traitement différent – s’avérant plus sévère ou plus clément selon les besoins – de celui qui serait réservé à un justiciable lambda, placé par définition dans une situation différente.
Pour autant, à la suite de l’appel de la condamnation prononcée à son encontre dans l’affaire dite du financement libyen, Nicolas Sarkozy n’est pas, contrairement à une idée fort répandue, véritablement redevenu présumé innocent. Il s’agit là d’une confusion avec le droit (civil) au respect de la présomption d’innocence. A la vérité, sur le plan pénal, Nicolas Sarkozy est reconnu coupable, quoique de manière non définitive, de l’infraction de participation à une association de malfaiteurs, raison pour laquelle ont pu s’exécuter immédiatement, malgré l’appel, le mandat de dépôt ordonné à son égard ainsi que les peines d’interdiction de toute fonction publique et d’inéligibilité qui lui ont été infligées. Si le jugement devait être infirmé par la cour d’appel, au bénéfice d’une relaxe, alors Nicolas Sarkozy serait reconnu, et non pas simplement présumé, innocent. De même, dans l’affaire Bygmalion, le pourvoi en cassation formé par l’intéressé a rendu non définitive, mais non pas inexistante, la condamnation prononcée en appel à son encontre.
Nicolas Sarkozy est-il punissable comme n’importe quel justiciable ?
Si l’on fait abstraction des règles relatives à sa responsabilité pénale, vues précédemment, Nicolas Sarkozy encourt a priori les mêmes peines que n’importe quel autre individu qui se rendrait coupable des mêmes actes pénalement répréhensibles. Toutefois, pour certaines infractions, la qualité de dépositaire de l’autorité publique (que revêt, notamment, un ministre ou un président de la République) peut constituer une circonstance aggravante, ayant pour effet d’élever le maximum des peines applicables. Même lorsque cette circonstance aggravante n’est pas prévue (ce qui est le cas, par exemple, des délits de participation à une association de malfaiteurs et de financement illicite d’une campagne électorale), le juge est en droit, au titre de son pouvoir d’individualisation des peines, de tenir compte de la qualité de ministre ou de président de la République pour arrêter, dans les limites légalement fixées, la nature ou le quantum des sanctions qu’il inflige. En effet, le fait que l’auteur de l’infraction ait exercé de telles fonctions, serait-ce avant ou après l’infraction, est de nature à rendre les faits plus graves que d’ordinaire, car cela entache les fonctions en question.