Le RN et ses alliés visés par une enquête au Parlement européen : coup de projecteur sur le Parquet européen
Entré en fonction le 1er juin 2021, le Parquet européen, longtemps resté discret, s’invite désormais dans l’actualité. Souvent méconnu, il fait l’objet d’un net coup de projecteur avec une affaire impliquant le Rassemblement National. Cette dernière est l’occasion de revenir sur la première autorité de poursuite de l’Union européenne.
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Par Hélène Christodoulou, Maître de conférences à l’Université Toulouse Capitole
Sur quels faits impliquant le RN le Parquet européen enquête-t-il ?
À titre liminaire, il apparaît utile de présenter cette première autorité de poursuite de l’Union européenne. Instauré par un règlement en 2017 ((Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 oct. 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, JOUE, L 283/1, 31 oct. 2017, ci-après « le règlement »), le Parquet européen fonctionne officiellement depuis le 1er juin 2021. Sa structure à double niveau s’est imposée dès le départ. Ce modèle permet de confier, d’une part, à l’organe situé à Luxembourg – le bureau central – la détermination de la politique pénale ; d’autre part, aux entités décentralisées – les procureurs européens délégués – de mener des enquêtes et des poursuites directement dans les vingt-quatre États membres participants au projet, au regard des droits nationaux, même s’ils demeurent en partie harmonisés (V. pour plus de détails sur sa création)
À ce titre, le Parquet européen a annoncé, le 8 juillet 2025, l’ouverture d’une enquête préliminaire visant l’ancien groupe parlementaire Identité et Démocratie (ID), auquel appartenait notamment le Rassemblement national au cours de la législature 2019–2024. Cette procédure fait suite à un signalement émanant de la direction générale des finances du Parlement européen, faisant état d’un préjudice financier estimé à 4,3 millions d’euros. L’enquête porte plus précisément sur de potentielles manœuvres concertées ayant pour finalité de détourner ou d’utiliser abusivement les crédits attribués aux groupes politiques du Parlement européen au titre de la « ligne budgétaire 400 ». Cette dernière finance les activités politiques des groupes représentés au sein du Parlement européen, sous réserve du respect des règles rigoureuses destinées à garantir l’usage de ces fonds au soutien du fonctionnement démocratique de l’institution, et non à financer des activités partisanes ou nationales sans lien avec le mandat parlementaire européen.
Selon les premiers éléments communiqués, l’utilisation des fonds européens – portant sur une enveloppe globale de six millions d’euros – aurait permis, d’une part, l’octroi de dons à hauteur de 700 000 euros à diverses associations, pour certaines établies en France, mais également à l’étranger. Or plusieurs de ces structures ne semblent entretenir aucun lien manifeste avec l’activité politique du groupe Identité et Démocratie, à l’image de l’association « Ami Chats 88 » ou de l’amicale des sapeurs-pompiers de La Celle-Saint-Cloud. D’autre part, des marchés publics auraient été attribués de manière irrégulière pour un montant total de 3,6 millions d’euros, dont les deux tiers auraient bénéficié à deux sociétés, Unanime et e-Politic, historiquement liées au RN et dirigées par des proches de Marine Le Pen.
Pourquoi le Parquet européen enquête-t-il sur le RN ?
Concrètement, au regard du principe de territorialité, si certaines infractions sont commises sur le territoire de plusieurs États membres de l’Union, le Parquet européen peut soit ouvrir une enquête, comme dans cette affaire (art. 26 du Règlement), soit mettre en œuvre son droit d’évocation si les autorités nationales ont déjà ouvert une enquête (art. 27 du Règlement). Pour autant, ce n’est pas la seule condition. En amont, le droit primaire a circonscrit la compétence initiale de l’organe à la lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’UE (art. 86 § 1 TFUE). Le droit dérivé, à l’aune du principe de la légalité pénale, a précisé les contours de cette catégorie d’infractions. À cette fin, une directive de rapprochement a pris le soin de définir tant les infractions que les peines relevant de la compétence matérielle de l’organe comme la fraude aux intérêts financiers de l’Union, la corruption de ses agents, le détournement de fonds ou encore le blanchiment de ces infractions (Directive (UE) 2017/1371 du parlement européen et du conseil du 5 juill. 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’union au moyen du droit pénal, dite directive PIF).
Les faits précédemment évoqués sont susceptibles de constituer des atteintes aux intérêts financiers de l’Union européenne. En particulier, le financement d’associations dépourvues de lien direct avec le fonctionnement démocratique du Parlement européen pourrait être qualifié de détournement de fonds publics. Par ailleurs, le recours à des appels d’offres purement formels, dépourvus de mise en concurrence effective, ainsi que la fourniture de prestations assorties de surfacturations, sont de nature à caractériser, au-delà d’éventuels détournements de fonds, des fraudes en matière de passation des marchés publics. Or, l’ensemble de ces infractions relève indiscutablement de la compétence du Parquet européen.
L’une des précédentes affaires visant le RN portait sur sa participation à un système de détournement de fonds européens, entre 2004 et 2016. Des assistants parlementaires d’eurodéputés étaient rémunérés sur fonds européens, alors qu’ils travaillaient en réalité pour le compte du parti. Pourquoi, dans ce contexte, le Parquet européen n’était-il pas compétent ? S’il l’était tant au regard de sa compétence territoriale que matérielle, il ne l’était pas sur le plan temporel : son champ d’intervention ne couvre en effet que les infractions commises après le 20 novembre 2017, date d’entrée en vigueur du règlement. À un an près, le RN a donc échappé à la compétence de l’organe, mais aujourd’hui, le moment de la commission des faits ne constitue plus un obstacle à sa saisine.
Comment le Parquet européen enquête-t-il sur le RN ?
Le Règlement impose aux États membres de s’assurer que les procureurs européens délégués enquêtant sur leur territoire soient habilités à réaliser ou faire réaliser certaines mesures d’investigation. Ainsi, ils doivent pouvoir : perquisitionner tout lieu, objet ou bien, y compris informatique, saisir, procéder à des réquisitions, intercepter des communications électroniques du suspect ou de la personne poursuivie et enfin, géolocaliser (art. 30 du Règlement). En réalité le droit dérivé opère d’importants renvois aux droit nationaux et les procureurs européens délégués sont habilités, de surcroît, à demander ou à ordonner, en plus de ces mesures, toute autre mesure à laquelle les procureurs nationaux pourraient avoir recours conformément à leur droit interne, dans le cadre de procédures nationales similaires.
Dans la mesure où plusieurs États membres semblent impliqués dans cette affaire, il conviendra de déterminer si le procureur européen délégué en charge de l’enquête demeurera français, au regard de critères hiérarchisés et prioritairement si l’activité criminelle a eu principalement lieu en France (art. 26 § 4 du Règlement). Le cas échéant, si des poursuites sont engagées, le tribunal judiciaire de Paris sera compétent lequel appliquera son droit national au regard de la solidarité des compétences législatives et juridictionnelles.
Certains médias entretiennent une confusion entre plusieurs affaires concernant le RN et affirment à tort que le Parquet européen aurait mené des perquisitions en présence de deux juges d’instruction. Une telle configuration est pourtant procéduralement impossible : la compétence de l’autorité de poursuite européenne évince corrélativement celle du juge d’instruction, auquel il ne peut être associé. Concrètement les procureurs européens délégués français ont le choix entre la mise en œuvre d’une enquête de police classique ou s’il y a lieu celui de l’enquête hybride prévu à l’article 696-114 du Code de procédure pénale lui permettant d’user directement des pouvoirs du juge d’instruction, dont les plus attentatoires font l’objet d’un contrôle du juge des libertés et de la détention. À titre d’illustration il peut prendre des décisions en matière de mise en examen, de commission rogatoire ou encore de placement, de maintien et de modification du contrôle judiciaire. Pour autant, la constitutionnalité de cette dernière prérogative est actuellement débattue (2025-1153 QPC). À mesure que les États membres s’habituent à son action, que la pratique affine ses outils et que le contentieux s’étoffe, son rôle ne risque-t-il pas de s’affirmer bien au-delà des seuls intérêts financiers de l’Union ?