Justice pénale des mineurs : la décision du 19 juin 2025, une porte de sortie pour le législateur ?
Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision concernant la proposition de loi dite "loi Attal", visant à renforcer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents, en censurant six de ses articles. Décryptage.

Par Jean-Eric Schoettl, Ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel
A quoi tendaient les dispositions de la « loi Attal » censurées par le Conseil constitutionnel le 19 juin 2025 ?
Les mesures censurées le 19 juin tendaient à rendre plus rapides et plus effectives qu’aujourd’hui les sanctions appliquées aux mineurs engagés dans des parcours délinquants : comparution immédiate, audience unique, renversement de l’excuse de minorité, détention provisoire, sanction de la méconnaissance des mesures éducatives.
Soulignons que ces mesures ne se substituaient pas aux règles antérieures (absence de comparution immédiate, césure, excuse de minorité…) : elles se bornaient à y déroger dans des cas exceptionnels caractérisés par l’âge du mineur, la gravité des faits ou leur réitération. Mais le Conseil, pratiquant un « contrôle de proportionnalité » qui le conduit souvent à substituer son appréciation à celle du législateur, juge ces quelques déplacements de curseur trop importants pour être compatibles avec le « principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à la justice pénale des mineurs ».
En quoi consiste ce « principe fondamental reconnu par les lois de la République » (PFRLR) ?
Dans une décision du 29 août 2002 (n° 2002-461 DC, Loi d’orientation et de programmation pour la justice), le Conseil constitutionnel tire ce principe de trois textes : la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Il juge alors qu’au-delà des évolutions de la législation que ces lois traduisaient, deux principes étaient constamment reconnus par les lois de la République : « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge » et « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ». Le « PFRLR » relatif à la justice pénale des mineurs présente donc deux aspects.
Le 19 juin 2025, le Conseil considère que plusieurs dispositions de la loi Attal sont contraires à ce PFRLR. Il s’agit des dispositions phares de ce texte.
Serait-il possible au législateur ordinaire de rétablir, en prenant les précautions idoines, une partie au moins des dispositions de la « loi Attal » censurées par le Conseil constitutionnel le 19 juin 2025 ?
Il est envisageable, en effet, de faire voter des dispositions qui – quoique dans une mesure plus faible encore que ce que prévoyait la loi Attal – corrigeraient à la marge les dispositions actuelles dans le sens de la rigueur. Mais ce serait se résoudre à ne rien changer d’essentiel, sans éliminer pour autant le risque contentieux.
Ainsi, le Conseil censure les dispositions de l’art 4 sur la comparution immédiate (qui ne s’appliquait qu’aux mineurs d’au moins 16 ans auteurs de délits punis d’au moins trois ans de prison et ayant déjà eu affaire à la justice l’année précédente). Il reproche à ces dispositions de permettre au procureur de la République de renvoyer en jugement selon une telle procédure tout mineur âgé d’au moins seize ans « au seul motif » qu’il a fait l’objet d’une mesure judiciaire dans l’année qui précède la commission des faits, « sans la réserver à des infractions graves ou à des cas exceptionnels, ni subordonner la décision du procureur de recourir à cette procédure à la condition que les charges réunies soient suffisantes et que l’affaire soit en l’état d’être jugée ». Comme toujours, lorsque le Conseil cumule des motifs de censure à l’encontre d’une disposition législative, on ne peut savoir si c’est chacun de ces motifs, ou une partie de ceux-ci, ou tous ces motifs pris ensemble, qui entraînent la censure. La prudence exigerait donc de les faire tous disparaître. Mais on aboutit alors ici à une mesure de comparution immédiate limitée, qui n’élargirait que faiblement la portée des dispositions actuelles du code de la justice pénale des mineurs : infractions passibles d’une peine de cinq ans ou plus, charges suffisantes, circonstances exceptionnelles, affaire en état d’être jugée.
S’agissant de l’article 5 qui modifiait l’article L. 423-4 du code de la justice pénale des mineurs afin d’étendre le champ des infractions pour lesquelles le mineur peut être poursuivi devant le tribunal pour enfants aux fins de jugement en audience unique, le Conseil ne laisse guère de porte de sortie au législateur. L’article 5 abaissait à trois ans (au lieu de cinq) et à un an (au lieu de trois) les seuils de peines encourues respectivement par les mineurs de 13 à 16 ans et par les mineurs de 16 ans ou plus. Le Conseil censure cet abaissement des seuils en considérant qu’ « en élargissant le champ d’application de cette procédure (audience unique) à tous les délits passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée de trois ans ou d’un an au moins, selon l’âge du mineur au moment des faits, le législateur a retenu des critères qui conduisent, en méconnaissance des exigences du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs, à ce que le tribunal pour enfants puisse être saisi selon une procédure qui n’est pas appropriée à la recherche du relèvement éducatif et moral des mineurs ». Le Conseil admettrait-il un abaissement de seuils plus limité (quatre ans plutôt que cinq pour les 13-16 ans et deux plutôt que trois pour les plus de 16 ans) ? Ne faudrait-il pas en outre limiter cet abaissement à certains types de délits ? Cette incertitude entacherait toute mesure de remplacement. Notons au passage que la motivation du Conseil semble constitutionnaliser la « césure »…
Le Conseil a aussi censuré l’article 6 qui permettait de porter de deux mois à un an la durée totale de la détention provisoire applicable à un mineur âgé de moins de seize ans, pour l’instruction des délits mentionnés aux articles 421-2-1 (participation à une entente constituée en vue de commettre des actes terroristes) et 421-2-6 (apologie du terrorisme) du code pénal, ainsi que des délits commis en bande organisée pour lesquels la peine encourue est égale à dix ans d’emprisonnement. Il a en effet estimé, malgré la gravité des infractions en cause et les impératifs de sécurité publique en jeu, qu’ « en permettant, pour l’ensemble des délits précités, d’allonger à un an la durée totale de la détention provisoire, les dispositions contestées méconnaissent, compte tenu de l’âge du mineur, les exigences du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ». En fixant la durée maximale de la détention provisoire à six mois (au lieu d’un an), la disposition en cause échapperait peut-être à la censure, étant entendu que, conformément à l’article L. 334-2 du code de la justice pénale des mineurs, « la détention provisoire du mineur ne peut être ordonnée ou prolongée par le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou le juge des libertés et de la détention que si cette mesure est indispensable et s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure et des éléments de personnalité préalablement recueillis, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs mentionnés à l’article 144 du code de procédure pénale et que ces objectifs ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou en cas d’assignation à résidence avec surveillance électronique ».
Le Conseil a également censuré l’article 7 (sur l’excuse de minorité) comme « inversant la logique selon laquelle l’atténuation des peines applicables aux mineurs était le principe et l’absence d’atténuation l’exception » dans le cas des mineurs âgés de plus de seize ans ayant commis un crime ou un délit puni de cinq ans d’emprisonnement en situation de récidive légale. En prévoyant que, dans leur cas, la juridiction ne pouvait atténuer la peine que par une décision spécialement motivée, l’article 7, juge le Conseil, « exclut, du seul fait de l’état de récidive légale, l’application des règles d’atténuation des peines pour un grand nombre d’infractions commises par des mineurs de plus de seize ans ». Ce raisonnement est doublement discutable, puisque, d’une part, l’effet de l’art 7 était d’imposer au juge une motivation spéciale et non de faire disparaître l’excuse de minorité et que, d’autre part, le Conseil tient à tort pour acquis que l’art 7 (calibré par la loi Attal pour ne s’appliquer qu’à des cas très graves et peu courants) aurait concerné un grand nombre de cas. Mais la décision est tellement catégorique dans son principe qu’on ne voit pas comment lui trouver une parade.
Le Conseil a enfin censuré, comme ne prévoyant pas qu’une telle mesure soit prononcée sous le contrôle préalable d’une juridiction spécialisée, l’article 12 qui permettait, en cas de méconnaissance d’une mesure éducative, de placer le mineur en rétention, sous certaines conditions et dans certaines limites, sur décision d’un officier de police judiciaire. Lorsque des mineurs qui ont déjà eu affaire à la justice violent des interdictions qui leur ont été faites – par exemple, de paraître sur les lieux de l’infraction, d’entrer en contact avec la victime ou des complices, d’être dans la rue entre 22 heures et 6 heures du matin -, l’article 12 prévoyait que la police judiciaire pourrait retenir le mineur, pendant une durée maximale de douze heures, avant de retourner voir le juge pour se voir rappeler ces obligations. Selon le Conseil constitutionnel, il aurait fallu que la police demande, en amont, l’autorisation à la justice, dès lors que ce mineur n’avait « pas commis de nouvelle infraction ». Pour parer à cette censure, il faudrait donc prévoir une procédure juridictionnelle. Mais une telle complication rendrait inefficace la sanction de la méconnaissance d’une mesure éducative. Comme l’indique Marie-Claire Carrère-Gée (Figarovox du 23 juin), « à quoi servent donc les mesures éducatives s’il est si compliqué d’en assurer le respect ? (…) Nous n’avons pas fini de nous battre pour qu’il n’y ait plus d’autres Elias ».