Que prévoit le plan des États-Unis pour mettre fin à la guerre à Gaza ?
Les États-Unis d’Amérique ont rendu public le 29 septembre 2025 un plan de paix en 20 points pour Gaza. Ce plan a reçu le soutien d’une partie de la communauté internationale, y compris la France et plusieurs États arabes. Il a été accepté par Israël et – avec certaines réserves – par le Hamas. En dépit de l’adhésion qu’il suscite, le projet soulève diverses interrogations quant à son contenu, à ses silences et à sa mise en œuvre.
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Par Romain Le Boeuf, Professeur de droit public à l’Université d’Aix-Marseille et Manon Bonnet, Maîtresse de Conférences à l’Université Paris Panthéon-Assas et membre de l’IHEI.
Que prévoit le plan ?
Le document proposé par les États-Unis esquisse ce qui pourrait être l’avenir de Gaza, à court et à moyen terme. Le dispositif comporte trois volets qui ne sont pas sans rappeler les mandats d’opérations de paix onusiens.
Premièrement, le plan comporte un volet militaire énonçant les conditions de cessation, ou plutôt de suspension des hostilités armées. Cet « achèvement » de la guerre (point 3) est conditionné à un abandon définitif de la lutte armée par le Hamas, à un désarmement de ses membres et à la destruction de toutes ses infrastructures militaires, et notamment son réseau de tunnels (point 13). Ce désarmement du Hamas a pour contrepartie une amnistie générale de ses membres (point 6). Israël, de son côté, s’engage à un retrait progressif de ses troupes et renonce expressément à annexer ou à occuper la zone (point 16).
Deuxièmement, le plan comprend un volet humanitaire qui repose, d’une part, sur la libération de l’ensemble des otages retenus par le Hamas (point 4) et la libération subséquente par Israël de détenus palestiniens, y compris toutes les femmes et les enfants en détention (point 5) et, d’autre part, sur une reprise immédiate de l’aide – notamment alimentaire – à la population de Gaza (point 7).
Troisièmement, le plan comprend un volet politique qui n’est pas sans rappeler certaines expériences d’administrations internationales, toutefois ici marquées par la prééminence des États-Unis plutôt que des Nations Unies. Cette présence internationale présente dans le plan à la fois un caractère militaire et civil. La composante militaire reposera sur le déploiement d’une force multinationale de stabilisation chargée d’assurer la sécurité dans la région et à ses frontières (points 14 à 16). La composante civile passera par la constitution d’un comité « technocratique et apolitique » composé de « Palestiniens qualifiés et d’experts internationaux » (point 9), agissant sous la supervision d’un « Conseil de la paix » présidé par Donald Trump et réunissant diverses personnalités politiques internationales. Le Hamas et l’Autorité palestinienne sont, quant à eux, écartés de l’administration de Gaza (point 13). Cette administration – plus étrangère que véritablement internationale en l’absence de mandat onusien – n’est pas sans précédent. Face à la catastrophe humanitaire à Gaza, elle apparaît comme une solution transitoire, destinée à mener dans l’urgence un projet de « réaménagement » de Gaza. Ce dernier doit être conduit « dans l’intérêt de la population de l’enclave » et sur la base d’un programme de développement économique destiné à « créer des emplois, des opportunités et un espoir pour l’avenir » (point 10). Certes, ce nouveau plan américain esquisse cette fois un horizon politique dans lequel « personne ne sera forcé à quitter Gaza », les populations palestiniennes – qu’il était encore question de chasser il y a quelques semaines – étant désormais expressément « encourag[ées] à rester » (point 12). Il n’en reste pas moins que cette reconstruction de la région est trop ostensiblement adossée à l’implication des États-Unis et de « groupes internationaux bien intentionnés » (point 10) pour ne pas appeler la plus grande vigilance.
Quelles sont les limites du plan ?
Même envisagé comme la première pierre d’un édifice de paix à construire, le plan soulève d’importantes inquiétudes, qui tiennent autant à son contenu qu’à ses silences.
En premier lieu, le plan demeure plus qu’équivoque quant à la solution à deux États. Le texte récuse toute existence actuelle de l’État palestinien, en dépit de la vaste reconnaissance dont il bénéficie désormais. Il appelle seulement l’Autorité palestinienne à un processus de réformes, qui pourrait à terme ouvrir la voie à une éventuelle création d’un État palestinien. Cette posture rappelle en outre l’ambiguïté de la résolution 1244(1999) à propos du Kosovo, qui avait certes servi de prélude à la déclaration d’indépendance de la région, mais qui a en définitive attisé les tensions. Benjamin Netanyahou a clairement indiqué qu’en acceptant la proposition des États-Unis, il n’avait en aucun cas accepté la création d’un État palestinien.
En deuxième lieu, il faut certainement s’alarmer de l’absence de toute mention de la Cisjordanie dans le document, et de la formule très limitative par laquelle le gouvernement israélien s’engage à ne pas occuper et annexer « Gaza » : de fait, le même engagement n’est pas pris à propos des autres territoires palestiniens, alors que l’enjeu est devenu crucial ces derniers mois. La question du statut de la Cisjordanie est donc, tout comme celui de l’État palestinien dans son ensemble, entièrement éludée.
En troisième lieu, le plan passe sous silence les questions pourtant essentielles de la justice transitionnelle et des responsabilités israéliennes. Si les membres du Hamas bénéficient d’une amnistie (point 6), le document n’envisage pas le sort des dirigeants et soldats israéliens, en dépit de l’existence actuelle de poursuites devant la Cour pénale internationale : un tel silence confine au déni. De même, l’obligation d’Israël de réparer les dommages causés aux Palestiniens est ignorée, alors même qu’elle a été constatée en 2024 par la Cour internationale de Justice.
Plus largement, le texte n’esquisse aucune solution au problème des frontières, du retour des réfugiés ou de la réconciliation, parmi les innombrables questions que soulève la perspective d’une résolution définitive du conflit israélo-palestinien. Les nombreuses résolutions des organes multilatéraux, au premier plan desquels les Nations Unies, ont tracé depuis plusieurs décennies un cadre qui ne saurait être ignoré. En effet, si l’urgence humanitaire rend certainement opportuns plusieurs aspects du plan de paix proposé par Donald Trump, la solution définitive du conflit entre Israël et la Palestine ne saurait se réduire à un deal politique indifférent aux principes du droit international.
Quel avenir pour le plan ?
Le plan américain, s’il porte des solutions nouvelles et possiblement souhaitables, demeure marqué par la généralité de ses termes et par le caractère très partiel de son contenu. Plus qu’un accord en tant que tel, il constitue une déclaration de principes, qui prétendent s’inscrire dans la lignée des célèbres 14 points du Président Woodrow Wilson, qui avaient en 1918 ouvert la voie à la conclusion du traité de Versailles (et valu l’obtention du prix Nobel de la paix à leur auteur). L’acceptation des principaux éléments de ce plan par le Hamas n’est donc que le début d’un long processus qui devra dans un premier temps aboutir à la conclusion d’un ou plusieurs accords formalisant les droits et obligations des diverses parties prenantes. Dans un second temps, il faudra travailler à la mise en œuvre effective de ces accords, à la fois par les belligérants et par les États chargés de contribuer à l’administration de Gaza et à la force internationale de stabilisation. Immense chantier.
Il sera nécessaire, pour le mener à bien, que les États-Unis renouent avec le multilatéralisme : car les solutions unilatérales ne durent jamais plus longtemps que la force qui les a imposées.