Nationalité à Malte : « Tu ne vendras point le statut de citoyen européen »
Dans un arrêt retentissant, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a condamné Malte pour sa législation permettant l’achat de la nationalité maltaise. Si la portée de cette décision reste difficile à évaluer, elle remet en cause la liberté des États membres de fixer leurs propres règles en matière d’acquisition de la nationalité.

Par François-Xavier Millet, Professeur de droit public à l’Université des Antilles, Chaire Jean Monnet Intégrations régionales comparées
Peut-on obtenir la nationalité d’un État membre sur le fondement du « jus pecuniae » ?
Depuis le traité de Maastricht, l’acquisition de la nationalité d’un État membre confère ipso facto la citoyenneté européenne et l’ensemble des prérogatives qui en dérivent, notamment la libre circulation et le droit de séjour dans tout État membre, ainsi que le droit de vote aux élections européennes et municipales. Par suite, le fait qu’un État membre octroie la nationalité à un ressortissant d’un pays tiers est susceptible de produire des effets dans toute l’Union européenne dès lors que cette personne exerce ses droits en tant que citoyen européen. Jusqu’à maintenant, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) n’avait cependant épinglé les législations nationales en matière de nationalité que lorsque l’application individuelle de celles-ci conduisaient à des cas d’apatridie ou de perte, par un individu, de ses droits en tant que citoyen européen. Les règles générales relatives à l’acquisition de la nationalité restaient pour leur part l’apanage des États membres. Rien juridiquement ne semblait devoir condamner les modalités d’acquisition de la nationalité, quelles qu’elles fussent.
Alors que les modes classiques d’acquisition de la nationalité sont la filiation (jus sanguinis), la naissance sur le territoire national (jus soli) et la naturalisation par mariage ou par prise de résidence, certains pays monnayent littéralement l’obtention de la nationalité dans le cadre de ce que l’on pourrait appeler le jus pecuniae. Ainsi, à Malte, un non-Européen peut-il être récompensé par l’octroi de la nationalité maltaise pour un type de mérite potentiellement déroutant : non pas son combat pour la liberté ou sa contribution à la culture nationale, mais lorsque celui-ci réalise des investissements directs dans le développement économique et social du pays. La législation maltaise prévoit en effet qu’un ressortissant d’un pays tiers peut obtenir la nationalité maltaise moyennant, comme condition principale, le paiement d’une somme minimale de 600.000 euros au gouvernement.
Pourquoi la Cour de justice a-t-elle remis en cause l’acquisition de la citoyenneté par investissement en Europe ?
Dans le cadre d’un recours en manquement de la Commission européenne contre la République de Malte, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu, le 29 avril 2025, un arrêt audacieux qui vient limiter la liberté des États membres de fixer leurs propres règles en matière d’acquisition de la nationalité. En substance, selon la Cour, acheter la nationalité d’un État membre est contraire, d’une part, aux valeurs de l’Union sur lesquelles repose la citoyenneté européenne et, d’autre part, à la confiance mutuelle que se doivent les États membres quant au fait que ceux-ci n’octroieraient pas la nationalité d’une manière manifestement incompatible avec la « nature même » de la citoyenneté de l’Union. Eu égard aux prérogatives individuelles que cette citoyenneté confère, les États membres ont en effet des obligations les uns vis-à-vis des autres. Parmi ces obligations, il leur est interdit en principe de vendre la nationalité d’un État membre et, par suite, le statut de citoyen de l’Union qui lui est associé. Si la Cour a laissé entre-ouverte la possibilité qu’une telle législation d’un État membre puisse être conforme au droit de l’Union à condition que le demandeur de nationalité ait résidé de manière effective sur le territoire de l’État en question pendant une certaine période, elle a jugé que la législation maltaise, telle qu’elle avait été conçue, violait le principe de coopération loyale ainsi que les règles du traité en matière de citoyenneté de l’Union.
D’un point de vue moral, il est sans doute possible de se réjouir que la CJUE ait interdit la citoyenneté par investissement dans l’Union européenne. Cet arrêt s’inscrit dans une évolution jurisprudentielle de la Cour de justice qui promeut les valeurs de l’Union en dépassant l’horizon économique. D’un point de vue juridique, on regrettera cependant la faible motivation d’un arrêt qui peut aisément prêter le flanc à la critique de l’ultra vires en ce que l’Union européenne empièterait ainsi indûment sur les compétences des États membres. Alors que l’argument essentialiste de la « nature même » de la citoyenneté de l’Union laisse quelque peu songeur, le motif de la confiance mutuelle entre États membres apparaît spécieux dans une Union européenne où cette confiance mutuelle est généralement présumée et où, en pratique, aucun État membre n’a jugé bon d’intervenir dans cette affaire pour contester la législation maltaise.
S’achemine-t-on vers une critique des législations nationales fondées sur le jus soli ?
Dès lors que la Cour de justice visait avant tout à épingler l’aspect commercial de l’acquisition de la nationalité d’un État membre, cet arrêt a probablement vocation à demeurer isolé. Néanmoins, on ne saurait exclure qu’il soit invoqué à l’avenir pour contester d’autres modalités d’acquisition de la nationalité, en particulier des législations nationales qui seraient très généreuses en matière de droit du sol. Des États membres pourraient dénoncer, au nom de la confiance mutuelle, le fait que la citoyenneté européenne puisse être trop facilement acquise à la faveur de certaines législations nationales. Dans la mesure où la Cour a jugé que la nationalité et, par suite, la citoyenneté de l’Union doivent reposer sur un rapport de solidarité et de loyauté entre l’État et un individu, il ne serait pas impossible d’affirmer que le fait d’être né sur le territoire national ne suffit pas à établir un lien réel entre une personne et l’État de ce territoire. La Cour de justice pourrait ainsi être un jour amenée à considérer que le statut fondamental de citoyen européen ne saurait non plus être fondé sur le hasard géographique de la naissance.