Par Christophe Fabre, avocat au Barreau de Paris, enseignant à Sciences Po Paris et conseil auprès de la CPI.

Dans quel contexte s’opère le redécoupage électoral aux États-Unis ?

Aux Etats-Unis, des recensements sont opérés tous les dix ans afin d’élaborer ensuite les circonscriptions électorales de la chambre des représentants au sein des différents États fédérés. Si le Sénat fédéral réserve 2 Sénateurs à chaque État et se renouvelle par 1/3 tous les deux ans, la chambre basse, elle, risque une instrumentalisation fréquente par un découpage partisan de ses 435 circonscriptions en ce qu’elle se renouvelle entièrement tous les deux ans. Ainsi, un scrutin serré couplé à un découpage partisan dans nombre de circonscriptions est de nature à faire basculer la majorité absolue des 218 sièges et ainsi, son contrôle.

Conscient de ces enjeux, à l’insistance de D.Trump, le Texas redessina sa carte électorale pour favoriser la prise de 5 sièges démocrates par les républicains, lesquels contrôlent déjà 25 de ses 38 circonscriptions électorales. En réaction, la Californie, emmenée par son Gouverneur Newsom, répliqua en mettant aux votes la proposition 50. Dérogeant au principe du découpage effectué par une commission californienne indépendante, elle instaure une nouvelle carte destinée à faciliter la reprise des 5 sièges républicains par les démocrates aux élections de 2026. La proposition fut adoptée à 64% des suffrages.

Cette dynamique ne se limite pas au Texas et à la Californie puisque près de 12 États fédérés entendent redécouper leurs circonscriptions dans une finalité partisane. Ainsi est-ce l’occasion de revenir sur la légalité de cette pratique.

Quels recours juridiques pour contester un redécoupage partisan ou discriminatoire ?

L’État fédéral américain ouvre des recours en incompatibilité des découpages avec tant le droit fédéral qu’avec le droit de l’État.

En droit des États. En septembre 2025, une juge de l’Utah conclut que la carte dessinée par la législature a majorité Républicaine violait la Constitution étatique. La Cour suprême de l’État refusa de suspendre cette décision de sorte qu’une nouvelle carte devait être établie. Or, le 11 novembre 2025, la juge D. Gibson rejeta de nouveau le découpage effectué par ce parlement à majorité républicaine en raison d’une non-conformité au droit constitutionnel de l’État et adopta la carte proposée par la coalition centriste à l’origine de l’action en justice.

En sus, à l’instar de la Floride et l’Ohio, certains États pourraient inscrire dans leurs Constitutions l’interdiction du découpage partisan des circonscriptions électorales.

En droit fédéral. À l’inverse, le 18 novembre 2025, c’est au fondement du droit fédéral que les démocrates ont obtenu qu’une juridiction fédérale (2 voix contre 1) invalide le nouveau découpage de 2025 opéré par un Parlement Texan aux mains des Républicains pour y substituer une carte électorale de 2021. Dans cette décision fédérale de 160 pages rédigée par le juge J. Brown, nommé par D.Trump en 2019, le Cour fait état « de preuves substantielles d’un découpage racial par le Texas de sa carte de 2025 ».

Quelques heures plus tard, le gouverneur du Texas annonça former appel de cette décision devant la Cour suprême fédérale. Ainsi, le 22 novembre 2025, le juge de la Cour suprême S. Alito, en charge du contentieux de l’urgence dans cette zone géographique, suspendit la décision fédérale déférée dans l’attente que la Cour suprême se prononce.

De même, au lendemain du vote favorable à la proposition 50, les républicains contestèrent la constitutionnalité du redécoupage, invoquant une contrariété au droit fédéral.  

Le redécoupage électoral partisan est-il compatible avec la Constitution américaine ?

Dans une importante décision Rucho v. common cause en 2019, la Cour suprême toléra de facto le découpage partisan des circonscriptions électorales. Divisée (5 voix contre 4), la Cour suprême concéda que le découpage partisan des circonscriptions électorales pouvait conduire à des résultats injustes. Elle jugea toutefois que cette question était par essence politique et ainsi, soustraite à la compétence des cours fédérales. Dans son opinion dissidente, la juge E. Kagan vilipenda l’opinion majoritaire de la Cour, lui reprochant de méconnaître son office premier de protection de la démocratie. Il n’en reste pas moins que c’est l’opinion de la majorité de la Cour qui reflète le droit positif et prive désormais les cours fédérales d’une possibilité de corriger ces découpages partisans.

En revanche, la loi fédérale de 1965 « Voting Rights Act » en sa section 2 prohibe « tout procédure électorale entrainant un déni ou une limitation du droit de vote de tout citoyen américain en raison de la race ». C’est pour cette raison que les républicains contestent la légalité de la proposition 50, non sur un découpage politique partisan, mais fondent leurs arguments sur un découpage racial en invoquant un avantage inconstitutionnel donné aux américains d’origine hispanique.

Le Texas a interjeté appel de la décision fédérale texane devant la Cour suprême fédérale, qui en a déjà suspendu ses effets et devra se décider rapidement sur le point de savoir si un découpage racial illégal a bien eu lieu.

Deux points feront alors l’objet d’une attention particulière :

Suite à l’affaire Louisiana v. callais en cours de délibéré, la Cour suprême pourrait déclarer inconstitutionnelle la section 2 de la loi fédérale de 1965 et ainsi limiter davantage le contrôle judiciaire fédéral des découpages électoraux, les laissant à la seule responsabilité du politique. De fait, si l’interdiction des discriminations basées sur la race dans la pratique du scrutin était levée, les États à majorité républicaine pourraient gagner une douzaine de districts à la chambre basse au niveau national.

Aux termes de la jurisprudence purcell, à partir d’un certain temps avant la tenue d’un scrutin, le judiciaire ne saurait remettre en cause les règles électorales, même en cas d’illégalité suspectée. Ce principe est destiné à éviter tout confusion. Resterait alors à déterminer à partir de quand le judiciaire serait illégitime à connaître du contentieux de la légalité des découpages électoraux.

L’enjeu est tout sauf véniel car il est de nature à faire basculer le contrôle de la chambre basse lors du 250 anniversaire des Etats-Unis d’Amérique.