Le shutdown aux États-Unis : vers une crise institutionnelle majeure ?
Depuis le mercredi 1er octobre 2025, l’Administration fédérale est mise à l’arrêt aux États-Unis (shutdown) en raison de l’absence de vote, dans le délai imparti, du budget fédéral par le Congrès. Cette paralysie ne s’était pas produite depuis 2018. Quelles en sont les raisons et les issues ?
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Par Mathilde Laporte, Professeure de droit public, UPPA, E2S UPPA, CDRE, Bayonne
Qu’est-ce que le shutdown ?
La Constitution des États-Unis fait du vote du budget par le Congrès une condition essentielle au fonctionnement de l’appareil fédéral. Son article premier dispose, à sa section 9, qu’« Aucune somme ne sera prélevée sur le Trésor, si ce n’est en vertu d’affectations de crédits stipulées par la loi ». C’est pourquoi le budget doit être adopté annuellement, avant le 1er octobre, qui signe le début de l’année fiscale. Douze propositions de lois de finances doivent être votées par le Congrès et promulguées par le Président dans ce délai imparti (regular appropriation acts). Si ce n’est pas le cas, deux options sont envisageables.
En premier lieu, le Congrès peut décider d’offrir un délai supplémentaire à la négociation politique entre les représentants, les sénateurs et le Président. Il prolonge ainsi fréquemment la durée d’application du budget existant, en adoptant une résolution provisoire (continuing resolution, aussi appelées CR). Cette décision ne couvre que les activités fédérales déjà financées par l’ancien budget.
En second lieu, si le budget n’est pas adopté avant le 1er octobre et que le Congrès ne vote pas de résolution provisoire, l’Administration fédérale doit « fermer » (shutdown). La loi Anti-Déficit (1884) en constitue le fondement légal : elle interdit à l’Administration de procéder à des dépenses qui n’ont pas été autorisées par la loi. Les agents publics fédéraux ne peuvent travailler que si des fonds sont disponibles pour les rémunérer. À l’exception des services considérés comme essentiels (à l’instar des opérations militaires, des hôpitaux, des centres de détention, ou encore des activités de contrôle aérien), certains services publics ne sont alors plus assurés si le budget n’est pas adopté. Les agents publics essentiels travaillent alors provisoirement sans salaire, les agents publics non essentiels sont placés en congés forcés.
La loi Anti-Déficit trouve sa source dans l’article I de la Constitution, qui définit les compétences du Congrès. Elle offre à ce dernier un pouvoir budgétaire de première importance, car le vote du budget devient l’occasion d’assurer le contrôle réciproque entre les branches du Gouvernement fédéral, selon la logique des poids et contrepoids instituée par la Constitution (checks and balances). Les chambres du Congrès et le Président doivent dès lors négocier pour adopter la loi fédérale, selon la logique de gouvernement à l’œuvre dans le régime présidentiel. Cette recherche de compromis doit évidemment aussi se comprendre en fonction des rapports de force partisans, opposant le Parti démocrate et le Parti Républicain. Depuis les années 1970, la menace de shutdown est utilisée stratégiquement, comme un levier de négociation lors du vote du budget. Une majorité au Sénat et à la Chambre des Représentants à la faveur du Président limite théoriquement ce risque de blocage, sans pour autant l’exclure. Par exemple, alors même le Président Carter négocie avec un Sénat et une Chambre des représentants démocrates, il fait face à cinq shutdown entre 1977 et 1979, en raison notamment d’oppositions relatives à l’aide financière consentie par le Gouvernement fédéral pour assurer l’effectivité du droit à l’avortement (trois shutdown en 1977).
Pourquoi un shutdown en 2025 ?
Lors du premier mandat de Donald Trump, les Américains ont connu le shutdown le plus long de leur histoire, d’une durée de 35 jours. Le financement fédéral d’un mur séparant le Mexique des États-Unis avait en effet provoqué une vive opposition des Démocrates, que le Président Trump avait tenté de faire taire par la menace du shutdown. Cette tactique politique avait été impopulaire dans l’opinion publique, l’utilisation du shutdown comme arme de négociation ayant eu un impact jugé négatif sur le Gouvernement fédéral. Dans les années suivantes, la crise COVID et la guerre en Ukraine avaient incité les deux partis à faire preuve de davantage de prudence, pour ne pas fragiliser le Gouvernement fédéral en période de crise. Ont dès lors été toujours adoptées, en cas de désaccord politique, des résolutions provisoires dans le but de ne pas paralyser l’Administration fédérale.
Depuis le 1er octobre 2025, en raison de l’absence de vote d’une résolution provisoire par le Congrès, les États-Unis sont en situation de shutdown, qui se prolonge du fait des échecs successifs du Parti républicain à faire adopter une proposition de loi budgétaire au Sénat. Dans un contexte de bipolarisation de la vie politique américaine, où Démocrates et Républicains peinent à gouverner par le compromis, l’Administration fédérale est mise à l’arrêt : les Démocrates contestent les coupes budgétaires proposées et demandent la prolongation de la prise en charge par les pouvoirs publics de l’assurance maladie pour les plus démunis. Le Président rétorque qu’ils bloquent volontairement l’Administration, afin d’obtenir le financement de soins médicaux gratuits pour les immigrés. Pour les faire céder, il réaffirme son rôle de chef du pouvoir exécutif et de l’Administration, promettant, par la mise en ligne d’un clip, de continuer si nécessaire à la démanteler en procédant à des licenciements massifs d’agents publics.
Le parti républicain est majoritaire dans les deux chambres au Congrès. Pourquoi ne parvient-il pas à adopter le budget ?
Aujourd’hui, le Parti Républicain détient effectivement la majorité absolue dans chacune des chambres (53 sièges sur 100 au Sénat, 219 sur 435 à la Chambre). Cette majorité n’est cependant pas suffisamment importante numériquement pour imposer aux démocrates le vote du budget, en raison de certaines spécificités du droit constitutionnel américain. En effet, bien que minoritaires, les démocrates jouissent d’un pouvoir de blocage au Sénat. Un sénateur doit pouvoir s’exprimer librement, aussi longtemps qu’il le souhaite, sans que ses pairs n’aient le droit de l’interrompre (filibustering). Aujourd’hui, il n’est plus question pour les sénateurs de parler de manière discontinue pour retarder le vote du budget : la simple menace de l’obstruction suffit à bloquer le processus législatif. Dans ce cas, seul un vote de clôture de 60 sénateurs peut y mettre fin. Or, le parti républicain ne dispose que de 53 sièges au Sénat, devant ainsi convaincre 7 Démocrates d’adopter le budget. Aucun camp ne semble pour l’instant enclin à trouver un compromis, ce qui présage une crise institutionnelle majeure à venir, si l’opposition entre le Sénat et le Président devient structurelle.