La guerre américaine contre le juge Nicolas Guillou
Nicolas Guillou, juge français à la Cour pénale internationale, est visé par des sanctions américaines aux effets étendus sur le plan financier et bancaire international. Sur quels fondements juridiques reposent-elles ?
Publié le
Par Daniel Mainguy, Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne
Quelles sanctions ont été imposées au juge Nicolas Guillou de la CPI ?
Le juge français à la Cour pénale internationale Nicolas Guillou, a été placé sous sanctions américaines par le Secrétaire d’État des États-Unis, Marco Rubio, le 20 août 2025. Il fait partie d’un groupe de trois juges nouvellement sanctionnés, qui viennent s’ajouter à ceux déjà visés, ainsi qu’au procureur de la CPI, M. Karim Khan. Ces mesures reposent sur l’Executive Order 14203 « Imposing Sanctions on the International Criminal Court » du 6 février 2025, signé par le président Trump.
Les conséquences sont radicales : gel des fonds et des ressources économiques du juge et de toute entité qu’il contrôlerait, interdiction de mise à disposition directe ou indirecte de fonds ou de ressources économiques. En clair, outre l’interdiction du territoire américain, ses comptes sont bloqués, ainsi que la fermeture ou la suspension de tous les comptes américains (PayPal, Apple Pay, Amazon, etc.), des systèmes de paiement (Visa, Mastercard, American Express, etc.) et de toutes les banques en lien avec les États-Unis.
Quels sont les fondements juridiques de ces sanctions ?
L’Executive Order 14203 a pour objectif de répondre aux actions que le président Trump considère comme illégitimes et dépourvues de base juridique, engagées par la CPI contre les États-Unis et leurs proches alliés — Israël notamment. Sont visés l’ouverture d’enquêtes préliminaires concernant des Américains ou des Israéliens ainsi que les mandats d’arrêt délivrés, en novembre 2024, contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu et l’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, alors même que la CPI n’aurait, selon Washington, aucune compétence à l’égard des États-Unis et d’Israël, non signataires du Statut de Rome. Cette décision s’appuie sur le § 1701 du U.S. Code (qui regroupe l’ensemble des cas concernés, dont les sanctions contre l’Iran, la Corée du Nord, le Hezbollah, l’État islamique, Al-Qaida, le Soudan, etc.), autorisant le président des États-Unis à prendre de telles mesures en cas de « any unusual and extraordinary threat, which has its source in whole or substantial part outside the United States, to the national security, foreign policy, or economy of the United States, if the President declares a national emergency with respect to such threat ».
Les États-Unis, en effet, ont adopté dès l’installation de la CPI à La Haye, en 2002, une loi intitulée American Service-Members’ Protection Act (ASPA), codifiée aux §§ 7421 à 7433 du Titre 22 du U.S. Code (22 U.S. Code Chapter 81 Subchapter II, §§ 1721 s.) et parfois désignée, de manière plus explicite, sous le nom de The Hague Invasion Act. Elle vise à protéger le personnel militaire américain, les élus ou les agents de l’administration contre toute action judiciaire de la CPI et autorise le président des États-Unis à prendre « tous moyens nécessaires et appropriés » pour obtenir leur « libération » : tous les moyens, y compris la force — jusqu’à « l’invasion des Pays-Bas » — ou, de manière moins brutale, des sanctions du type prévu par l’Executive Order 14203, comme cela avait déjà été le cas lors des investigations de la CPI concernant de potentiels crimes de guerre américains commis en Afghanistan.
Cette situation est évidemment, du point de vue français, européen et international, incroyable.
Quelles réponses peuvent être apportées ?
Il s’agit, très clairement, de mesures coercitives, non-militaire, non armée, visant à imposer ses vues à un autre État, un cas type de « guerre atypique », une technique de « lawfare instrumentaire » très efficace.
Les réponses susceptibles d’être apportées de ce côté de l’Atlantique sont à peu près inexistantes, en ce que lorsque certaines pourraient être envisagées, elles sont inappropriées.
Le droit européen pourrait être concerné. Le Règlement dit « de blocage » n° 2271/1996 a pour objectif de s’opposer à l’application extraterritoriale des lois américaines visées en annexe, les règles concernant les sanctions contre Cuba, l’Iran, la Lybie, principalement.En aucun cas, il ne vise l’intégralité des sanctions du § 1701 de l’US Code et donc pas l’ASPA. Il a peu servi, est inutile voire contreproductif comme l’arrêt de la CJUE dans l’affaire Bank Melli Iran en 2021 l’a démontré, son invocation par une entreprise allemande se retournant contre elle.
Une réponse offensive, peu probable, pourrait être activée grâce à « l’instrument anti-coercition » économique issu du règlement n° 2023/2675 du 22 novembre 2023qui se présente comme un outil de défense contre des agressions économique provenant d’État tiers. Il se fonde sur les règles du droit de l’Union européenne et sur les règles internationales y compris sur la logique de contre-mesures prévues par les articles de la CDI sur la Responsabilité des États pour fait internationalement illicite, adoptés par l’AGNU en 2001 et qui codifient le droit coutumier en la matière. L’objectif est purement dissuasif et vise à empêcher des mesures de coercition économique par des Etats tiers afin de protéger les droits et les intérêts des Etats membres et de l’Union européenne et d’organiser une « riposte » efficace » (Règl. 2023/2675, Considérant 7), la coercition étant entendue comme l’application par un Etat tiers d’une menace « affectant le commerce ou les investissements dans le but d’empêcher la cessation, la modification ou l’adoption d’un acte particulier par l’Union ou un État membre ou d’obtenir, de l’Union ou d’un État membre, la cessation, la modification ou l’adoption d’un acte particulier, et ce faisant interfère dans les choix souverains légitimes de l’Union ou d’un État membre ». La sanction américaine est licite d’un point de vue américain, sauf à ce qu’un juge l’estime disproportionnée, mais (très vraisemblablement) illicite d’un point de vue international, et il s’agit d’une mesure de coercition économique qui affecte plus ou moins directement le commerce intracommunautaire.
Il faudrait donc une interprétation volontariste et un acte de courage exceptionnel pour que l’UE réagisse, dans un contexte de très forte pression, où les intérêts d’un juge français pèsent peu.
L’autre solution serait américaine via une action devant un juge américain pour faire invalider la sanction par exemple sur le fondement de l’absence de lien nécessaire entre les dispositions de l’ASPA et l’extraordinary threat que le juge Guillou fait peser sur les intérêts et la sécurité nationale US et de son caractère disproportionné, sinon inappropriée à l’endroit d’un magistrat étranger.